Pas très démocratique, tout ça ! L’opposition a fait hier une deuxième « Marcha de las Piedras », soi-disant en souvenir des morts du covid-19. Je me permets d’écrire « soi-disant » à cause du moment retenu pour ce faire sur le calendrier politique (une semaine avant le premier scrutin des élections de mi-mandat), du lieu choisi pour la manifestation (le piédestal de la statue de Manuel Belgrano, sur Plaza de Mayo) et de l’interdiction, accompagnée qui plus est de menaces (il s’agit donc d’un ultimatum), que les manifestants ont adressée au gouvernement, sommé par eux de laisser les pierres en place.
Il y a quelques semaines, le gouvernement avait
pieusement recueilli les pierres déposées par une première levée
de manifestants qui lui criaient leur haine et portant chacune, comme hier, le nom d’un
mort de l’épidémie ; il les avait fait disposer avec toute
la dignité que l’étiquette exige pour une chapelle ardente, dans
le hall d’honneur de la Casa Rosada ; il avait publié les
photos de ce reposoir sobre et solennel (photos reprises par toute
la presse sans distinction idéologique) et il avait annoncé
qu’elles serviraient à composer un mémorial dédié à toutes les
victimes de cette tragédie sanitaire dans le pays. Le geste,
politiquement habile, n’en était pas moins respectueux et plus que conciliant. On y aurait en vain chercher la trace d’une quelconque agressivité
partisane envers l’opposition (voir mon article du 18 août 2021). Pourtant les manifestants d’hier ont
osé parler de « vol des pierres » et ont interdit que
cela se reproduise. Quoi qu’il fasse, de toute façon, ce
gouvernement aura donc tort au seul motif qu’il n’est pas celui
pour lequel ces gens-là ont voté il y a deux ans.
Ainsi donc toute cette comédie où les larmes ont été convoquées devant les appareils photo et les caméras et dont les journaux de droite se repaissent ce matin revient à ériger un sanctuaire réservé à l’expression de l’opposition autour de la statue emblématique d’un héros national qui appartient à tout le monde (1) sur une place qui a vu se produire la fondation de Buenos Aires en 1580 et la révolution du 25 Mai 1810, ce qui fait, par conséquent, qu’elle appartient elle aussi à tous les Portègnes et à tous les Argentins.
Quant à dire que les dalles qui, au sol, autour d’un autre symbole de l’indépendance et de la liberté (2), rappellent la ronde des Mères de la Place de Mai sont l’équivalent (à gauche) de ces pierres (de droite) serait une imposture des plus grossières. Les gens qui ont disparu sous la Dictature militaire de 1976-1983 et dont leurs mères réclament toujours de savoir ce qu’ils sont devenus ont été victimes d’une politique d’État délibérée visant à les assassiner, en violation de tous les traités internationaux que la République argentine avait ratifiés en rejoignant l’ONU au moment de sa fondation.
Les victimes du covid sont mortes, quant à elles, à cause d’un virus contagieux répandu sur l’ensemble de la planète, qui n’a aucune opinion politique et ne suit aucune idéologie. Qui plus est, certains (surtout à droite) ont aussi, hélas, payé de leur vie des imprudences qu’ils avaient personnellement commises pour avoir refusé de suivre les avis et les conseils des scientifiques et avoir méprisé, voire parfois disqualifié, notamment sur les réseaux sociaux, leur parole.
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
Ajout du 6 septembre 2021 :
les
manifestants se relaient près du monument pour empêcher quiconque
de retirer les pierres. Si ce n’est pas une privatisation d’un
monument public, qu’est-ce que c’est ?
Pour
en savoir plus :
lire
l’article
de La
Nación
(1) Manuel Belgrano (1770-1820) a conçu et mené
la Révolution du 25 mai 1810 qui a posé les fondations de
l’Argentine indépendante, sanctuarisé ses frontières nord et
crée le drapeau national qu’agitent en permanence ces manifestants
en insultant ce gouvernement pourtant issu d’un scrutin
démocratique incontestable.