samedi 22 mai 2021

Procès Chocobar : l’heure est aux réquisitoires [Actu]

Ce procès est celui d’un agent de la police provinciale de Buenos Aires (policia bonaerense), Luis Chocobar, qui a tué avec son arme de service un jeune délinquant par ailleurs fort peu sympathique (1) sur le territoire de la Ville de Buenos Aires (2) (hors de sa juridiction par conséquent), alors que le jeune homme s’enfuyait en lui tournant le dos et alors que lui-même était au repos.

Ce fait divers est devenu un cas emblématique d’un mal endémique dans les forces de police en Argentine, ce qu’on appelle là-bas le gatillo fácil (en français, la gâchette facile).


L’homme qui a voulu se réclamer de la légitime défense et invoqué sa peur devant le jeune délinquant passe en jugement devant une cour des mineurs (puisque la victime n’avait pas encore 18 ans, c’est la procédure argentine) en même temps que le complice du mineur tué. Maintenant exclu de la police bonaerense après avoir été, immédiatement après les faits, soutenu par ses autorités de tutelle et reçu avec les honneurs par le président Mauricio Macri à la Casa Rosada (3), Luis Chocobar garde la tête haute et son allure de brute épaisse qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Il reste convaincu d’avoir bien agi (comme l’assassin de George Floyd aux États-Unis) et d’avoir fait preuve de courage en se portant au secours du touriste agressé (ce qui est loin d’être le cas puisque pour se dédouaner, il invoque lui-même la panique comme motif de son geste).

Hier, l’avocat de la partie civile (la famille du mineur décédé) puis le parquet ont prononcé leurs réquisitoires et demandé les peines qu’ils jugent proportionnées : comme le permet le droit argentin (et comme l’interdit la procédure française), la partie civile a demandé la prison à vie, considérant qu’il s’est agi d’une « exécution capitale extrajudiciaire » (4) ; le parquet, quant à lui, a réclamé trois ans de prison avec sursis pour « homicide aggravé par excès de zèle dans l’accomplissement du devoir » [de policier].

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa, qui dans le titre parle de gatillo fácil (une expression que n’emploient que les personnes hostiles à ce type de violence policière)
lire l’article de Clarín (beaucoup plus ambigu)

Ajout du 27 mai 2021 :
lire cet article de Página/12 sur la plaidoirie de la défense (les avocats de l'accusé ont invoqué la légitime défense en prétendant que le jeune homme, qui a été touché dans le dos, s'élançait vers leur client quand celui-ci a fait feu)



(1) Il venait de porter des coups de couteau à un touriste originaire des États-Unis pour lui voler ce qu’il avait sur lui (portefeuille, téléphone portable ou autre appareil photo). Le touriste a été admis à l’hôpital et il a parfaitement survécu à ses blessures. Il a même apporté son soutien à Chocobar lorsqu’il a su qu’il avait des ennuis judiciaires.

(2) Dans le quartier de La Boca. Chocobar se trouvait donc en dehors de sa juridiction. Ce quartier du sud de Buenos Aires est bien connu pour sa dangerosité pour les touristes qui se baladent le nez en l’air. Du fait d’un choix délibéré du gouvernement municipal, la police y est très mal répartie et les voyous savent que la zone (très artificielle mais ultra surveillée) de Caminito attire de nombreux touristes étrangers (donc réputés pleins aux as) pour qui la tentation est grande de là de se rendre à pied au stade mythique de La Bombonera, situé à quelques encablures, au bout d’une rue dont la police semble ignorer l’existence. Et ça ne loupe jamais : en chemin, ils se font attaquer et dérober tout ce qu’ils ont d’un tant soit peu précieux.
(3) La province de Buenos Aires était alors gouvernée à droite comme le pays tout entier et les deux exécutifs, local et national, se sont entendus pour couvrir d’honneur le policier alors que la justice de Buenos Aires venait tout juste de l’inculper pour ces faits. S’en est suivi tout un discours délirant de la ministre nationale de la Sécurité, Patricia Bullrich, aujourd’hui à la tête du parti de Mauricio Macri : elle voulait que les policiers qui feraient usage de leurs armes bénéficient systématiquement de la présomption d’innocence, à charge pour les victimes de prouver leur culpabilité. Ce procès en première instance revêt donc une importance considérable pour la défense de l’État de droit en Argentine.
(4) La peine de mort est abolie depuis longtemps. En Argentine, l’expression employée par l’avocat de la partie civile renvoie aux pratiques de la dernière Dictature militaire.