Le
juge à la Cour suprême Raúl Zaffaroni, grand pénaliste reconnu à
l'échelle internationale, vulgarisateur talentueux de sa matière et
député conventionnel à l'Assemblée constituante de 1994 qui a
modifié la charte fondamentale argentine, a annoncé, il y a plus d'un mois, son irrévocable démission à la fin de l'année civile. Ce brillant
militant des droits de l'homme et de la démocratie estime en effet
que les emplois publics à vie relèvent de la monarchie et non de la
république, or il est foncièrement républicain, et qu'à 75 ans
bientôt révolus, il est temps pour lui de laisser la place à un
confrère plus jeune.
Ses
admirateurs ne se comptent plus, en Argentine et à l'extérieur du
pays, et ce n'est que justice, sans calembour douteux. Ces
admirateurs, parmi lesquels on compte bien entendu une grande partie
des soutiens de l'actuelle majorité, n'entendent pas le laisser s'en
aller comme ça, sans tambours ni trompettes. La Universidad Nacional
San Martín, dite UNSAM, située dans la ville homonyme de la proche
banlieue ouest de Buenos Aires, très engagée dans les enjeux de la liberté politique et de la démocratie à l'image de sa figure tutélaire, organise ce soir, à 18h, une grande
fête, avec une pléiade d'artistes très engagés dans la lutte pour
les droits de l'Homme (1) et le ban et l'arrière-ban des ONG de
droits de l'Homme, comme Madres de Plaza de Mayo et Abuelas de Plaza
de Mayo.
De
son côté, le site du Ministère de la Justice Infojus Noticias, aux
mains de Julio Alak, ancien maire de La Plata, a ouvert un espace
dédié à l'événement, qui abrite un bel hommage audiovisuel qui
évite la plupart des pièges de la récupération politique :
plein de photos de l'intéressé à tous les âges, souvent très
souriant, fraternel, cordial, un chapitre consacré à sa monumentale bibliothèque et
même un petit jeu en ligne.
Une belle photo publiée par Infojus Noticias Le juge en train de boire le mate dans son bureau de la Cour Suprême |
L'UNSAM
rassemble tout cela sous le slogan, un chouia provocateur, "Zaffaroni juez de la
Patria", un décalque du titre accordé après sa mort au général
San Martín, el Padre de la Patria (1778-1850). C'est drôle et significatif en même temps, car les deux hommes
partagent plusieurs traits de caractère et de personnalité. Ils
sont tous les deux dotés d'un bon sens de l'humour, savent fédérer
les gens et les mobiliser, ils ont une culture générale
monumentale, aiment passionnément leur pays, consacrent leur force à
la lutte pour la liberté politique et savent se retirer des affaires
publiques sans s'accrocher à leur pouvoir...
Si
Página/12 s'en est réjoui dans ses pages hier, Clarín a aussitôt
contre-attaqué avec, dans les termes, une violence et un emportement
qui montrent à quel point ce journal reste éloigné des exigences
de la démocratie, du respect de la pluralité des opinions dans une
société libre, des enjeux de la justice dans un Etat de droit, que
Zaffaroni n'a pas cessé de servir durant sa longue carrière. De son
côté, un autre quotidien de l'opposition, La Prensa, rend compte de la fête à
travers un entrefilet neutre, dont le ton n'est pas loin d'être
bienveillant.
Plusieurs
professeurs de droit prendront la parole au cours de l'acte
académique et la manifestation sera ouverte au grand public.
Je suis heureuse aujourd'hui de participer à travers ce blog à l'hommage rendu à un grand bonhomme de la Démocratie.
Le clin d'œil de Miguel Rep, ce matin, à la une de Página/12 |
"Zaffaroni Président. Ou Premier ministre. Ou Roi de Justiceland. Ou Président du Monde. Ou Pape.
Clameur auto-réalisatrice (mais après, il ne démissionne pas, hein ?)"
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour
en savoir plus :
lire
l'article de Clarín
consulter
les pages Zaffaroni, pleines d'humour, dans Infojus Noticias.
(1)
Les folkloriste Liliana Herrero et Peteco Carabajal, ainsi que le
musicien Ignacio Montoya Carlotto, petit-fils de Estela de Carlotto
qui a retrouvé sa famille de naissance en août dernier.