samedi 5 juillet 2014

Condamnation des assassins d'un évêque sous la dictature [Actu]

"Justice terrestre", titre Página/12 ce matin

Monseigneur Enrique Angelelli (18 juillet 1923 – 4 août 1976) était évêque de La Rioja lorsqu'il fut tué dans un accident de voiture provoqué par les sbires de la Dictature. Ordonné en 1949, dans son diocèse d'origine, à Córdoba et déjà évêque lors du Concile Vatican II auquel il participa, il occupait la cathèdre de la Rioja depuis huit ans au moment de son assassinat.

Extrait de la une du Sol de la Rioja, le 5 août 1976 (six mois après le coup d'Etat)
annonçant la mort accidentelle du prélat
que ce même quotidien, quelques semaines plus tôt, avait accusé de complot marxiste

Ce prélat aux engagements sociaux marqués avait favorisé et soutenu la syndicalisation des mineurs, des ouvriers agricoles, des domestiques, il avait encouragé l'artisanat indépendant et les coopératives de production de produits de première nécessité locale (textiles, briques, agroalimentaire). C'était un théologien qui s'était spécialisé dans la doctrine sociale de l'Eglise et avait joint très tôt, dès les années 1950, le geste à la parole, développant notamment dans ses deux diocèses successifs la JOC, le mouvement de jeunesse catholique ouvrière qui était apparu peu après la première guerre mondiale en Belgique, avant de se répandre dans toute l'Europe et d'atteindre l'Amérique Latine après le deuxième conflit.

Pancarte commémorative sur le lieu de l'accident
"Avec une oreille pour écouter le peuple et l'autre pour écouter l'Evangile"
[citation du prélat]
Ici, on a assassiné Monseigneur Enrique Angelelli, évêque de La Rioja du 24 août 1968 au 4 août 1976
Engagé dans sa pastorale
Justice et paix
il fut la voix des sans voix.
Aujourd'hui, c'est un martyr des pauvres

Hier, la justice de La Rioja a condamné deux responsables de la répression sous la dernière dictature militaire à la prison à vie, un nouveau verdict qui frappe les deux hommes déjà multi-condamnés pour des faits similaires, qualifiés de crimes contre l'humanité par le code pénal argentin.



Página/12 est le seul quotidien à en faire sa une, tandis que les autres journaux titrent sur le Mundial (il est vrai aussi que l'Argentine joue les quarts de finale cet après-midi contre les Diables Rouges) mais tout de même... Certes Página/12 a toujours soutenu le souvenir de ces prêtres engagés dans les droits de l'homme et les droits sociaux mais jusqu'à présent, il s'en servait pour faire pièce au cardinal Bergoglio. Cette fois-ci, rien de cette opposition factice dans les pages du quotidien. Le tournant est consommé.

La Nación de son côté, qui ne consacre pas la moindre ligne de sa première page à cette affaire, appelle le Pape à la rescousse en rappelant que le cardinal avait toujours soutenu la mémoire de l'homme et avait eu avec lui des contacts étroits, spirituels et pastoraux, pendant son mandat de provincial de la Compagnie de Jésus en 1973, alors que Enrique Angelelli subissait déjà des persécutions graves, avec tentatives d'homicide sur sa personne.

Dans la Rioja comme ailleurs en Argentine, on boit le mate

Pour aller plus loin :
lire l'article principal de La Nación (par Mariano De Vieda, d'ordinaire occupé aux faits religieux et signant ici un article étiqueté droits de l'homme par la rédaction)
lire l'article secondaire de La Nación sur les liens entre le Pape François et l'évêque assassiné (ça fait toujours du bien par où ça passe).