mardi 5 juillet 2016

Vers l'ouverture d'un procès en béatification de prêtres victimes de la dictature ? [Actu]

Photo prise sur la page Facebook consacrée aux cinq martyrs
Un fileteado sur un mur proche des locaux paroissiaux

Il y a quarante ans, dans la paroisse San Patricio (Saint-Patrick) de Buenos Aires, trois prêtres de la congrégation des pallottins (société de l'apostolat catholique, fondée en 1835 à Rome par le prêtre Vicente Pallotti) (1) et deux séminaristes furent assassinés dans les premiers mois de la dernière dictature militaire, celle qui avait commencé le 24 mars 1976 avec le putsch de Videla. Ce qui est passé dans l'histoire comme la Masacre de San Patricio.

Une une inattendue sur ce journal si peu sensible à la démarche spirituelle
et d'ailleurs, ça ne loupe pas : la dimension spirituelle échappe à la rédaction

Les assassins, des militaires, venaient, selon des témoins, de l'ESMA, cette école supérieure de mécanique navale, qui allait pendant toute la dictature servir de prison clandestine et de centre de torture pour les opposants au régime. Les religieux furent surpris dans le presbytère qu'ils habitaient. Leurs bourreaux les contraignirent à s'agenouiller sur un tapis (qui recouvrait hier l'autel) et ils ouvrirent le feu. Les meurtriers laissèrent sur le lieu du crime des inscriptions accusant les prêtres de subvertir la jeunesse et d'être des gauchistes (zurdos). Un séminariste put s'enfuir, c'est lui qui, ordonné quelque temps après, proclama hier la lecture de l'Evangile (les Béatitudes, selon saint Matthieu). C'est un laïc qui fit la sanglante découverte du massacre. Lui aussi était là hier : il tenait l'orgue.

Affiche proposée par la congrégation pallottine en Argentine
Cliquez sur l'image pour une très haute résolution

En 1976, l'enquête diligentée par la justice sous contrôle ne donna rien, comme on peut l'imaginer. Le dossier fut refermé en 1977. En 1984, après le retour de la démocratie, l'enquête reprit mais sans succès. Aujourd'hui, la congrégation de l'apostolat catholique est toujours partie civile dans la procédure judiciaire qui fait partie du méga-procès pour crime contre l'humanité instruit actuellement par le juge fédéral Sergio Torres contre les militaires de l'ex-ESMA.

L'appel à la première procession, dans la journée de dimanche

Hier, un lundi d'hiver, l'archevêque de Buenos Aires, Monseigneur Mario Poli, accompagné de plusieurs de ses confrères dans l'épiscopat argentin, présidait la messe anniversaire. Des reliques des victimes étaient déposées sur l'autel et leurs photos exposées à sa base. La messe avait été précédée par une procession solennelle qui était partie de l'ex-ESMA, à Palermo, et avait parcouru en chemin diverses paroisses où furent offerts des témoignages de foi autour des six disparus, une procession baptisée Camino del Martirio, jusqu'au quartier de Belgrano (2), au nord-ouest de la ville, où s'élève cette église dédiée au saint patron de l'Irlande. Cette paroisse est toujours confiée à la même société presbytérale.

La procession d'hier sous la pluie (c'est rare, la pluie en hiver à Buenos Aires)
le long de Avenida del Libertador

Au cours de la messe, que co-présidait le nonce apostolique, le cardinal Poli parla ouvertement des vertus des martyrs. Son vocabulaire choisi et technique et l'ensemble de ses propos laissent donc imaginer sans peine qu'il s'apprête à adresser à Rome une demande d'ouverture de procès en béatification que la Congrégation pour la Cause des Saints devra instruire. Après la béatification de Monseigneur Oscar Romero, il ne fait guère de doute que le Pape François soit favorable à cette démarche, la présence du nonce ès qualité en faisant foi. Ce serait la première fois que des prêtres victimes de la dictature militaire feraient l'objet d'une telle procédure dans l'Eglise catholique. Il y a plusieurs autres candidats et toute une partie de l'Eglise d'Argentine attend un geste à leur endroit pour en finir avec la fiction des pieux généraux putschistes, qui pratiquaient la répression et la torture tout en ayant partie liée avec l'Eglise catholique et des instances romaines qui préféraient encore ces régimes, tout sanglants qu'ils fussent, au communisme qui aurait interdit le culte.

La une de Clarín le 5 juillet 1976
Les prêtres massacrés ont droit à la manchette en bas à droite
en haut, le retour en Israël des otages du vol Tel-Aviv Paris sauvés à Entebbe par Tsahal

Seul Página/12 en parle ce matin dans son édition du jour, au point d'en faire sa une. Ce qui pourrait bien indiquer que les autres titres de la presse quotidienne généraliste (3) estiment que le temps n'est pas encore mûr pour cette démarche de justice, dont elle peut penser qu'elle ne ferait pas l'unanimité dans le diocèse de Buenos Aires.

La devise du quarantième anniversaire, sur un autre mur proche de l'église San Patricio
Aujourd'hui, ils sont Lumière et Vie
Les deux termes ont été repris dans l'homélie du cardinal
et correspondent aux caractéristiques des saints catholiques.

Pour aller plus loin :
consulter la page Facebook de la paroisse San Patricio et celle consacrée aux cinq martyrs du 4 juillet 1976. Ils ont aussi leur propre site Web tenu par leur congrégation. Vous y trouverez de nombreux témoignages et des ressources spirituelles qui encouragent la prière avec eux.



(1) Cette société apostolique (SAC) compte aujourd'hui 6000 prêtres dans le monde.
(2) Même si l'agence catholique AICA la situe à Villa Urquiza.
(3) La presse généraliste n'est toutefois pas le peuple de Dieu. Et ce qui devrait être observé à partir d'aujourd'hui par le magistère catholique, c'est ce qu'il se passera au niveau des paroisses de Buenos Aires et du reste du pays sur cette affaire et comment les baptisés (pratiquants) vont recevoir les articles qui paraîtront dans la presse confessionnelle, sur les réseaux sociaux, parmi les laïcs et les ministres du culte.