Cela n’a pas raté : la Mesa de Enlace (bureau de liaison) qui coordonne les actions politiques et sectorielles des grandes organisations agricoles (toutes conduites par de grands propriétaires à la tête d’énormes exploitations aux méthodes industrielles) vient d’annoncer qu’elle démarrait demain une grève. Les producteurs cesseront de vendre leurs animaux, toutes catégories confondues, et le marché intérieur argentin ne sera plus livré en viande fraîche.
L’opération va durer neuf jours et couvrir par conséquent la fête nationale, mardi prochain (1). Inutile de dire que les Argentins, qui restent des grands mangeurs de viande même si des alternatives (légumineuses, préparations végétariennes, poissons) commencent à gagner des parts de marché, vont la sentir passer ! C’est bien le but recherché par l’organe patronal qui entend ainsi répondre à la fermeture des frontières à l’exportation de la viande pour en faire baisser les prix exorbitants en Argentine même.
Les grands
patrons ne décolèrent pas : il y a quelques années,
l’Argentine a signé un accord commercial avec la Chine pour
satisfaire les besoins carnés de cet immense pays qui ne produit pas
assez (pour le moment en tout cas). L’exportation vers la Chine
rapporte donc beaucoup, beaucoup mais vraiment beaucoup d’argent,
ce dont l’État voit fort peu la couleur. Ils sont donc furieux et
comme le sort de leurs compatriotes leur importe traditionnellement
assez peu, ils ont donc décidé de peser à leur manière sur les
enjeux des élections de mi-mandat qui doivent avoir lieu en septembre
(pour les primaires) et en novembre (pour le premier tour et le
second là où ce sera nécessaire).
Les mêmes sortant d'une réunion avec le président à la Casa Rosada (que l'on voit en arrière-plan) au début de la pandémie Photo Leandro Teysseire (pour Página/12) |
Le président Alberto Fernández a expliqué hier sa décision : le marché intérieur de la viande a été pris d’hubris et beaucoup d’Argentins ne mangent pas à leur faim et n’ont pas accès à assez de protéines. Il faut donc satisfaire d’abord le marché intérieur avant de se précipiter vers l’exportation sur des denrées alimentaires aussi essentielles. Une situation quelque peu similaire a déjà existé en 2008, sous le premier mandat présidentiel de Cristina Kirchner, pour les mêmes raisons. En allant ainsi au clash, il est probable que le président, qui dirige aussi depuis peu le parti justicialiste, entend compter ses partisans et il est tout aussi probable que ça va marcher. Il va resserrer les rangs à gauche, sauf dans une province comme Santa Fe où l’élevage est très important et où ses décisions fâchent le gouverneur socialiste tout rouge.
Pour aller
plus loin :
(1) Le plat traditionnel du 25 mai, c’est le locro, un ragoût de légumineuses et de maïs généreusement enrichi de viande à pot-au-feu, d'abats et de saucisses. Goûteux et roboratif par ces froides journées d’automne puis d’hiver.