lundi 2 août 2010

Alfredo Arias et toute la troupe à l’Alvear pour une version argentine de Tatouage [à l’affiche]

Alfredo Arias et toute la troupe de Tatouage sont à Buenos Aires pour jouer la pièce avec son titre et son texte argentins (Tatuaje). Le spectacle se donnera plusieurs soirs par semaine pendant trois semaines au Teatro Presidente Alvear, Corrientes 1659.

La première a lieu vendredi 6 août d’après le site du Complexe Théâtral de Buenos Aires (Clarín avance néanmoins la date du jeudi 5 août)

Le spectacle se donnera du mercredi au samedi, à 21h, et le dimanche, à 19h30. Plus tard dans l’année, les artistes reviendront en France où une tournée de cinq mois est prévue, qui doit passer par le Théâtre du Rond-Point à Paris en avril 2011 et à Nice en mai (où les représentations auront lieu à guichets fermés. C’est déjà complet).

Prix des places à Buenos Aires du jeudi au dimanche : 50 $ à l'orchestre, 30 $ au premier balcon et 15 aux autres étages
Le mercredi (jour à prix réduit, dit jour populaire -ça existe encore à Buenos Aires) : orchestre et premier balcon à 25 $ et ailleurs à 10 $.

Photo publiée par le site de Clarín

Alfredo Arias est entouré de la même distribution qu’à l’automne dernier à Paris au Théâtre du Rond-Point : Carlos Casella, Marcos Montes, Sandra Guida et Alejandra Radano.

Ceux qui ont vu le spectacle à Paris et les lecteurs de ce blog qui ont lu mes articles à son sujet en novembre, décembre et janvier, se souviennent que ce spectacle est une évocation fantastique et passablement onirique de deux figures exceptionnelles, celle d’un chanteur espagnol homosexuel et efféminé, chassé d’Espagne par le franquisme, et celle d’Eva Perón, dont les Argentins ont célébré le souvenir, il y a quelques jours, à l’occasion des 58 ans de sa disparition (voir mon article du 27 juillet 2010).

La semaine dernière, le jeudi 29 juillet 2010, Clarín a donc saisi l’occasion pour interviewer l’auteur-metteur en scène et comédien après le succès parisien (mes lecteurs se souviennent sans doute qu’en octobre, Página/12 avait publié lui aussi une interview mais avant les représentations parisiennes… Voir mon article du 27 octobre 2009)

Extraits de l’interview :
Aunque su vida transcurre desde hace décadas en París y es uno de los directores de elite en la escena europea, cada visita a la Argentina lo ubica en una situación singularmente sensible. “Me he relatado como un argentino en idioma francés y es difícil unirse emotivamente a la lengua extranjera”, dice. “Con los años me di cuenta que me he refugiado en otra cultura, la francesa. Por eso en Buenos Aires me conmueve y fragiliza enormemente decir cosas en español. Hace poco fui a un médico por un resfriado y me preguntó ¿De dónde venís? Tenés un acento ... y eso me arruinó el día. Me siento profundamente argentino, a pesar de haber vivido cuarenta años en Francia.”
Clarín

Bien qu’il ait fait sa vie depuis plusieurs décennies à Paris et qu’il soit l’un des metteurs en scène très recherché de la scène européenne, chaque visite en Argentine le place dans une situation singulièrement délicate. "Je me suis identifié comme Argentin de langue française et c’est difficile de s’unir à la langue étrangère sur le plan émotionnel, dit-il. Avec les années, je me suis rendu compte que je m’étais réfugié dans une autre culture, la culture française. A cause de ça, à Buenos Aires, dire des choses en espagnol, ça me touche et me fragilise énormément. Il y a peu, je suis allé chez le médecin pour un rhume et il m’a demandé : «d’où viens-tu ? Tu as un accent...» et ça m’a fichu la journée en l’air. Je me sens profondément argentin, même si j’ai passé quarante ans en France".
(Traduction Denise Anne Clavilier)

De la marca que le dejó Evita, dice Arias: “Yo fui un niño peronista. En mi familia eran radicales y yo milité individualmente por Eva Perón. Tengo su imagen ligada a una expectativa: de chico me imaginaba que ella iba a pasar por mi barrio regalando juguetes en un tren. Fue un personaje fantasma, nunca la vi, pero la aspiración de acercarme y de cultivarla como una especie de esperanza de algo diferente, extraordinario, me hizo mantener esa actitud hacia ella”.
Clarín

De l’empreinte qu'Evita a laissée sur lui, Arias dit : "J’ai été un enfant péroniste (1). Dans ma famille, on était radical (2) et moi, j’ai milité personnellement pour Eva Perón. Son image est chez moi liée à une attente : petit, je m’imaginais qu’elle allait passer en train dans mon quartier en distribuant des jouets. Elle a été un personnage phantasme, je ne l’ai jamais vue mais l’aspiration à m’approcher d’elle et à la soigner comme une espèce d’attente (3) de quelque chose de différent m’a fait maintenir cette attitude envers elle".
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Sur le chanteur Miguel de Molina, qui partage la pièce avec le personnage d’Evita, Alfredo Arias parle des innovations artistiques qu’il apporta à la scène et cette identité sexuelle ambigüe qui provoquait les hommes et en laissait pas les femmes indifférentes. Puis l’interview se prolonge :

¿Piensa que la homosexualidad era también una situación política que molestaba en la época?
No, creo que la poesía y lo extraño del personaje era lo que irritaba. El mismo lo dice: Si hubo otras más locas que yo, ¿por qué me persiguieron a mí? Tampoco era un personaje tan desencajado. La persecución va a buscar la poesía, del mismo modo que mataron a Lorca, también lo persiguieron a él. Lo que se cuenta en la historia de su vida que decidí incluir en este espectáculo es que fue un homosexual quien lo persiguió, un tipo que formaba parte del gobierno español, que hizo de su persecución un objeto de odio. Molina despertaba su deseo y a veces la gente quiere matar antes de exhibir lo que le pasa.
Clarín

Vous pensez que l’homosexualité était aussi une situation politique qui gênait à l’époque ?
Non, je crois que la poésie et le côté étrange du personnage, c'était ça qui causait de l’irritation. Lui-même le dit : "S’il y avait d’autres folles que moi, pourquoi m’ont-ils persécuté, moi ?" D’ailleurs, ce n’était pas non plus un personnage aussi disjoncté que ça. La persécution s’acharne sur la poésie, de la même manière qu’ils ont tué Lorca, ils l’ont persécuté, lui. Ce qui est raconté dans l’histoire de sa vie et que j’ai décidé de mettre dans le spectacle, c’est que c’est un homosexuel qui l’a persécuté, un type qui faisait partie du gouvernement espagnol, qui, en le persécutant, en a fait un objet de haine. Molina suscitait son désir et parfois, les gens préfèrent tuer plutôt que de montrer ce qui leur arrive.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

¿Cómo considera su diálogo con el público argentino?
Es algo sincopado. Porque en Francia tengo una continuidad, saben mi historia, tenemos lugares donde nos esperan. En Niza, por ejemplo, tenemos vendidas las entradas para nuestras funciones en mayo. Aquí es diferente. Yo lo veo así: esta ciudad es un laboratorio de mi memoria, con situaciones infinitas que enfrento. Lo que pase, lo acepto como venga y como sea con el público que esté ahí.
Clarín

Quel regard jetez-vous sur votre dialogue avec le public argentin ?
C’est un truc syncopé. Parce qu’en France, j’ai une continuité, on connaît mon histoire, il y a des lieux où l'on nous attend. A Nice par exemple, toutes les places sont déjà vendues pour nos représentations de mai. Ici, c’est différent. Moi, je vois ça comme ça : cette ville est un laboratoire de ma mémoire, avec des situations infinies que j’affronte. Quoi qu’il arrive, je l’accepte comme ça vient et avec le public qui est ici.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

L’interview se termine sur les projets cinématographiques de l’artiste. Je vous laisse découvrir dans l’article de Clarín de quoi il retourne…

Pour aller plus loin :
Lire l’entrefilet de Clarín sur l’album souvenir d’une admiratrice de Miguel de Molina
Consulter la page du spectacle sur le site du Complejo Teatral de la Ciudad de Buenos Aires
Pour lire les autres articles déjà parus dans Barrio de Tango sur ce spectacle, cliquez sur le nom d’Alfredo Arias dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus, ou sur les noms des deux interprètes féminines qui se sont produites récemment à Buenos Aires à l’occasion du Bicentenaire, entre autres…

(1) Voir à ce sujet ce qu’il en dit dans son livre de souvenirs, écrit avec Hervé Pons, L’écriture retrouvée, aux éditions du Rocher, mars 2008. Il a complètement viré sa cutie depuis et tient des propos très anti-péronistes aujourd’hui. Il faut dire qu’il a été sérieusement échaudé, dès son arrivée à Paris, par les persécutions qu’il a subies de la part de gros bras de l’extrême-droite française utilisés par Perón depuis son exil espagnol pour faire interrompre la pièce qu’il venait de monter, une oeuvre de l'Uruaguayen Copi, parlant déjà, de manière peu orthodoxe, du personnage qu'est Evita.
(2) Les radicaux, militants ou proches de l’UCR, sont, comme les péronistes, des nationalistes à forte dimension sociale. Quand, à travers un coup d'Etat éclatant et populaire, Perón a surgi dans l'arène politique au début des années 40, après le déclin qu'avait fait subir à l'UCR la Década Infame (1930-1943), le vieux parti des années 1890 vit en lui un terrible et redoutable concurrent (ce qu'il fut), voire un usurpateur de la place légitime que l'UCR s'était forgée dans l'histoire de l'Argentine et qu'elle n'a jamais récupérée depuis. Aujourd'hui encore, radicaux et peronistes se regardent en chiens de faïence et la toute première tentative de coopération entre ces deux grands partis de gouvernement installés à gauche, sous la forme d'une plateforme électorale formée par Cristina Kirchner et Julio Cobos, n’a pas fait long feu. Elle a lamentablement échoué comme le prouvent les relations détestables que la Présidente et le Vice Président, arrivés au pouvoir en décembre 2007, ont depuis juillet 2008. Aussi quelles que soient par ailleurs les bizarreries des adultes qui entouraient Alfredo Arias dans son enfance, son inscription tout minot (pas vraiment légale) aux jeunesses péronistes ne pouvait que très fortement déplaire à ses parents. Ce pourquoi il dit l'avoir fait.
(3) Alfredo Arias utilise un verbe et un substantif qui recouvrent deux significations différentes en français : espérer et attendre.