L'artisan pose avec son travail (photo Carlos Pino, Service de presse province de Corrientes) |
Le Museo Histórico de Yapeyú, en province de Corrientes, a ouvert ses portes le 17 août dernier, solennellement inauguré par le gouverneur et le maire de ce village qui vit naître le général José de San Martín (1778-1850) à une époque où c’était encore une ville d’environ 8 000 habitants.
La date d’inauguration avait
été choisie pour le symbole : c’est le Día (la fête)
de San Martín, célébrée au jour anniversaire de sa mort, le
17 août 1850 dans la lointaine France, à Boulogne-sur-Mer, un choix
d’exil qui reste difficile à admettre pour nombre d’Argentins
qui n’en finissent pas de chercher des motifs autres que ceux
exposés par San Martín lui-même en son temps car ils mettent
trop en cause le comportement de leurs ancêtres (San Martín a
tourné le dos à la guerre civile qui ravageait alors l’Argentine,
une guerre civile dans laquelle la province de Corrientes a joué les
premiers rôles, une guerre fratricide dans laquelle il ne voulait en
aucun cas se voir plonger).
L'uniforme au complet, avec l'écharpe de commandement et les bottes, gigantesques (photo Francisco Gomez) |
La ville, avec l’appui de la province, a donc rassemblé les pièces de plusieurs musées, en particulier l’un d’eux consacré au passé guaraní et jésuite de la province (qui appartint pendant un siècle et demi aux missions jésuites d’Amérique du Sud), pour ajouter un atout touristique à sa palette à côté des vestiges de la maison natale du grand homme.
Dans ce musée flambant neuf, on
peut donc admirer la vasque baptismale qui fut sans doute celle de
l’église où San Martín a été baptisé à une date
inconnue. En effet, la ville a été incendiée par les Brésiliens
en 1817 lorsque le pays voisin tâchait de conquérir la rive droite
du fleuve Uruguay. La plupart de ses archives ont disparu dans les
flammes. Cet incendie fournit aujourd’hui matière à un grand
nombre d’inventions mythologiques pour entourer de mystère la
naissance du héros. On peut ainsi épiloguer jusqu’à la fin du
monde sur sa date authentique de naissance et sur l’identité
réelle de ses géniteurs (des points sur lesquels il est
rationnellement vain de s’interroger).
Jusqu'à l'ouverture du musée, ces fonds baptismaux se trouvaient dans l'église paroissiale de Yapeyu. Ils seraient ceux de l'église disparue dans l'incendie de 1817 (photo Francisco Gomez) |
Dans cette catégorie des atouts touristiques à donner au village, le musée expose ce qu’il présente comme une « réplique exacte de l’uniforme de cérémonie » que San Martín aurait revêtu pour son entrée solennelle dans Santiago du Chili qu’il venait de libérer en février 1817 (à moins que ce ne soit l’année suivante, pour assister à la proclamation solennelle de l’indépendance). Le travail du tailleur semble en tout point remarquable. La mise en valeur de l’objet est excellente. En revanche, tous les récits, muséographiques, officiels ou journalistiques, le concernant évitent de mentionner l’uniforme historique qui a servi pour la copie ni le lieu où il est aujourd’hui conservé. Les photos de l’artisan au travail ne le montrent pas en présence de cette pièce originale ni du moindre document historique qui l’aurait guidé dans son travail. Aucune photo ne montre la pièce historique en elle-même ni le moindre dessin la représentant à l’époque concernée (1817). Or les Argentins savent parfaitement s’y prendre ainsi lorsqu’ils ont matière à le faire : les présentations des nombreuses répliques du sabre de San Martín (el Sable Corvo), partout dans le pays, et du drapeau de l’Armée des Andes (en particulier à Mendoza) sont là pour en attester.
Si la province de Corrientes se montre d’une telle discrétion, c’est qu’il s’agit très probablement d’une invention inspirée de l’actuel uniforme de cérémonie des Grenadiers à cheval dessiné en 1903, lequel diffère déjà sans doute grandement de l’original dessinée par San Martín en 1812, ne serait-ce que par les retroussis remplacés au début du 20e siècle par une simple queue de pie (tirée de l’habit bourgeois d’alors), totalement dépourvue d’utilité pour le travail militaire. Pourtant, les retroussis avaient bel et bien un rôle guerrier : ils permettaient aux officiers de transporter leurs cartes et de les avoir toujours ainsi à portée de main. Retroussis que nous retrouvons sur les uniformes de cérémonies des Gardes républicains en France et d’autres uniformes de régiments historiques un peu partout en Europe.
Le bel uniforme exhibé à Yapeyú
permet donc à ses habitants de s’approprier un peu plus leur
héros, dont toutes les reliques présentes en Argentine se trouvent
toutes à Buenos Aires, et aux historiens locaux de présenter comme
des faits certains diverses hypothèses sur l’apparence physique du
général : sa taille, sa pointure, etc. Emouvante modalité
d’appropriation qui n’est pas sans rappeler la mythographie
relative à divers personnages historiques européens à l’époque
médiévale, dont le trafic des reliques était une des formes. Cet
uniforme nous montre aussi à quel point le personnage est aimé et
combien il est vital au sentiment d’appartenance et à la fierté
patriotique des Argentins, surtout dans des zones périphériques
comme cette province.
Photo Francisco Gomez |
Il se trouve que la connaissance physique du personnage historique nous échappe sans doute sans retour. Il existe bien quelques pièces authentiques d’uniforme : vestes, bicornes, ponchos, éperons, à quoi s’ajoute un bon nombre d’armes, conservés essentiellement à Buenos Aires (au Museo Histórico Nacional et au Museo Mitre) et à Lima. Pourtant ces éléments ne suffisent pas à déterminer la taille de leur propriétaire et encore moins sa pointure. Nous disposons par ailleurs de quelques descriptions par des témoins fiables (tous le trouvent très grand) mais ce sont presque tous des Britanniques, tant et si bien que nous ne savons pas à quels pieds et à quels pouces ils se réfèrent quand ils nous indiquent sa taille (au jugé, ils ne l’ont pas fait passer sous la toise). De deux choses l’une, ou ils s’appuient sur le système britannique (ce qui est le plus vraisemblable) ou ils emploient le système espagnol, dont les mesures sont différentes. Si bien que nous pouvons dire aujourd’hui que San Martín mesurait entre 1,70 et 1,80 m. Il devait donc être un peu plus grand que Napoléon : loin d’être petit comme le dit sa légende, l'empereur mesurait 1,69 m., une taille plutôt imposante à une époque où, le plus souvent, les hommes adultes atteignaient 1,60 m.
Sans ajouter foi aux explications peu convaincantes et surtout très peu développées par la presse, la province et la ville (ce nouveau musée n’a même pas encore de site Internet), on pourra néanmoins aller rendre hommage au travail du tailleur, en sortant du « Templete », le bâtiment-reliquaire qui protège les ruines de la maison natale de San Martín, et profiter de ce village argentin joliment situé sur la rive de l’Uruguay, aux marches de la Laguna Iberá, un somptueux parc naturel, royaume de la biodiversité (plantes, oiseaux et mammifères).
Pour tenter d’aller plus loin :
lire l’entrefilet de El Libertador, l’un des journaux locaux
lire le communiqué du ministère de la Culture de la province de Corrientes