samedi 22 mai 2021

Buenos Aires cadenassée par son gouvernement [Actu]

"De tout à rien", dit le gros titre
tandis qu'on lit sur le tableau et sur l'écran :
"Aujourd'hui, il n'y a pas cours"
En haut au milieu : "Le ballon rond s'est arrêté",
allusion à l'arrêt des compétitions sportives,
y compris le foot à l'échelle nationale

C'était trop beau pour être vrai ! Elle était bizarre, cette soudaine volte-face de Horacio Rodríguez Larreta, le chef de gouvernement de la Ville autonome de Buenos Aires : passer ainsi d’une opposition frontale à la fermeture des écoles à son acceptation sans condition, façon Raminagrobis, alors que le nouveau décret présidentiel d'hier allonge encore la liste des activités suspendues. L’envolée des courbes des malades du covid-19 et du taux d’occupation des lits d’hôpital avait ramené cet homme à un peu de sagesse supra-partisane, avait-on espéré pendant quelques heures.

Vaine espérance ! L’opposant en chef (et sérieusement en campagne) a décidé d’être plus royaliste que le roi. Non content de fermer les écoles comme l’exige le nouveau décret présidentiel, Larreta supprime aussi les cours à distance et les livraisons de vivres aux familles nécessiteuses dont les enfants ne peuvent, en temps normal, manger à leur faim (ou à peu près) que grâce à la cantine scolaire, où ils reçoivent gratuitement petit-déjeuner, déjeuner et goûter du lundi au vendredi… Ainsi donc, les Portègnes pauvres qui n’attraperont pas le covid à cause de leurs conditions de logement déplorables pourront mourir de faim sans que la municipalité lève le petit doigt pour leur venir en aide. Une mort en valant une autre, est-ce la dernière recette de cet exécutif local pour gentrifier un peu plus encore la capitale argentine ?

A l’avant-veille de la fête nationale (25 mai), ces décisions aberrantes (1) font ressortir d’autant plus clairement que le programme politique que propose Larreta repose sur une bonne dose de violence sociale et sur l’approfondissement des divisions entre les classes socio-économiques. Sans aucun doute, l’homme tente-t-il de flatter les extrémistes de son électorat au sein de cette droite néolibérale qui ne supporte pas et n’a jamais supporté que la puissance publique apporte son soutien économique aux pauvres. Tout est tellement plus simple (et plus injuste) lorsque ces initiatives ne relèvent que de la charité privée, n’est-ce pas ?

Décisions cyniques qui scandalisent à gauche alors que s’ouvre dans des conditions tristes et pénibles un long week-end férié de célébrations patriotiques (le lundi de Pentecôte n’est pas chômé en Argentine. Cette année, c’est juste un pont gouvernemental avant le 25 Mai).
A ce qui
ressemble fort à une provocation, le ministre national de l’Éducation réagit en convoquant aujourd’hui, samedi, une nouvelle réunion en visioconférence de tous les ministres provinciaux concernés, y compris Soledad Acuña, sa très droitière homologue de la Ville de Buenos Aires (rappelons que pour l’heure, la suppression des cours en présentiel n’est décrétée que pour les trois jours ouvrés qui existent jusqu’au 30 mai – ce n’est donc pas non plus la mer à boire).

Sollicitée en référé par des parents d’élèves, la justice de Buenos Aires vient d’ordonner au Colegio Mariano Acosta (enseignement public) d’assurer les cours en ligne la semaine prochaine.

Ce matin, les surenchères du leader néolibéral laissent tout à fait indifférente la presse de droite, y compris La Prensa, qui se revendique pourtant catholique et devrait par conséquent s’intéresser au sort des plus démunis. Pas un mot de cette affaire qui concerne pourtant la majorité des familles de la capitale fédérale.

Hier, le covid-19 a emporté 695 Argentins.
On a recensé 35 468 nouveaux cas de contagion
sur environ 44 millions d’habitants.

Pour cette maladie où l’on peut être contagieux sans avoir aucun symptôme et où rares sont les asymptomatiques qui se font spontanément dépister puisqu’ils n’en voient pas l’intérêt, les épidémiologistes estiment le nombre réel de personnes porteuses du virus au double de ce que les tests révèlent, et ce dans les pays où, comme en Argentine, le système médical couvre correctement la population (dans les autres, c’est très largement plus).

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 qui en a fait sa une.



(1) Pour surenchérir sur le décret présidentiel, Larreta a aussi décidé que les commerces dits non essentiels ne pourraient plus vendre qu’en ligne, alors que le chef de l’État se contentait de leur demander de vendre à la porte du magasin. Il va donc falloir que chaque boutique dispose d’un site Internet pour continuer son activité pendant les neufs jours qui s’ouvrent aujourd’hui. C’est condamner à la perte de tout chiffre d’affaires tous les marchands de couleurs, les boutiques de vêtements et de chaussure, les quincailleries, les jardineries, etc. Loin de faciliter la vie de ses administrés, Larreta la leur complique à plaisir.