vendredi 27 novembre 2015

Une transition plus douce que prévu [Actu]

Le nouveau bastón de mando (la canne de commandement)
attend le Président Macri à la Casa Rosada
L'orfèvre qui l'a décoré l'a livré il y a quelques jours à l'Etat contre 1 peso symbolique
Avec l'écharpe bleu et ciel, c'est l'un des insignes du pouvoir exécutif argentin

Le ministre du Travail a été nommé : il s'agit d'un député PRO, qui est aussi le fils d'un des anciens dirigeants de la CGT. A ce titre, son père a occupé ce même poste dans les années 1990, sous la présidence de Carlos Menem (de si affreuse mémoire). Cependant, le retard dans cette nomination est due aux consultations conduites par l'équipe Macri avec les syndicats, qui ne voulaient pas du premier candidat, trop lié au patronat à leurs yeux. Avec la nomination de Jorge Triaca fils, les syndicats s'estiment respectés. Quel progrès par rapport à la prise de fonction de Mauricio Macri à Buenos Aires en 2007, quand l'une de ses premières décisions avait été d'aller directement à l'affrontement avec les syndicats du métro et des salariés de la Ville ! La seule réaction franchement hostile semble venir d'un dirigeant ingérable de la CGT, le patron des camionneurs, le séditieux Hugo Moyano, qui n'avait pas hésité, il y a quelques mois, à déserter les rangs péronistes pour se ranger sous la bannière de Macri. Il fanfaronnait encore lundi matin. Peut-être est-il tout simplement dépité, il a pu croire que le poste lui reviendrait !

La reconduction du ministre de la Recherche scientifique stupéfie toujours son monde et oblige les différents acteurs politiques à prendre position. Cristina Kirchner a ainsi confirmé publiquement et en personne ce qu'avait révélé avant-hier son Premier ministre : elle a été consultée par Lino Barañao lorsqu'il s'est vu proposer son maintien. Il ne voulait pas accepter sans son accord. Elle le lui a donné et s'en est publiquement félicité hier, tout en avertissant qu'elle y avait mis deux conditions : que la politique de développement scientifique et technologique soit maintenue et qu'elle bénéficie des mêmes moyens budgétaires et humains. Par ailleurs, la Présidente sortante a reçu les sénateurs kirchneristes et elle a obtenu d'eux qu'ils cèdent la présidence de leur assemblée au PRO pour la période de transition, avant même la prestation de serment de Gabriela Michetti, la prochaine présidente du Sénat. L'actuel vice-président est depuis quelques jours en très mauvaise posture judiciaire : poursuivi depuis de nombreux mois pour des soupçons de trafic d'influence et de corruption, il vient de se voir notifier l'interdiction de sortir du pays, y compris pour les vacances d'été après la fin du mandat.

Du côté de l'Education, la transition s'annonce tout aussi pacifique : Alberto Sileoni a reçu son successeur au Ministère et s'est dit rassuré sur le maintien de la politique actuelle, l'éducation pour tous, une montée en niveau et en équipement. Il estime même que Esteban Bullrich améliorera encore les choses et continuera à développer le système éducatif argentin.
Daniel Scioli lui-même, le candidat malheureux à ce second tour présidentiel, a accordé une interview apaisée à Clarín, considéré jusqu'à il y a quelques jours comme l'ennemi juré du kirchnerisme (et il y avait en effet une hostilité très marquée). Scioli appelle les péronistes à garder leur sang-froid et à coopérer démocratiquement avec le nouveau gouvernement, en montrant leur sens des responsabilités, et se dit le premier à vouloir le faire. Et il le fait avec cette interview donnée à ce quotidien-là !

Pour ma part, je dois reconnaître que je m'attendais de part et d'autre à une transition vociférante, très véhémente, car dans les deux camps on donnait jusqu'à présent volontiers de la voix et les arguments qu'ils se jetaient à la figure manquaient quelque peu de nuances. Pourtant il ne me semble pas aujourd'hui que ce à quoi l'on assiste relève de postures ni chez les uns ni chez les autres. S'ils sont si nombreux, du côté des sortants comme du côté des entrants, à dire que les politiques qui ont prouvé leur efficacité seront reconduites et à montrer leur bonne volonté en évitant les habituels noms d'oiseaux, c'est qu'une page est sans doute en train de se tourner en Argentine et qu'un progrès considérable a été réalisé dans l'instauration de la démocratie de ce pays, à l'abri des regards, sous la véhémence des querelles politiques quotidiennes.

Estela de Carlotto était hier au Centro Cultural Kirchner pour la présentation de la biographie que lui a consacrée le journaliste cordobais Javier Folco. Elle avait la mine soucieuse et semblait préoccupée (ce résultat est celui qu'elle redoutait) mais elle a tenu à dire que la démocratie surpassait tout et qu'elle respectait donc le suffrage exprimé, tout en considérant qu'il ne fallait pas abaisser les drapeaux, qu'il fallait continuer le combat et exiger que la justice continue son œuvre.

Il y a toutefois eu des réactions vraiment très désagréables et même, pourquoi ne pas le dire, franchement anti-démocratiques dans les rangs de la gauche péroniste :
  • l'appel sectaire et déplorable de Hebe de Bonafini, la présidente de Madres de Plaza de Mayo, qui appelle à une manifestation contre Mauricio Macri pour le 10 décembre, le jour de sa prise de fonction. Bonafini déclare ouvertement qu'elle considère ce dernier comme un ennemi (enemigo) et qu'elle condamne (repudia) sa présence à la Casa Rosada ;
  • une faction kirchnériste à Córdoba qui appelle au boycott de la Province pour les prochaines vacances d'été. Pourquoi ? Parce que la Province de Córdoba a voté à 73% pour Macri et aurait de ce fait insulté tout le reste du pays. On est en plein délire. Heureusement, ce type de réaction est rare et n'est pas représentatif des organismes qui animent la vie du pays : partis politiques, associations légales, syndicats, corps constitués...

Pour en savoir plus :
Sur le nouveau ministre du Travail :
lire l'article de Clarín sur la fureur de Hugo Moyano

Sur la transition :
lire l'article de Página/12 sur l'accord de Cristina Kichner au maintien de son ministre, qui n'a donc pas été débauché par Macri pour faire un coup politique, comme Bernard Kouchner l'avait été par Nicolas Sarkozy
lire l'article de Clarín sur le même sujet
lire l'article de La Prensa sur les réactions positives de Alberto Sileoni (actuel ministre de l'Education, très apprécié lui aussi pour ses compétences, malgré la mauvaise volonté de quelques lecteurs de Clarín qui n'engage que ceux qui l'expriment)
lire l'article de Página/12 sur le cession de la présidence du Sénat au groupe PRO pour la durée de la transition, alors que la Chambre des Députés continue sur sa lancée et vote en pagaille des dizaines de textes qui étaient déposés sur son bureau mais n'ont plus de raison d'être
lire l'article de La Nación sur les prises de position conciliantes de Daniel Scioli
lire l'article de La Prensa sur le même sujet, qui là encore surprend absolument tous les observateurs et bien au-delà d'eux !
lire l'article de Página/12 sur les positions expressément démocratiques exposées hier par Estela de Carlotto

Sur quelques rares réactions anti-démocratiques :
lire l'article de Clarín sur l'appel à manifester de Hebe de Bonafini, qui vient probablement de se discréditer définitivement après plusieurs scandales de mauvaise gestion financière à la limite de l'escroquerie
lire l'article de La Nación sur le même sujet
lire l'article de La Nación sur l'odieux appel au boycott de la Province de Córdoba.