mercredi 4 juillet 2018

Luttons contre la pauvreté : donnez de gros pourboires ! [Actu]

"Le Plan Pourboire", du verbe je pourbois, tu pourbois, il pourboit !
Le jeu de mots fonctionne aussi en français (un peu tiré par les cheveux)

La députée de la majorité, Elisa Carrió, qui dirige l'une des composantes mineures de la coalition gouvernementale Cambiemos, a proposé avant-hier, en direct, sur la chaîne toute info TN (groupe Clarín), une étrange solution pour lutter contre la pauvreté. Elle a invité la classe moyenne et la classe supérieure à se montrer plus généreuses dans la distribution des pourboires. Comme vous pouvez l'imaginer, cette idée surréaliste et incohérente a suscité beaucoup de moqueries dans tout le spectre politique, avec un large avantage dans l'opposition qui serait morte de rire si la situation sociale n'était si pathétique.

Un garçon de restaurant de La Plata a aussitôt raconté sa propre expérience dans le domaine avec l'élue : pour une addition de 300 pesos, elle lui avait fort peu généreusement laissé 5 pesos et quelques centimes. Or en Argentine comme ailleurs, un pourboire digne de ce nom se calcule à environ 10% de l'addition. On était donc loin des 30 pesos. C'est d'autant plus choquant qu'il est de notoriété publique que les élus reçoivent de très grasses rémunérations (on ne parle même pas d'indemnités comme on le fait, pudiquement, en France).

Página/12 s'en donne donc à cœur-joie ce matin, avec des titres comme "Sans pluie d'investissements, allons-y pour les pourboires" ou "Face à la crise, donne un avis PRO" (nom du parti qui pèse le plus dans Cambiemos) avec un jeu de mot entre opinar (donner son avis) et propinar, un néologisme construit sur propina (pourboire)...

La Nación n'en dit pas un mot et préfère présenter, sous la forme religieuse des 10 commandements, les 10 solutions envisagées par le président pour couper dans les dépenses publiques. En revanche, Clarín ne peut pas ne pas rendre compte des propos de la députée et de l'avalanche de critiques qui se sont abattues sur elle après cette énième sortie provocatrice dans les studios de télévision du groupe. C'est une spécialiste. Et pourtant, quand elle a du temps de parole, elle est loin de tenir un discours idiot (j'ai même été étonnée un jour que je l'écoutais sur une chaîne privée). D'aucuns la tiennent pour folle, d'autres pensent qu'elle est surtout une serial-gaffeuse.

Daniel Paz et Rudy n'auraient pas pu rater l'occasion. Voici leur vignette du jour dont le décor suggère que la scène pourrait se passer à Télam (voir mon article du 27 juin 2018)


Lui : Pour combattre la récession, Carrió propose de laisser un pourboire
Elle : Tu me crois si je te dis que je regrette l'époque où ils promettaient des investissements ?
Traduction © Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :
lire l'article principal de Página/12, que la rédaction a illustré d'une photo publiée sur Twitter, en 2010, où l'on voit le président, alors chef du gouvernement de la Ville de Buenos Aires, donner un pourboire de 2 pesos (c'était déjà une misère, surtout au regard de la richesse qui est la sienne et celle de sa famille)
lire l'entrefiletPágina/12 se paye la tête de la députée
lire l'article de La Nación sur les mesures envisagées
lire l'article de La Nación sur le malaise dans les forces armées auxquelles après avoir beaucoup promis depuis deux ans et demi, le gouvernement vient d'accorder des augmentations riquiqui, alors que les soldes avaient été quasi-gelées pendant les mandats des époux Kirchner, obsessionnellement anti-militaristes
lire l'article de Clarín

Ajouts du 5 juillet 2018 :
lire cet article de Página/12 sur les explications malheureuses que Lilita (Elisa Carrió) a voulu donner lors de son temps de parole dans l'hémicycle. Cette grande pourfendeuse de la corruption a fait un énorme lapsus en disant qu'elle estimait qu'il fallait maintenir les pourboires (propinas) et les dessous-de-table (coimas). Fou rire à la rédaction !
lire cet entrefilet de La Prensa
lire cet article de La Nación, qui irait de son éclat de rire si on la poussait un peu

Ajout du 6 juillet 2018 :
lire cet éditorial de Julio Maier dans Página/12 sur cette proposition de Carrió. Julio Maier est un professeur honoraire de droit pénal, qui a travaillé à l'Université de Buenos Aires (UBA)

Ajout du 7 juillet 2018 :
Les anecdotes sur la relation de Lilita avec l'argent se multiplient. Hier, c'est un chauffeur de taxi qui a raconté sur les ondes d'une radio kirchneriste que la députée avait un jour tenté de descendre sans payer la course. Lire à ce propos l'article de Página/12.