Une de El Tribuno de Jujuy le 14 décembre En manchette, le scandale Juan Darthés (voir mon article du 21 décembre) en bas, une manifestation d'habitants de Purmamarca Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Au début du mois de décembre, le chanteur Memo Vilte a clôturé un chemin
d’accès au Mont des Sept Couleurs (Cerro de los Siete Colores),
une des merveilles du patrimoine naturel argentin inscrit au
Patrimoine de l’Humanité depuis 2003. A ce titre, le site et son environnement sont inaliénables : ils ne peuvent être ni vendus ni achetés, que ce soit par un
particulier ou par une personne morale. C’est un lieu public dont
l’entretien dépend des pouvoirs publics légitimes locaux : municipalité de Purmamarca, province de Jujuy ou Etat fédéral
argentin, ce qu’on appelle là-bas gobierno de la Nación.
Or Memo Vilte et son père prétendent être les propriétaires du lieu. Ils auraient acheté ces terrains, sans
avoir pu, semble-t-il, produire un titre légal de propriété. Le chanteur, qui se répandu en vidéo sur les réseaux sociaux, dit avoir
clôturé le lieu parce qu’il est chez lui. Dans un second temps, il a argumenter qu'il voulait nettoyer le site en vue de le transformer en amphithéâtre naturel, à ciel
ouvert, au profit de la collectivité. La démarche est pour le moins
contestable, surtout pour quelqu’un qui se revendique descendant
des peuples originaires, lesquels ont l’habitude et une solide tradition
de tout traiter sous forme de solutions collectives et holistiques et ce n’est
pas le cas de cette privatisation sauvage, qui a empêché des
touristes de faire le tour du mont, un must des circuits nationaux et
internationaux (1).
El Tribuno de Jujuy, le 10 décembre 2018 On y voit le mont dans toute sa splendeur (photo de manchette) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Memo Vilte, je vous en
ai déjà parlé : c’est un excellent chanteur, une voix puissante
et un talent incontestable. Mais c’est aussi un homme qui
n’inspire qu'une confiance limitée à l'expérience. Certains festivaliers de
Toulouse ont encore en travers de la gorge l’achat pour 20 €,
soi-disant au profit de la communauté amérindienne de Purmamarca,
d’un CD de ses chansons dont la plupart des acquéreurs n’ont
jamais pu tirer un son. Le
mien n’a jamais été remplacé par un disque lisible sur un lecteur de CD et
je crois savoir ne pas avoir été la seule dans ce cas (2).
A partir du 7 décembre dernier,
les habitants de Purmamarca ont beaucoup manifesté : ils étaient
nombreux à estimer inadmissible la démarche du chanteur, qui avait
osé apposer des panneaux explicites sur ses grillages : "Propriété privée – Entrée interdite".
Hier, l’affaire, qui a
été plus d’une fois à la une de El Tribuno de Jujuy, est arrivée
jusque dans des quotidiens nationaux, Página/12 (qui l’a mis en
manchette de sa une) et La Nación hier, puis Clarín, ce matin (3).
El Tribuno de Jujuy ce matin En manchette, à droite : l'affaire du Mont des Sept Couleurs Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Poussé par le scandale
qui grandissait, le gouvernement provincial (4) aurait trouvé une
solution négociée (sic) avec le soi-disant propriétaire, ce qui revient
à accepter l’état de fait imposé par Vilte. On aurait attendu des pouvoirs publics
qu’ils fassent intervenir la justice pour faire annuler le titre de
propriété (si le chanteur est bien en possession d'un tel titre et de poursuivre le vendeur du bien et le notaire qui l'a établi) ou faire reconnaître la nullité de celui dont il se prévaut, puisqu’un site inscrit au patrimoine de
l’UNESCO est inaliénable.
Il est probable qu’il
est très difficile pour les artistes locaux de se faire connaître
et de disposer de lieux pour se produire. Mais la violence est
d’autant moins une solution que le monde culturel argentin ne
manque pas de ressource pour confronter un Etat provincial et
national qui se détourne de la culture, surtout avec des atouts
aussi immobiles qu’une montagne et aussi célèbres que celle-là.
Pour en savoir plus :
lire l’article de Página/12 d'hier
lire l’article de La Nación d'hier
lire l’article de El Tribuno de Jujuy du 6 décembre 2018
lire l'article de Página/12 d'aujourd'hui
lire l’article de Clarín d'aujourd'hui
lire l’entrefilet de El Tribuno de Jujuy d’aujourd’hui.
(1) Le Cerro de los
Sietes Colores sera au programme du voyage culturel que Odeia vous
propose en novembre prochain, au printemps austral, et que
j’accompagnerai. J’en parlerai sans doute lors de l’après-midi
Odeia du 17 janvier prochain, à Paris (voir mon article sur cette
proposition).
(2) Personnellement,
j’étais conférencière invitée à cette même édition du
festival de Toulouse. J’avais pris contact avec lui en vue de
l’intégrer à mon carnet d’adresses qui me permet de concevoir,
hors des sentiers battus, des activités exclusives et authentiques
en Argentine pour les voyages culturels que je développe avec mes
partenaires voyagistes. Son indifférence pour ce que je lui exposais
m’avait laissée sans voix (à ce jour, c’est le seul acteur
culturel argentin qui ne m’ait pas témoigné un enthousiasme actif
suivi d’une efficacité certaine, comme l’ont toujours fait
depuis près de huit ans tous ses autres confrères et consœurs qui
vivent en Argentine). Quant à son ignorance profonde de l’histoire
de son pays, elle était ridicule. Il prétendait pourtant "enseigner
l’histoire" (sic) aux enfants des écoles à travers son répertoire
de chansons qu’il envisageait (très vaguement) de faire tourner
dans toute l’Argentine. Il m’avait en particulier affirmé, avec
un aplomb stupéfiant, que San Martín était enterré à
Boulogne-sur-Mer, dans le sud de la France (sic). Quand on considère que
San Martín est en Argentine le Père de la Patrie, cela fait
beaucoup d’erreurs en une seule phrase, puisque le grand homme
repose depuis mai 1880 dans la cathédrale de Buenos Aires et que…
Boulogne-sur-Mer ne se situe pas précisément sur la Côte d'Azur ni en Aquitaine ! Bref, j'étais restée suffoquée
devant autant d’incompétence et de désinvolture (chez un musicien
qui a par ailleurs un vrai talent) et j’étais sortie de cette entrevue convaincue
qu’il n'y avait rien à attendre d’un bonhomme qui plastronnait ainsi tout en laissant échapper des remarques tâchées d’un
racisme anti-blanc sous-jacent, tout aussi odieux que celui dont les
Amérindiens ont souffert et continuent à souffrir de la part de
trop nombreux descendants de colonisateurs espagnols.
(3) Autant Página/12
et La Nación s’insurgent devant le caractère illégal de la privatisation d’un lieu public et patrimonial,
autant Clarín prend l’affaire à la légère : il titre
"Insolite : un
artiste clôture le mont des Sept Couleurs".
Comme s’il s’agissait d’une petite anecdote distrayante pour
occuper le temps entre Noël et le Nouvel An !!!
(4) Il faut dire que la
province de Jujuy est aux mains d’un gouverneur qui a une très
curieuse conception de la légalité. Alors qu’il est très
indifférent, pour ne pas dire hostile, aux réalités amérindiennes
de la population provinciale (qui compte de nombreuses ethnies
précolombiennes), il vient de se marier, avec un tapage ahurissant
(et quelque peu ridicule, tant la cérémonie était insincère), en
rite quechua, parce qu’il ne pouvait pas épouser légalement sa
fiancée, dont le divorce n’était pas encore prononcé. Depuis, ce
divorce est intervenu et les tourtereaux ont convolé en justes noces
devant un officier d’état-civil, comme le veut la loi (issue du
Code Napoléon). L’Argentine ne reconnaît pas la validité du
mariage religieux, qui est une démarche privée. Et - cerise sur le
gâteau !, le couple présidentiel était invité à la noce, le
gouverneur appartenant à la majorité nationale dont il est un
élu-godillot dans toutes les dimensions du terme.