vendredi 6 novembre 2015

La 118ème identification tombe dans la campagne de second tour [Actu]

Gros titre : "C'est un résultat que l'on doit au soutien de l'Etat"
En manchette, en haut, à droite : "Mets ta jupe si t'es un homme !"
allusion à une manifestation hier à Buenos Aires :
des hommes se sont rassemblés au pied de l'Obélisque, en jupe,
pour se solidariser avec les femmes battues
dans la campagne nationale Ni una menos (pas une seule en moins)

Hier, l'ONG Abuelas de Plaza de Mayo a annoncé publiquement, à travers une conférence de presse, l'identification d'un nouveau fils de disparus, Martín Ogando de son vrai nom, le petit-fils de Delia Giovanola, l'un des fondatrices de l'association. Pendant la dictature militaire de 1976 à 1983, son fils, Jorge Ogando, et sa belle-fille, Stella Maris Montesano, étaient tous deux militants dans une structure marxiste et révolutionnaire de lutte armée, le PRT-ERP (parti révolutionnaire des travailleurs, fraction rouge), ils ont été arrêtés le 16 octobre 1976.

Ils avaient alors déjà une fille, Virginia, et Stella Maris, enceinte, était à quelques semaines du terme. En détention, elle mit au monde un petit garçon le 5 décembre 1976 et le prénomma Martín. Virginia, quant à elle, avait été oubliée ou abandonnée dans le logement familial par les hommes de main venus arrêter le couple et c'est là que des voisins la retrouvèrent puis la confièrent à sa grand-mère. Virginia avait alors trois ans. Delia Giovanola se joignit alors à d'autres femmes qui se trouvaient dans la même situation qu'elle et recherchaient leurs enfants et leurs très jeunes petits enfants, déjà nés ou à naître. Ce fut le point de départ de l'association. Adulte, Virginia Ogando a accompagné sa grand-mère dans la recherche de ce frère disparu jusqu'à son suicide en 2011. Depuis, seule la grand-mère a maintenu vivant l'espoir de connaître un jour cet enfant.

Martín Ogando vit à l'étranger et a pris contact avec Abuelas le 30 mars de cette année et les opérations ont pris plus de temps que d'habitude, d'une part à cause de la distance et du passage par un consulat et d'autre part, parce qu'entre temps, la Banque nationale des Données génétiques (BNDG) a changé d'autorité de tutelle, en passant de l'hôpital qui l'a accueillie à sa fondation au ministère des Sciences et Technologies, ce qui a entraîné un déménagement du matériel, du laboratoire et du siège social ainsi qu'un changement de direction, la précédente directrice ayant démissionné pour protester contre ce transfert qui semblait, à beaucoup (1), menacer l'impartialité de l'institution.

Averti avant-hier de son identité, Martín a téléphoné à sa grand-mère qui venait elle aussi d'être informée par ses compagnes de l'ONG. Abuelas avait eu vent de cette possibilité de découvrir un petit-enfant dans cette famille où circulaient des bruits sur l'origine véritable de l'enfant adopté.

Le ministre des sciences et technologies ainsi que le secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme assistaient à la conférence de presse. Le ministre a déclaré à la presse que cette identification lui donnait l'occasion de montrer que le BNDG menait toujours aussi bien sa mission, avec en prime de meilleures conditions de travail pour les salariés qui disposent d'installations plus fonctionnelles et d'un niveau technique international (2).

A la fin de la conférence de presse, des journalistes ont pressé Estela de Carlotto de se positionner sur l'enjeu du second tour de l'élection présidentielle, dont on sait déjà ce qu'elle pense même si elle n'avait fait aucune déclaration à ce propos depuis le 25 octobre. Les positions prises publiquement par Mauricio Macri contre la poursuite du processus judiciaire avant même les primaires de cet hiver l'avaient déjà fait sortir de sa réserve il y a de nombreux mois (voir mon article du 15 décembre 2014 et celui du 5 janvier 2015). Aujourd'hui, elle a donc répondu avec mesure :

Para nosotros, la diferencia entre los dos candidatos está clara. Nuestro pueblo sabe entender esa diferencia y elegirá a aquel que le de la tranquilidad de vivir, hablar sin riesgos, no tener miedo y acompañar esta democracia que nos costó tanta vida, tanta sangre” […] “Lucharemos por la democracia así como luchamos contra Videla”.
(Página/12)

Pour nous, la différence entre les deux candidats est claire. Notre peuple sait comprendre cette grande différence et choisira celui susceptible de lui donner la tranquillité de vie, la possibilité de parler sans risque, de ne pas avoir peur et d'accompagner notre démocratie qui nous a coûté tant de vies et tant de sang. [...] Nous combattrons pour la démocratie comme nous avons combattu contre Videla.
Traduction © Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :
Sur le site Internet de Abuelas, vous pouvez trouver le documentaire consacré à la grand-mère, Delia Giovanola, dans la série Somos Memoria, de Canal Encuentro.

Ajout du 8 novembre 2015 :
lire l'article de Página/12 qui interviewe la nouvelle directrice du BNDG, qui revendique l'efficacité de la structure.



(1) A la surprise générale, Estella de Carlotto avait soutenu ce changement de tutelle en signalant que partout dans le monde démocratique, ce genre d'institution dépend de l'Etat qui en assure l'impartialité et la pérennité, ce qui est exact. Elle était sûre que l'institution avait assez de métier pour être détachée du contexte associatif qui l'avait vu naître. Mais une grande partie de l'opinion publique restait très méfiante. Aujourd'hui en Argentine, le plupart des gens confondent encore Etat et Gouvernement, la Nation en tant qu'elle est organisée et les hommes et femmes politiques qui occupent ponctuellement les fonctions gouvernementales au gré des élections et des nominations. A la fin de cette conférence de presse, Estela de Carlotto n'a pas manqué de faire remarquer que cette nouvelle identification atteste de l'efficacité du BNDG tel qu'il fonctionne aujourd'hui.
(2) Le BCDG argentin est d'ailleurs un modèle du genre, y compris pour le monde industrialisé, où son expertise est reconnue sans ambiguïté.