"Les voilà, ce sont eux", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Dimanche
dernier, le pré-premier tour, dit
PASO (primaire obligatoire pour tous les candidats et
tous les partis),
a abouti à une défaite inattendue et
sévère pour
l’actuelle majorité. Par
manque de recul devant l’inédit de l’actuelle pandémie et de
ses possibles effets à court, moyen et long terme sur nos sociétés,
on
se perd en conjectures sur les raisons de cette défaite dont
rien ou presque rien n’annonçait l’ampleur.
Les résultats pour les candidats députés nationaux (source : Página/12) En bleu, l'actuelle majorité En orange, l'alliance ultra-libérale et centre-droit Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Toujours
est-il que, si ces résultats correspondent à un revirement effectif
de l’électorat et non pas à un « simple » mouvement
d’humeur ou à une mobilisation générale à droite pendant que la
gauche serait restée chez elle pour bouder,
le contrôle du Congrès pourrait
échapper au gouvernement en place pour
les deux ans qui restent du mandat (1).
"Cristina gagne du terrain dans le gouvernement : Manzur entre, Aníbal F. revient à la Sécurité et De Pedro reste" Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Dès
lundi,
ont éclaté au grand jour plusieurs fragilités de la
majorité que le président avait réussi jusqu’à
présent
à peu près sinon
à
dissimuler, du
moins
à rafistoler,
à commencer par les désaccords entre lui et la vice-présidente,
Cristina Kirchner, à
laquelle la droite et la partie machiste de la gauche a fait depuis
longtemps
une solide
réputation
de femme avide de pouvoir et qui n’a rien trouvé de mieux dans
ces circonstances que
de publier une lettre ouverte pour forcer le chef de l’État à
mener sa
politique à
elle. Autrement dit, elle a donné du grain à moudre à l’opposition
et de quoi nourrir la haine que celle-ci lui voue.
Pour
couronner le tout, elle
a été aidée dans
cette opération par
plusieurs ministres qui ont posé publiquement leur démission, non
pour
marquer leur déférence envers l’autorité du
président mais pour
lui lancer un
défi et désavouer
sa politique générale.
Résultats pour les candidats sénateurs nationaux (source : Página/12) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Pour limiter
la casse, Alberto
Fernández a donc dû remanier son
équipe
en quatrième vitesse, d’autant que ce n’est pas la première
fois que
la vice-présidente
critique publiquement le chemin qu’il
prend.
Hier, l’annonce du nouveau gouvernement a donc
vu
revenir sur
le devant de la scène
quelques poids lourds du Partido Justicialista version Kirchner qui
avaient déjà occupé des ministères significatifs sous Cristina et
même sous le mandat de son défunt mari, Néstor Kirchner, dont
Alberto Fernández avait été le Premier ministre (jefe
de gabinete,
dit-on en Argentine), poste où il s’était déjà sérieusement
frité avec Cristina. Ce
remaniement ramène à Buenos Aires quelques barons locaux du
péronisme et laisse les provinces concernées aux mains un peu moins
expertes de vice-gouverneurs et autres suppléants locaux quand la
répartition provinciale issue des élections de 2019 apportait sur
un plateau à l’actuelle majorité nationale un solide réseau pour
relayer fidèlement sa politique sur presque tout le territoire.
"Cristina s'impose : Manzur et Aníbal Fernández obtiennent une ministère et De Pedro reste" Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Des ministères
aussi importants que les Affaires étrangères, la Défense, la
Sécurité (notre Intérieur), l’Agriculture, l’Éducation
nationale, la Recherche scientifique et le porte-parolat du
gouvernement changent de patron. Des ministères cruciaux dans la
crise sanitaire et économique actuelle gardent tout de même le leur
(ce qui veut peut-être dire que le président a pu résister à la
pression cristiniste) : l’Économie
(Martín Guzman s’était fait reconnaître dans le monde entier
lorsqu’il avait brillamment réussi à restructurer la dette
argentine envers les investisseurs privés au tout début de l’année
dernière), le Développement productif, le Travail, la Santé et la
Culture. Le secrétariat d’État au Commerce conserve sa
responsable (une universitaire brillante arrivée dans les bagages du
président en décembre 2019) et la Justice son ministre, un
kirchneriste éprouvé issu d’un précédent remaniement, avec à
la clé une éventuelle réforme du système fédéral dont on ne
sait ni quand ni comment le Congrès, partiellement renouvelé,
pourra la traiter. Le nouveau gouvernement a perdu la belle parité qu'il avait en décembre 2019 entre hommes et femmes.
Bref, l’Argentine n’avait pas besoin de cet énième épisode de la guerre des chefs à un moment où un peu de stabilité institutionnelle remettrait en selle la confiance, sinon intérieure du moins extérieure (et elle n’est pas à négliger). Les membres de l’actuelle majorité qui n’ont pas disjoncté dans la nuit de dimanche à lundi espèrent encore qu’il est possible de renverser ce mauvais résultat en faisant revenir vers les urnes les électeurs fidèles qui les ont désertées, au mieux par peur de la contagion.
Pour aller
plus loin :
Ajout du 20 septembre 2021 :
(1) Beaucoup de facteurs pourraient expliquer cette défaite, qui reste pour l’heure relative puisque les PASO ne font qu’écarter des candidats qui n’arrivent pas en tête de leur formation ou qui ne recueillent pas le taux de voix exprimées fixé pour la participation au premier tour ; les PASO, qui se tiennent deux mois avant le premier tour, ne permettent donc en aucun cas d’élire qui que ce soit. Par conséquent, ce scrutin peut offrir à l’électeur en colère un défouloir qu’il croit sans risque, comme c’est le cas des élections européennes dans presque toute l’Union. Parmi les facteurs qui pourraient expliquer ce qu’il s’est passé dimanche, on peut d’ores et déjà citer, sans craindre de se tromper, l’exaspération de beaucoup de gens privés par les protocoles sanitaires de tout ou partie de leurs activités économiques et/ou de loisir, le seuil de rationalité individuelle et collective que la pandémie abaisse partout dans le monde avec la montée corollaire d’un complotisme et d’une crédulité qui nous ramènent aux grandes épidémies du Moyen-Age, le poids au quotidien de l’inflation dont le ralentissement ne peut pas se sentir dans la vie quotidienne, la forte abstention dans un pays où le vote est obligatoire (22 millions de votants pour 34 millions d’inscrits), la kyrielle d’infox servie notamment par la droite (les politiques Patricia Bullrich et Mauricio Macri ou l’intellectuelle Beatriz Sarlo), quelques gaffes retentissantes de certaines personnalités de la majorité (une candidate qui parle de relations sexuelles comme s’il s’agissait d’un point de son programme, une ministre, brillante universitaire pourtant, qui, à propos du sentiment d’insécurité ressenti par de nombreux citoyens, lance un mot d’esprit on ne peut plus déplacé au détriment de la Suisse, explosant par là-même tous les compteurs intérieurs et extérieurs de l’impair politique), sans oublier bien entendu les deux « affaires » impliquant le gouvernement : la vaccination VIP (passe-droit pour des copains du ministre de la Santé, aussitôt démis par le président) et la petite fête d’anniversaire de la Première dame avec dix invités dans un palais gouvernemental pendant le confinement, qui fait depuis l’objet d’une instruction judiciaire. On a aussi repéré des résultats aberrants comme le score écrasant d’un agitateur politique d’extrême-droite, dont la vulgarité, la violence, l’agressivité et même l’invraisemblable coupe de cheveux rappellent celles de Trump, dans un des bidonvilles de Buenos Aires traditionnellement ancré à gauche.