Cliquez sur l'image pour lire les textes Macri est accompagné de sa troisième épouse et porte sa fille quelque peu perplexe sur ses épaules |
Avec 51,4% des voix exprimées,
Mauricio Macri vient d'être élu à la Présidence de la Nation
argentine. Il prendra ses fonctions le 10 décembre, date du Jour
International des Droits de l'Homme (ONU), choisi comme jour de
l'investiture présidentielle lors du retour de la démocratie en
1983.
Mauricio Macri sera accompagné par non
UN mais UNE vice-présidente, et c'est la première fois qu'une femme
est élue à cette fonction. A l'inverse de Cristina Fernández de
Kirchner, elle n'en fait pas un enjeu des luttes féministes
auxquelles elle semble très indifférente (1). C'est aussi la
première fois que le Sénat sera présidée par une personne en
fauteuil roulant, puisque Gabriela Michetti a perdu l'usage de ses
jambes à la suite d'un accident de voiture en 1994. Cela ne manque
pas de donner un message très ambigu, d'une part l'intégration à
la société des handicapée (on s'en félicite tous, semble-t-il)
et de l'autre cet homme beau, mince, debout, en position dominatrice,
et cette femme beaucoup moins photogénique, assise et donc plus
basse, comme dominée. Chercheront-il une astuce protocolaire pour
compenser cette impression le jour de la prestation de serment, où
la solennité du moment risque de la renforcer ?
Des questions restent pendantes pour
l'avenir.
La première, pour ce blog, est
l'avenir de la culture populaire.
Que vont devenir des événements comme
le Festival Indépendant du Tango du mois de mars, largement soutenu
par le ministère national de la Culture, un programme socio-pédagogique développé sur tout le pays comme Las Orquestas Infantiles du Maestro Claudio Espector, viré il y a deux ans par le gouvernement municipal de Macri et jamais réintégré dans ses fonctions à Buenos Aires malgré la décision de justice qui l'ordonne, une chaîne de télévision
comme Canal Encuentro, une institution comme el INCAA (l'institut national du cinéma et de l'audiovisuel) ou El Instituto de Revisionismo histórico Manuel
Dorrego (2), fondé par Pacho O'Donnell qui en a depuis abandonné la
présidence ?
Que vont devenir les universités nationales dont Mauricio Macri a déclaré, il y a
quelques mois, qu'elles étaient bien trop nombreuses ? (3) Qu'en
sera-t-il des programmes de recherche du CONICET, le conseil national de la recherche et de la technologie, surtout en ce qui
concerne la recherche fondamentale, toujours malmenée par les
politiques néolibérales qui ne comprennent pas "à
quoi ça sert". (4)
Que vont devenir les centres culturels
des ONG des droits de l'homme installés sur le campus de l'ex-ESMA ?
Ils sont financés en grande partie grâce aux subventions que l'Etat distribuait
jusqu'à présent aux associations militantes, solidaires et culturelles. Il en va de même de plusieurs radios associatives, comme La Voz de las Madres, la station de l'ONG Madres de Plaza de Mayo.
Quelle route va prendre el Instituto
Nacional Sanmartiniano, cet institut autrefois ultra-fermé,
terriblement vieillissant et qui tournait en rond dans un
environnement longtemps dominé par l'armée ? Depuis à peine
trois ans, il s'est enfin ouvert au grand public et a
considérablement rajeuni ses cadres sous la direction d'un civil, un
ancien batteur de rock appartenant à une famille de musiciens
talentueux, Eduardo García Caffi, qui avait dirigé auparavant Radio
Nacional (où il a laissé aux salariés le souvenir d'un management
équilibré qui leur laissait une autonomie que les gens de radio
apprécient toujours beaucoup).
Qu'en sera-t-il des projets pour
inclure les peuples originaires dans la communauté nationale ?
Un domaine dans lequel le bilan du gouvernement sortant est pour le
moins mitigé puisqu'il est contesté par un certain nombre de
communautés précolombiennes.
Que vont devenir le Secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme, le ministère des Sciences et Technologies (dont dépendent universités et Conicet) et le tout nouveau ministère national de la Culture (dont dépendent directement l'ensemble des musées et théâtres nationaux) ?
Que vont devenir le Secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme, le ministère des Sciences et Technologies (dont dépendent universités et Conicet) et le tout nouveau ministère national de la Culture (dont dépendent directement l'ensemble des musées et théâtres nationaux) ?
Les procès contre les criminels de la
Dictature qui restent encore à juger ainsi que ceux contre les parents qui ont adopté par fraude des enfants arrachés à leur famille sous cette même
dictature (apropiadores), l'identification de ces enfants devenus adultes s'ils ont survécu, celle des disparus eux-mêmes, tout ce combat va-t-il continuer d'exister ?
A Buenos Aires, les procès ouverts contre Mauricio Macri lui-même pour différentes violations majeures de la Constitution municipale (dont un procès pour des écoutes illégales dont il serait le commanditaire ou le bénéficiaire politique - on a écouté des gens de gauche) ainsi que pour des scandales de violence (de groupes paramilitaires à sa solde) et de corruption (pour lui-même ou pour ses affidés) vont-ils se poursuivre ? Lesquels d'entre eux provenaient d'une tactique partisane, lesquels reposent sur des faits avérés, prouvés et juridiquement répréhensibles ? De quelle liberté vont se réclamer les juges portègnes, qui sont statutairement indépendants du pouvoir exécutif, y compris au niveau du parquet ?
A Buenos Aires, les procès ouverts contre Mauricio Macri lui-même pour différentes violations majeures de la Constitution municipale (dont un procès pour des écoutes illégales dont il serait le commanditaire ou le bénéficiaire politique - on a écouté des gens de gauche) ainsi que pour des scandales de violence (de groupes paramilitaires à sa solde) et de corruption (pour lui-même ou pour ses affidés) vont-ils se poursuivre ? Lesquels d'entre eux provenaient d'une tactique partisane, lesquels reposent sur des faits avérés, prouvés et juridiquement répréhensibles ? De quelle liberté vont se réclamer les juges portègnes, qui sont statutairement indépendants du pouvoir exécutif, y compris au niveau du parquet ?
Qu'en sera-t-il de la politique de
redistribution sociale mise en place par le gouvernement sortant et
qui avait soutenu la consommation et amélioré la vie d'une majorité
de citoyens : allocations familiales et minimums sociaux,
système de retraite par répartition obligatoire, accès gratuit à
des hôpitaux de qualité, qui soient chauffés l'hiver et climatisés
l'été ?
Cliquez sur l'image pour lire les textes |
Dans le deuxième cercle des
observations développées dans ce blog, les questions économiques
sont en bonne place.
On sait d'ores et déjà que Mauricio
Macri veut diviser l'actuel ministère de l'Economie en trois ministères de plein droit. Dans un pays où, pour l'heure, les ministres
dépendent directement du président sans constituer un conseil des
ministres, à l'instar de l'administration fédérale des Etats-Unis
et au contraire des démocraties européennes, cette explosion du
portefeuille ne devrait pas entraîner de conflits entre les
ministres si toutefois les champs de compétence de chacun sont bien
définis d'emblée. On sait aussi que Macri veut accéder aux
demandes des créditeurs privés du pays, en particulier les trois
fonds spéculatifs qui sont en procès avec la République argentine
devant une cour locale new-yorkaise et qui veulent le remboursement
immédiat de la part de dette souveraine qu'ils ont rachetée sans
avoir jamais prêter le moindre centime à l'Argentine. Difficile de
savoir pour le moment si cette prise de position est un effet de
manche pour dire le contraire du gouvernement en place ou si cela
correspond à un principe politique effectif. Auquel cas, c'est sans
doute l'argent investi aujourd'hui dans la culture, les droits de
l'homme, la santé, l'éducation et la recherche qui devrait
prioritairement aller rejoindre les comptes en banque des hedges
funds contre les prétentions desquels divers pays (dont la Belgique)
et l'ONU elle-même viennent de voter des dispositions pour les
restreindre. Va-t-il maintenir l'effort de l'Etat pour entraver la fraude et l'évasion fiscales des entreprises (notamment internationales) et des riches contribuables et améliorer la collecte de l'impôt au niveau fédéral, depuis la TVA du commerce au détail jusqu'à l'impôt sur le revenu, le chiffre d'affaires, les contributions sociales des employeurs et l'économie au noir ?
On sait enfin qu'il devrait y avoir une
dévaluation du peso argentin dès la mi-décembre, ou au plus tard
en janvier (pendant les vacances d'été !), ce qui pourrait
bien détériorer assez vite le niveau de vie des classes moyennes,
des actifs et encore plus des retraités, et détruire le peu de
pouvoir d'achat dont jouissent les habitants des très nombreux
bidonvilles qui ont fait leur réapparition après la faillite du
pays en décembre 2001. Et cette dévaluation devrait s'accompagner
de la liberté des changes, de la levée des mesures protectionnistes
qui imposaient très lourdement tous les achats de quelque importance
réalisés à l'étranger (hi-fi, téléphonie, informatique,
électro-ménager, véhicules à moteur et achats somptuaires), qui
fragilisent le marché et la production industrielle intérieurs.
Que va-t-il advenir des entreprises
nationalisées au cours des huit dernières années grâce à des
votes du Congrès très larges, souvent consensuels quand ils
n'étaient pas unanimes : Aerolineas Argentinas (les avions), YPF (le pétrole), Ferrocarriles
Argentinos (les trains) ?
La politique de subventions fédérales
de projets de Recherche et Développement en technologies de pointe
sera-t-elle reconduite pour les PME ? Il suffit d'aller lire les
informations sur ce point sur le site Internet de l'Union
Industrielle Argentine (UIA) pour se rendre compte que les
entreprises étaient fortement encouragées à innover, avec des montants loin d'être négligeables. Le
secrétaire-général de l'UIA avait d'ailleurs récemment exprimé
quelques doutes sur la capacité de Mauricio Macri à soutenir le
développement industriel du pays.
Sur tous ces plans de politique
intérieure, la presse relève dans le discours de l'élu hier soir
la promesse d'être le président de tous les Argentins dans
l'abandon de tout esprit partisan (ça, Cristina l'avait fait aussi
mais elle n'y est guère parvenue et d'autres par chez nous l'ont
fait aussi sans grand résultat non plus) et de refuser d'enclencher
des représailles contre le camp adversaire. Pour s'y tenir, il va
falloir qu'il ait cette volonté bien chevillée au cœur, car ce
n'est pas l'état d'esprit général qui règne en Argentine, ni d'un
côté ni de l'autre. Le fait d'accéder au pouvoir fédéral tout en
ayant une capitale et une province de Buenos Aires acquises à sa
politique change beaucoup la donne. Plusieurs Provinces ont aussi
basculé dans le camp de Cambiemos (Changeons). Le paysage politique argentin a
donc bien changé et se rapproche d'un paysage européen, avec un
équilibre entre gauche et droite, entre deux conceptions opposées
du pays. Dans ces circonstances inédites, il n'est pas impossible
que Mauricio Macri présente un visage qu'on ne lui a encore jamais
vu tout au long de ses deux mandats à la tête de Buenos Aires, même
si cela surprendrait beaucoup les observateurs.
Dans le domaine international, qu'en
sera-t-il des relations avec les pays voisins, notamment le Chili de
Michelle Bachelet, l'Uruguay de Tabaré Vázquez, la Bolivie du très
remuant et très aymara (5) Evo Morales ou le Brésil de la désormais
fort controversée Dilma Roussef alors que s'approchent les Jeux
Olympiques, tous quatre gouvernés à gauche ? Il est probable
que les relations avec le Venezuela de Nicolás Maduro vont se tendre
et que celles avec la Colombie, gouvernée à droite, vont
s'améliorer. Le rêve de la Patria Grande et de l'intégration
continentale à travers l'Unasur et le Mercosur semblent s'éloigner
à grands pas, avec le retour au pouvoir d'une tradition patriotique
qui s'est historiquement construite dans l'hostilité aux pays
voisins, avec quelques guerres à la clé, contre le Brésil, le
Paraguay et le Chili surtout.
Dans ces nouvelles données
diplomatiques, la Province de Mendoza réussira-t-elle à sauver sa
position de passage obligé du commerce terrestre entre le Brésil,
l'Argentine, le Chili et le Pérou, fortement menacée à présent
par un projet du Chili qui consiste à déplacer vers le nord le
point d'arrivée et de dédouanement de toutes les marchandises
internationales à destination du pays ou en transit à travers son
propre territoire ? (6)
Qu'en sera-t-il des relations avec
David Cameron au sujet des Malouines dont les habitants, tous
britanniques, ont, sur Twitter, salué la victoire de Mauricio Macri
en déversant des propos au vinaigre contre Cristina Fernández de
Kirchner (lire à ce propos l'entrefilet de El Observador, le
quotidien uruguayen) ? Or beaucoup de fervents militants de
l'argentinité de l'archipel viennent de voter pour Macri par haine
pour le FpV (Frente para la Victoria) quand ce n'est pas par haine
pour la personne de Cristina ? (7)
En ce qui concerne l'Espagne, on peut
imaginer sans difficulté que les relations avec Mariano Rajoy seront
bien meilleures que celles que Cristina a jamais eues avec aucun des
présidents du gouvernement de la Péninsule, depuis l'expropriation
de Marsans du capital de Aerolineas Argentinas jusqu'à celle de
Repsol de celui de YPF...
Qu'en sera-t-il du rapprochement
accompli par Cristina avec la Russie de Vladimir Poutine, au moment
où celui-ci fait alliance avec les Etats-Unis et le reste de l'OTAN
pour contrer la montée du totalitarisme théo-califatiste qui met le
Moyen-Orient à feu et à sang après l'échec des printemps arabes ?
On peut très bien imaginer que de l'autre côté les relations avec
Israël devraient s'améliorer puisqu'il y a dans l'électorat de
Mauricio Marci un fort lobby juif pro-israëlien et aligné sur les
Etats-Unis. Quel impact ce rapprochement aura-t-il sur l'enquête
fédérale concernant les attentats contre l'AMIA et l'Ambassade
d'Israël à Buenos Aires il y a plus de vingt ans déjà ?
Que vont devenir les relations sud-sud
dans lesquelles s'était de plus en plus engagée l'Argentine sous
les deux mandats de Cristina de Kirchner, avec le Maroc et le Vietnam
notamment ? Sans oublier les nombreux contrats avec la Chine,
devenue l'un des grands investisseurs étrangers, au point d'avoir
obtenu la jouissance d'une base pour sa flotte militaire sur la côte
atlantique ? Une décision qui a fait faire la grimace à de
nombreux militaires qui voient d'un mauvais œil une telle puissance
internationale s'installer dans les eaux territoriales de leur pays
neutre, ce qui ne devrait pas être très apprécié à Washington ?
Cliquez sur l'image pour lire les textes En haut, Macri va embrasser Gabriela Michetti. En bas, Daniel Scioli et son épouse. |
Dernière question, plus symbolique que
stratégique, encore que dans ce domaine, le symbolique soit une
réalité politique à part entière :
Qu'en sera-t-il des rapports personnels entre le Président Macri et le Pape François ? Pour les rapports officiels et diplomatiques, il va sans dire qu'ils resteront excellents, non pas parce que le Pape est argentin mais parce que le Vatican entretient traditionnellement d'excellentes relations avec tous les pays d'Amérique du Sud. Toujours est-il que Macri est l'un des très rares responsables politiques argentins à ne pas avoir encore eu droit à sa photo avec le Saint Père et il est indéniable qu'il défend une politique néolibérale incompatible avec la doctrine sociale de l'Eglise (et les encycliques du pontificat en cours) tandis que dans sa vie privée, il est le modèle même du chrétien corrompu tel qu'il était dénoncé par le cardinal Bergoglio dans un article de 1991, Corrupción y pecado (Corruption et péché), réédité en livre de poche par Editorial Claretiana (2005) : l'homme de la bonne société qui, en montant sur les grands chevaux de la morale traditionnelle, clame "son mépris pour la prostituée, cette femme de mauvaise vie" (sans s'interroger jamais sur sa qualité de victime avérée d'un crime impuni de traite des êtres humains) "tandis qu'il se rend bien volontiers et sans aucun scrupule à la fête organisée par telle de ses amies pour son troisième mariage consécutif à son deuxième divorce". Or Macri est deux fois divorcé et son troisième mariage a donné lieu à une grande fête avec vaste couverture médiatique parfaitement maîtrisée par les époux puis à une abondante publicité sentimentaliste à la naissance de leur fille, où il a été présenté comme un jeune papa fondant de tendresse devant un bébé alors qu'il est déjà père de grands enfants nés de ses précédentes unions. Et la petite fille, qui n'a pas encore cinq ans, a été instrumentalisée au cours de la campagne électorale et elle était présente, dans les bras de son père, hier soir, à la fête de la victoire (comme on le voit à la une de Clarín et de El País, publiée dans mon autre article du jour sur le sujet) (8).
Correction du 24 novembre 2015 à ce paragraphe :
Si, Macri a une photo de lui en audience privée avec le Pape. Il y apparaît même en famille accompagnée de son épouse et de leur fillette, toute de blanc vêtue, dans les bras de sa mère, En revanche, je n'ai jamais vu ce cliché exploité à des fins électoralistes. Cela peut m'avoir échappé, bien entendu, mais cela veut dire au moins qu'il n'en a pas fait un usage excessif. Dont acte.
Une dernière remarque : il est plus que probable que les ambassadeurs vont changer très prochainement, à Washington, à Paris (à cause du Club de Paris, une institution clé dans la restructuration de la dette argentine) et à Tel Aviv (à cause des institutions juives argentines, majoritairement macristes), probablement à Bruxelles (à cause de l'Union Européenne), à Rome et à Madrid (à cause des fortes relations que les Argentins ont avec l'Espagne et l'Italie) et peut-être aussi à Beijing et à Moscou.
Qu'en sera-t-il des rapports personnels entre le Président Macri et le Pape François ? Pour les rapports officiels et diplomatiques, il va sans dire qu'ils resteront excellents, non pas parce que le Pape est argentin mais parce que le Vatican entretient traditionnellement d'excellentes relations avec tous les pays d'Amérique du Sud. Toujours est-il que Macri est l'un des très rares responsables politiques argentins à ne pas avoir encore eu droit à sa photo avec le Saint Père et il est indéniable qu'il défend une politique néolibérale incompatible avec la doctrine sociale de l'Eglise (et les encycliques du pontificat en cours) tandis que dans sa vie privée, il est le modèle même du chrétien corrompu tel qu'il était dénoncé par le cardinal Bergoglio dans un article de 1991, Corrupción y pecado (Corruption et péché), réédité en livre de poche par Editorial Claretiana (2005) : l'homme de la bonne société qui, en montant sur les grands chevaux de la morale traditionnelle, clame "son mépris pour la prostituée, cette femme de mauvaise vie" (sans s'interroger jamais sur sa qualité de victime avérée d'un crime impuni de traite des êtres humains) "tandis qu'il se rend bien volontiers et sans aucun scrupule à la fête organisée par telle de ses amies pour son troisième mariage consécutif à son deuxième divorce". Or Macri est deux fois divorcé et son troisième mariage a donné lieu à une grande fête avec vaste couverture médiatique parfaitement maîtrisée par les époux puis à une abondante publicité sentimentaliste à la naissance de leur fille, où il a été présenté comme un jeune papa fondant de tendresse devant un bébé alors qu'il est déjà père de grands enfants nés de ses précédentes unions. Et la petite fille, qui n'a pas encore cinq ans, a été instrumentalisée au cours de la campagne électorale et elle était présente, dans les bras de son père, hier soir, à la fête de la victoire (comme on le voit à la une de Clarín et de El País, publiée dans mon autre article du jour sur le sujet) (8).
Correction du 24 novembre 2015 à ce paragraphe :
Si, Macri a une photo de lui en audience privée avec le Pape. Il y apparaît même en famille accompagnée de son épouse et de leur fillette, toute de blanc vêtue, dans les bras de sa mère, En revanche, je n'ai jamais vu ce cliché exploité à des fins électoralistes. Cela peut m'avoir échappé, bien entendu, mais cela veut dire au moins qu'il n'en a pas fait un usage excessif. Dont acte.
* * *
Une dernière remarque : il est plus que probable que les ambassadeurs vont changer très prochainement, à Washington, à Paris (à cause du Club de Paris, une institution clé dans la restructuration de la dette argentine) et à Tel Aviv (à cause des institutions juives argentines, majoritairement macristes), probablement à Bruxelles (à cause de l'Union Européenne), à Rome et à Madrid (à cause des fortes relations que les Argentins ont avec l'Espagne et l'Italie) et peut-être aussi à Beijing et à Moscou.
Pour la compréhension de cette
élection, il faudra que les politologues se penchent sur le
revirement de l'électorat, qui est passé d'une majorité scioliste
le 9 août aux PASO à cette majorité macriste impensable il y a
quatre mois. Certes elle n'est pas massive et c'est la première fois
que l'Argentine voit son électoral aussi profondément divisé, ce
qui fait que Página/12 titre sur un seul président et deux pays.
C'est aussi l'apprentissage d'une structure de pays de vieille
démocratie comme ceux qui existent en Europe de l'ouest où la
gauche et la droite sont à peu près à égalité numérique et où
le marais, les indécis, les influençables font la différence.
Quel rôle ont joué le comportement
personnel de la Présidente Cristina Kirchner (toujours irritant pour
la moitié de l'électorat), le manque de charisme de Daniel Scioli
et l'allure élégante très bling bling, très jaileife (9) de Macri
(10), le revirement de ce dernier en août lorsqu'il a soudain fait
des promesses très sociales, un peu à la mode de Jacques Chirac
avec sa fracture sociale en 2002, tandis que Scioli vendait la peau
de l'ours avant de l'avoir tué à la veille du premier tour en
octobre dernier ?
Il est impossible de répondre à tout
cela pour le moment.
Autour de Daniel Scioli, on n'a pas
tardé à faire porter la faute de la défaite sur Cristina Kirchner.
Est-ce une manifestation du machisme très profond du personnel
politique argentin (de gauche comme de droite), une libération
soudaine de la parole (on la dit très despotique avec son entourage
et au sein du FpV, comme cela a pu être dit de Ségolène Royal dans
sa région Charentes-Poitou), le diagnostic d'une authentique erreur
stratégique de son fait ? Là aussi, il est un peu tôt pour le
savoir. On notera seulement que ni Daniel Scioli ni Mauricio Macri
dans leur discours d'hier ne l'ont mentionnée alors qu'elle a
téléphoné à l'un et à l'autre et que très démocratiquement
elle n'a pas tardé à appeler le leader de l'opposition pour le
féliciter de son élection. Si Mauricio Macri ne veut pas entamer la
vendetta, il est bien dommage que le premier signe qu'il donne soit
un silence sur ce point institutionnelle.
Aujourd'hui même Mauricio Macri et
Cristina Kirchner se réuniront à la résidence présidentielle de
Olivos, en banlieue nord de Buenos Aires, pour organiser la transmission des pouvoirs qui sera effective
le 10 décembre avec la prestation de serment du nouveau mandataire
devant le Congrès réuni.
Pour aller plus loin :
- comme d'habitude dans ces cas-là, la
presse est pleine d'articles de toutes sortes. Je ne vous donne ici
que ceux qui font la une -
lire le portrait que ce journal (de
gauche) fait de la prochaine vice-présidente, handicapée moteur
(1) Comme beaucoup de libéraux,
Gabriela Michetti est une individualiste. Elle ne croit guère aux
luttes collectives. Elle est partisane du chacun pour soi qui
caractérise la culture des Etats-Unis.
(2) C'est une institution qui a peu de
légitimité scientifique (au sens universitaire de l'adjectif) mais
elle contribue à modifier le discours des historiens. L'affichage
idéologique souvent outré de ses membres (des militants péronistes
bien plus que des historiens) oblige les historiens en quête de
sérieux à approfondir leur démarche méthodologique. Quant aux
autres historiographes partisans (appartenant à d'autres obédiences
politiques), ils y répondent aussi, les uns en se radicalisant dans
leur idéologie, les autres en qualifiant leur démarche
scientifique.
(3) Il est lui-même issu d'un cursus
dans diverses universités privées, d'abord à Buenos Aires, à la
UCA (l'université pontificale catholique) puis aux Etats-Unis où il
a achevé ses études d'ingénierie avant de revenir en Argentine
prendre les rênes du puissant groupe de travaux publics fondé par
son père. La plupart des universités privées à Buenos Aires et
ailleurs, la Universidad Congreso de Mendoza par exemple, où je suis
intervenue le 27 août dernier, fonctionnent sur un mode largement
commercial (à l'exception toutefois de la UCA, qui suit le modèle
de toutes les universités catholiques du monde). Les études y sont
payantes et assez chères, ce qui n'est pas un petit obstacle pour de
nombreux étudiants en Argentine.
(4) Réponse : à rien, en tout
cas directement. Mais il se trouve que sans recherche fondamentale,
il ne peut y avoir de progrès ni en recherche appliquée ni en
technologie. Pour figurer en bonne place sur le plan international et
développer un tant soit peu la technicité nationale, il est donc
indispensable de subventionner une recherche même si elle semble
partir dans tous les sens, de façon anarchique, et qu'elle n'est pas
évaluable en retour sur investissement chiffré. Mauricio Macri ne
semble pas avoir compris cette dimension essentielle de la recherche,
qui est parfaitement étrangère à sa formation d'ingénieur. Il y a
souvent une grande incompréhension entre les ingénieurs et les
chercheurs, une incompatibilité culturelle qui provoque la plupart
du temps des catastrophes lorsqu'un chercheur est nommé à la tête
d'une institution d'ingénierie et qu'un ingénieur l'est à la tête
d'un institut de recherche. En France, par exemple, le CNES en sait
quelque chose depuis de nombreuses années. J'y ai travaillé et cela
a été beaucoup de souffrance pour tout le monde et débouche
aujourd'hui sur des conditions de travail épouvantables et une
activité dont la qualité globale dégringole au fil des années.
(5) Evo Morales est avant tout un
leader de l'ethnie aymara et un défenseur des peuples originaires et
leur culture ancestrale, fort malmenée dans l'Amérique du Sud
libre-échangiste inspirée par la culture anglo-saxonne, dont
Mauricio Macri est un parfait représentant.
(6) Du coup, tout le flux brésilien
passerait directement par la frontière brésilo-préruvienne et
Mendoza ne traiterait plus que les marchandises argentines et
uruguayennes, soit une baisse considérable d'activité pour la route
internationale Mendoza-Santiago, vieille voie commerciale qui remonte
à l'époque coloniale. Ce serait donc un coup structurel pour
l'économie cuyaine qui est essentiellement agraire (vin, huile,
cidre, fruits et légumes, viandes), touristique (sports d'hiver,
sports équestres, parcs naturels) et commerciale (transit
international). Le 4 décembre, c'est un gouverneur radical (UCR) qui
prend ses fonctions, porté au pouvoir par une alliance électorale
avec le PRO (de Macri) et une formation social-démocrate locale.
(7) J'ai été effarée ces deux
dernières années d'entendre la haine qui affleurait ou s'affichait
franchement dans le discours de nombreuses personnes par ailleurs
très sensées mais solidement installées dans l'opposition. J'ai
entendu de tout et surtout des accusations que mes interlocuteurs
n'appuyaient sur aucune preuve d'aucune forme : elle était
accusée d'être tantôt hystérique tantôt bipolaire, d'être une
voleuse, d'être à la tête d'un réseau de corruption (lequel ?),
d'avoir fait assassiner le procureur Alberto Nisman en janvier dernier, je vous en passe, des
vertes et des pas mûres. Reste à voir maintenant comment va évoluer
l'enquête fédérale du juge d'instruction, Daniel Rafecas, en
charge du dossier Hotesur, l'hôtel de Patagonie de la famille
Kirchner soupçonnée (mais jamais inculpée à cette date) d'y
blanchir l'argent des pots-de-vin perçus dans le cadre des fonctions
électives ou politiques détenues par plusieurs de ses membres.
(8) En ce sens, Macri n'est pas sans
rappeler les incohérences ou les insincérités de Nicolas Sarkozy
qui affirmait à Rome, devant Benoît XVI, lors de son installation
comme chanoine d'honneur de la basilique du Latran, que la religion
offre des valeurs plus solides que l'école publique et qui eut un
jour l'impudence de communier publiquement, en sa qualité de chef
d'un Etat séparé à grand bruit des Eglises, alors qu'il est
plusieurs fois divorcé-remarié (ce que la disciple de cette Eglise
qu'il prétend honorer interdit formellement).
(9) bling bling en lunfardo. L'adjectif
est la transcription en orthographe espagnole de l'expression
anglaise, high life (style de vie de la jet-set).
(10) Très différente de l'attitude
bling bling de Nicolas Sarkozy en ce sens qu'il n'y a chez Macri
aucune fascination pour l'argent des hommes d'affaires puisqu'il en
est un et que cet argent, il l'a. Et contrairement aux vieilles
familles européennes qui savent ne pas afficher leur richesse tout
en vivant de manière somptueuse au jour le jour, il a une attitude
de nouveau riche, qu'il est en quelque sorte, puisqu'il est un
héritier de seconde génération seulement. Très différent de la
haute société argentine de vieille extraction patricienne, dont le
mode de vie est plus semblable à celui de notre ancienne
aristocratie et haute bourgeoisie d'affaires.