La photo d'un Massa très décontracté dans les locaux du journal saltègne (photo El Tribuno de Salta) |
Dimanche
14 décembre 2014 dans une interview exclusive donnée à El Tribuno
de Salta, Sergio Massa, l'un des leaders de l'actuelle opposition en Argentine,
créateur d'un parti qui s'auto-définissait comme péroniste dissident à son apparition, le Frente
Renovador, a emboîté le pas aux revendications les plus ignobles de
Mauricio Macri, chef de la droite ultra-libérale, partisane de la dérégulation
généralisée (économique, politique, sociale). Il en a appelé à
"clore l'étape des droits de l'homme en Argentine". Or
l'homme prétend occuper la magistrature suprême en 2015, dans un pays membre
de l'ONU, au moment où se multiplient les identifications des
petits-enfants recherchés par Abuelas de Plaza de Mayo et à l'heure où le monde entier admire la capacité du pays à faire face à son passé et à rétablir les situations faussées par la Junte au mépris des droits fondamentaux de l'être humain (le droit de vivre, le droit de connaître ses origines et d'être élevé par ses parents biologiques et légitimes, etc.)
Voilà
l'intégralité de la réponse incriminée, faite après que le
journaliste a tenté de le subordonner à Macri :
- ¿Coincide
con Macri en qué hay "curros" con los derechos humanos?
- Yo
creo que la Argentina tiene que cerrar la etapa de derechos humanos,
pero no podemos dejar de mirar que en el país hubo treinta mil
desaparecidos. Me parece que lo que el Gobierno se olvidó es que hay
nuevos derechos humanos. Las víctimas de la inseguridad tienen
derechos humanos, los chicos que son víctimas de las adicciones
tienen derechos humanos, las comunidades como Tartagal que no tienen
agua tienen derechos humanos, los jóvenes que no tienen casa tienen
derechos humanos. El Gobierno pone sobre la mesa algunos derechos
humanos pero se olvida de los derechos humanos que no puede resolver.
Sergio
Massa, in El Tribuno de Salta
- Vous
êtes d'accord avec Macri sur le fait qu'il y a de l'arnaque dans les
droits de l'Homme ?
- Je
crois que l'Argentine doit clore l'étape des droits de l'Homme, mais
nous ne pouvons pas détourner les yeux du fait qu'il y a eu dans le
pays trente mille disparus. Il me semble que le Gouvernement a oublié
qu'il y a de nouveaux droits de l'Homme. Les victimes de l'insécurité
ont des droits, les petits qui sont victimes d'addictions ont des
droits, les communautés comme Tartagal qui n'ont pas d'eau ont des
droits, les jeunes qui n'ont pas de toit ont des droits. Le
Gouvernement met sur la table quelques droits de l'Homme mais il
oublie les droits de l'homme auxquels il ne peut pas apporter de
solutions.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Ces
arguments sont de simples mensonges. Même si bien entendu le Gouvernement argentin n'a pas
transformé l'Argentine en pays paradisiaque où plus personne
n'aurait plus jamais la moindre difficulté d'aucune sorte, il a fait visiblement progresser la redistribution des richesses, il a
donné des droits nouveaux, sociétaux et socio-économiques, ou
contribué, pour le moins, à stabiliser ces droits socio-économiques pour des couches défavorisées de la société,
il a amélioré l'habitat dans certains quartiers pauvres et les
infrastructures dans tout le pays, etc.
Ces propos sont de la basse
démagogie et peut-être une diversion ignoble, à l'heure où le
gouvernement argentin tient bon devant les fonds spéculatifs qui
tentent de mettre le pays sur la paille, obtient des soutiens
internationaux jusqu'au moins imaginables (celui de David Cameron, il
y a une dizaine de jours) et mène plusieurs opérations contre la
fraude fiscale massive qui appauvrit le Trésor Public, et dont je
vous ai parlé ces derniers mois.
Massa
est sorti du bois il y a un an et demi, avec un bilan très brillant
et convaincant comme maire de la ville de Tigre, au nord de Buenos
Aires. Il se présentait alors aux élections législatives comme
alternative démocratique au kirchnerisme, après avoir été un très
prometteur mais éphémère chef du Gouvernement sous l'actuel mandat
présidentiel. J'avais alors décidé de réserver mon jugement, de
laisser dire la gauche argentine, toujours prompte à voir revenir le
danger du despotisme dans l'opposition (et elle s'était aussitôt
déchaînée contre Massa) et d'observer quelle stratégie allait
déployer ce pré-candidat (il doit encore passer l'épreuve des
primaires en août prochain).
Depuis
hier soir, je n'ai plus de doute sur le danger que fait courir à la
démocratie argentine cet aventurier à la belle gueule, capable de
soutenir n'importe quoi pour accéder au pouvoir.
Prétendre
qu'il faut arrêter ce qui se fait aujourd'hui en matière de droits
de l'homme, c'est-à-dire redonner leur identité véritable aux
enfants disparus sous la Dictature militaire, tenir les procès
contre les bourreaux qui refusent aujourd'hui encore de révéler ce
qu'ils ont fait des corps de leurs victimes, rechercher les corps des
30 000 disparus, c'est faire preuve d'un cynisme sans borne,
incompatible avec les exigences de la démocratie.
Dans
les heures qui ont suivi, cette partie de l'interview a déclenché
les réactions outrées du Gouvernement puis en chaîne celle du
procureur chargé de poursuivre les responsables des rapts d'enfants
pendant la Dictature et de toute une série d'élus, tous
kirchneristes, gouverneurs, parlementaires et maires.
Extraits du document imprimé de Télam, aujourd'hui (page 3) |
On
aimerait que des politiques, hors du courant kirchneriste, se
manifestent aussi, car l'enjeu dépasse et de loin les intérêts d'un
parti, fût-il majoritaire. En tout cas, la presse, même
d'opposition, ne rentre pas dans les méandres boueux de la pensée
de Massa et sans la condamner de manière explicite (n'en demandons pas trop), La Nación,
qui avait complaisamment relayé les propos de Macri avant cette
interview odieuse de son concurrent et peut-être allié, et La
Prensa, qui avait hier repris les propos de Massa sans trop de
scrupules, laissent la place dans leurs colonnes aux déclarations
des ministres sans les contredire ni chercher à les ridiculiser.
C'est intéressant à remarquer.
Pour
aller plus loin :
lire
l'interview de Sergio Massa hier dans El Tribuno de Salta
lire
l'article de La Nación hier matin sur les propositions de Macri dans
le domaine des droits de l'Homme (une véritable fumisterie, de la part d'un mandataire qui ne respecte jamais les décisions de justice de
la Ville où il exerce le pouvoir exécutif, et qui ose donner des leçons en matière de droits de l'Homme)
lire
l'article de Página/12 sur les réactions politiques
lire
l'article de Página/12 sur la réaction du procureur en charge des
rapts d'enfants sous la Dictature
lire
l'article de El Tribuno de Salta, ce matin, sur les réactions
déclenchées par l'interview sur les réseaux sociaux des politiques
lire
l'article de La Nación sur les déclarations gouvernementales
lire
l'article de La Prensa sur les réactions politiques.
Ajout du 17 décembre 2014 :
lire la réaction de Estela de Carlotto publiée dans un long article de... La Prensa
lire la dépêche de Télam sur la réaction de Remo Carlotto, président de la Commission des Droits de l'Homme à la Chambre des Députés et fils de Estela, dans l'hémicycle hier.
Ajout du 17 décembre 2014 :
lire la réaction de Estela de Carlotto publiée dans un long article de... La Prensa
lire la dépêche de Télam sur la réaction de Remo Carlotto, président de la Commission des Droits de l'Homme à la Chambre des Députés et fils de Estela, dans l'hémicycle hier.