Malgré le silence politique qui
s'impose aux candidats et à leurs équipes de campagne pendant les
deux journées de réflexion électorale (veda electoral) qui
précèdent le scrutin, la presse a trouvé matière à continuer à
alimenter la campagne ce matin. Je n'avais encore jamais vu les
journaux argentins prendre aussi ouvertement parti un samedi de
week-end électoral... Sans doute les enquêtes d'opinion, dont la
presse n'a que peu fait état tout au long de ces quatre semaines de
campagne, montrent-elles des résultats très incertains pour qu'on
ait aujourd'hui une telle bagarre dans les gros titres, sur les unes
et dans les pages intérieures ! Il est vrai aussi que c'est la
première fois de son histoire que l'Argentine connaît un second
tour d'élection présidentielle et il faut croire que c'est un choc
pour beaucoup de gens, habitués qu'ils sont à des majorités très
nettes qui se dégagent vite.
Ainsi donc ce matin, Página/12 publie
une interview du Prix Nobel d'Economie Joseph Stiglitz, l'un des
tenants des théories hétérodoxes (1). Dans cet article, le
spécialiste nord-américain critique le modèle néolibéral dominant mis en œuvre
par Mauricio Macri, dans la ville autonome de Buenos Aires, et vanté
par lui tout au long de sa campagne électorale depuis plus d'un an,
malgré un récent revirement après que les PASO aient donné un
avantage important à Daniel Scioli (2) le 9 août dernier (voir mon article du 10 août 2015).
En gros titre, sous l'image de Bamako : "Macri a choisi son premier ministre et Scioli continue sa campagne" |
Clarín publie quant à lui deux
articles : l'un est un rapide portrait du directeur de campagne
de Mauricio Macri, l'autre décrit une manœuvre plus que désagréable
attribuée à l'Ambassadeur d'Argentine en France peut-être pour se
faire bien voir du gouvernement sortant, dont elle est une chaude
partisane (3). Quant à La Nación, la rédaction présente les
bilans comparés des deux candidats à la tête de leur exécutif
local pendant leurs deux mandats consécutifs.
Pour aller plus loin :
lire l'interview de Joseph Stiglitz,
très intéressante indépendamment même du contexte électoral
argentin
lire l'article de Clarín sur Marcos
Peña, directeur de campagne de Macri
lire l'article de Clarín sur ce qui se
serait passé ces jours-ci dans l'Ambassade à Paris
lire l'article de La Nación sur les
bilans comparés des deux candidats.
Seule La Prensa respectait ce matin une belle réserve.
(1) Le quotidien n'indique pas la date
de l'interview mais seulement sa modalité : tout s'est passé
par téléphone et par mail avec l'entremise d'un jeune
étudiant-chercheur argentin qui travaille à l'Université de
Columbia, comme Stilglitz lui-même. Le journaliste ajoute toutefois
que les deux économistes sont attendus en Argentine en décembre
prochain, où ils animeront un colloque sur les dettes souveraines,
les crises macro-économiques et les politiques industrielles, des
sujets qui sont l'un des points les plus aigus de l'opposition entre
les deux candidats, Scioli et Macri.
(2) Comme la plupart des gens et comme
Macri lui-même qui s'est mis à faire des tas de promesses de
justice sociale et de redistribution économique, Scioli a dû croire
que les jeux étaient faits.Peut-être a-t-il baissé la garde.
Toujours est-il qu'il s'est fait rattraper par l'électorat qui a
voté beaucoup plus que prévu pour Mauricio Macri, à la plus grande
surprise de tous les observateurs et des acteurs eux-mêmes. Probablement a-t-il commis une erreur en publiant la composition de son futur gouvernement quelques jours avant le premier tour ! C'était une formidable provocation pour l'opposition, de droite comme de gauche (car la gauche ne semble pas avoir su s'unir ni avant ni après ce premier scrutin).
(3) Cette ambassadrice, nommée à
Paris il y a environ un an, est inscrite sur l'actuelle liste des
promotions diplomatiques déposée sur le bureau du Congrès dans le
cadre des nominations in extremis que le gouvernement sortant
multiplie depuis une semaine. Elle passerait ainsi du rang de
ministra à celui d'embajadora, le top de la hiérarchie, qui lui serait définitivement
acquis, même si elle devait cesser de représenter effectivement son
pays à l'étranger. Elle aurait ainsi bloqué l'accès au site
Internet de Clarín sur le réseau Internet de l'Ambassade et se
verrait gravement contestée par le personnel subalterne qui ne
supporterait pas l'arrogance qu'elle manifeste à son égard. Il est
vrai que son positionnement partisan se note à vue d'œil et que la frénésie de nominations dont fait preuve ce gouvernement à trois semaines de la fin du mandat est d'une insigne maladresse. Il ne ferait pas autrement s'il voulait accréditer
les nombreuses accusations de corruption et de concussion dont collectivement il
fait l'objet de la part de ses adversaires de tous les courants (pas
seulement de la part de l'équipe de Macri).