Depuis quelques jours, la Confitería Richmond, fondée en 1917, ce qui compte dans un pays jeune comme l'Argentine, est fermée. C'était pourtant un des plus beaux lieux de rendez-vous autour d'un café ou d'un plat chaud dans la rue Florida, l'un des derniers vestiges des splendeurs de cette rue patricienne, qui au fil du temps, s'est transformée en un centre commercial à ciel ouvert des plus criards...
Nuitamment, pendant le week-end des élections, l'établissement a été vidé de tout son matériel et le personnel s'est trouvé mis au pied du mur. C'est même par la presse que certains salariés ont appris leur mise au chômage. Le tout a été volontairement organisé, puisque les caméras de surveillance qui protégeaient l'établissement ont été détruites. Sans doute pour qu'il n'y ait aucun document rendant compte de l'opération de vidage, qui est tout aussi illégale en Argentine que dans l'Union Européenne. La seule consolation, c'est que ces voyous ont craint la justice de leur pays et c'est toujours un progrès de la démocratie et de l'Etat de droit qu'il est bon de souligner.
Il y a plusieurs mois déjà que des rumeurs circulaient et que le personnel sentait l'inquiétude monter. Página/12, qui dénonce le scandale, raconte que le service avait beaucoup baissé en qualité depuis quelques temps, sous le poids de cette angoisse sourde.
Il semblerait que ce lieu soit destiné à accueillir prochainement une grande surface de l'enseigne Nike. Il était pourtant protégé par une loi sur le patrimoine culturel de la ville, loi que le Gouvernement portègne n'a pas fait respecter en l'occurrence.
Le quotidien de gauche qu'est Página/12 tape donc très fort sur le Ministre portègne de la Culture, Hernán Lombardi, à qui toute la gauche reproche d'être avant tout celui du Tourisme, tant il est vrai que les deux, culture et tourisme, font mauvais ménage sous l'actuelle administration ultra-libérale, à laquelle ne participe pourtant guère Hernán Lombardi, sans doute le ministre le plus raisonnable et le moins idéologue de toute l'équipe gouvernementale, celui qui a la meilleure connaissance professionnelle de son portefeuille (précisément dans la partie touristique, ce que les acteurs du secteur culturel ont du mal à digérer. Ils auraient préféré un spécialiste de la culture, ce qui, bien sûr, est une contradiction dans les termes dans le contexte actuel).
En tout cas, c'est une grande désolation que de voir ce vieux salon de thé disparaître ainsi, pour faire place à une enseigne ô combien impérialiste, qui n'a donc rien à voir avec l'identité de cette ville, identité si délicate à élaborer, à développer et à défendre. D'autant plus désolant que le développement d'un tourisme durable se fera grâce la sauvegarde de ces traits de singularité et de personnalité de Buenos Aires et non pas par la multiplication des boutiques de marques internationales pour lesquelles personne n'a besoin de venir à Buenos Aires, à part les banlieusards. Et encore, ce n'est même pas sûr...
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 paru samedi dernier dans le supplément M2.