Au milieu de ce qui semble
bien laid, une bonne nouvelle : le film du Bicentenaire de
l'Indépendance sort et pourtant c'est un projet kirchneriste. Le
pluralisme revendiqué comme image de marque du Gouvernement Macri
est donc là ! Et c'est tant mieux !
L'auteur du scénario
n'est autre en effet que Pacho O'Donnell, le fondateur démissionnaire
du défunt Instituto Nacional de Revisionismo Histórico Manuel
Dorrego, liquidé dès la prise de fonction de Mauricio Macri (voir mon article du 31 décembre 2015).
Pacho
O'Donnell se présente comme historien et est tenu pour tel par de
nombreux hommes de gauche, y compris à l'université. Mais dans la
réalité des faits, il est un militant péroniste et avec l'âge, il
semble prendre des positions de plus en plus sectaires. Comme auteur,
il raconte l'histoire d'une façon très superficielle et simpliste,
en développant des théories complotistes anticapitalistes et en
voyant la main de l'oligarchie partout y compris à des époques
historiques où ce groupe social n'avait pas d'existence politique.
Corollairement, il est fasciné pour tous les épisodes de l'histoire
qui déchaîne l'imagination romanesque de ses compatriotes et dans
ces cas-là, il part aux antipodes de la méthodologie historique et
de la critique des archives. Or c'est justement le cas pour
l'événement qu'est censé reconstituer le film en costumes d'époque
qui sera donc celui de cette dernière étape du Bicentenaire
national argentin.
Les deux premières projections, dimanche 10 juillet, à 19 et 21h, en présence du réalisateur et des acteurs |
En effet, l'INCAA,
l'institut national du cinéma et de l'audiovisuel, qui dépend donc
du ministère de la Culture (Pablo Avelluto), propose pour le
dimanche 10 juillet 2016, à San Miguel de Tucumán, la première
d'un film sur l'Entrevue de Guayaquil qui a réuni, le 27 juillet
1822, le libérateur du Nord, Simón Bolívar, et le libérateur du
Sud, José de San Martín, dans le port principal du futur Equateur
(1). Ce fut leur seule rencontre dans toute leur vie. Et elle aboutit
à une mésentente complète, les deux hommes ayant des comportements
incompatibles et des projets politiques tout aussi peu conciliables
(2). Après cette rencontre, qui fut pour le général argentin un
profond traumatisme comme j'ai l'occasion de l'expliquer dans mes
conférences en commentant mes découvertes documentaires sur la
question, San Martín décida de démissionner de ses fonctions à la
tête de l'exécutif du Pérou qu'il venait de libérer pour laisser
la place à Bolívar dont il avait perçu l'ambition politique sans
frein et sans aucun scrupule. Il voulait ainsi éviter la survenue
d'une guerre civile intra-américaine, entre ses partisans et ceux du
Vénézuélien.
Dans le matériel délivré
au public en avant-première par l'INCAA, on peut voir une affiche hideuse (enfin, c'est mon avis) et peu lisible avec ces contours de
cartes géographiques qui traversent les visages des deux acteurs, un
Argentin (San Martín à gauche) et un Colombien (Bolívar avec la
moustache), qui incarnent les deux héros. Des visages peu souriants,
comme figés dans le bronze... Choix esthétique difficile à
comprendre quand on considère que l'une des buts poursuivis par les
revisionistas, dont Pacho O'Donnell est un représentant, consiste précisément à "tirer du bronze" (sacar del bronce) les grandes
figures historiques que sont San Martín, Belgrano et, dans le
nord du continent, Bolívar ou Miranda, deux figures que revendique
le Venezuela haut et fort.
Les photos du film rendues
publiques les montrent tout aussi revêches et aussi peu engageants
que sur l'affiche. Ce qui était sans doute assez exact de Bolívar,
au moins à ce moment-là de sa vie et au cours de cette rencontre
qu'il n'abordait pas en toute franchise, mais est tout à fait faux
sur San Martín, tous les témoignages de l'époque nous le décrivant
comme avenant, aimable et toujours souriant... Tout cela est si laid
que Página/12 ne reproduit rien, ni les photos ni cette affreuse
affiche sombre, glauque et grimaçante...
En 2010, le film "officiel", Revolución, el Cruce de los Andes, n'avait pas non plus grand rapport avec les événements fêtés cette année-là (la Révolution de mai 1810 au Cabildo de Buenos Aires), il portait aussi sur San Martín alors que celui-ci se trouvait encore en Espagne en 1810 (4) et donnait aussi de l'histoire une lecture revisionista (sans toutefois échapper à la représentation d'un San Martín arrogant et querelleur qui n'a jamais existé et que les revisionistas devraient avoir à cœur de corriger). Mais au moins l'affiche était lumineuse et le film offrait les espaces ouverts et somptueux de Cuyo, des environs de Santiago et de la Cordillère.
En 2010, le film "officiel", Revolución, el Cruce de los Andes, n'avait pas non plus grand rapport avec les événements fêtés cette année-là (la Révolution de mai 1810 au Cabildo de Buenos Aires), il portait aussi sur San Martín alors que celui-ci se trouvait encore en Espagne en 1810 (4) et donnait aussi de l'histoire une lecture revisionista (sans toutefois échapper à la représentation d'un San Martín arrogant et querelleur qui n'a jamais existé et que les revisionistas devraient avoir à cœur de corriger). Mais au moins l'affiche était lumineuse et le film offrait les espaces ouverts et somptueux de Cuyo, des environs de Santiago et de la Cordillère.
La première affiche était meilleure, non ? Il suffisait de redresser le cavalier pour éviter qu'on interprète la rencontre comme un échec de San Martín et le tour était joué ! |
Página/12 consacre la une
de ses pages culturelles à ce film qu'il ne peut renier eu égard à
l'appartenance idéologique de l'auteur de la pièce dont le film est
tiré (Pacho O'Donnell est l'une des personnalités favorites de la
rédaction).
La Nación quant à elle
prend ses distances avec ce long métrage argentino-colombien qui met
à mal la "vision orthodoxe de l'histoire" de San Martín, une lecture
orthodoxe (3) que l'on doit à Bartolomé Mitre (1821-1906) dans les années
1860, or Bartolomé Mitre n'est autre que... le fondateur de La
Nación. Vous suivez ? Mais La Nación n'ignore pas le film pour
autant et c'est tout à son honneur.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín
se connecter à la page Facebook du film
(1) Ce même Guayaquil qui
a subi un épouvantable tremblement de terre en avril, dont des
répliques se font encore sentir ces jours-ci. En juillet 1822,
Guayaquil venait de déclarer son indépendance et Bolívar venait de
prendre la ville de force, en violation complète de cette
déclaration. Et en pure perte puisqu'à la fin, l'Equateur n'a pas
fusionné avec sa Grande Colombie qui s'est scindée en deux pays
différents, le Venezuela et notre Colombie telle que nous la
connaissons.
(2) J'en ai parlé dans
mes deux ouvrages sur San Martín, sortis aux Editions du Jasmin :
le biographie en français San Martín à rebours des conquistadors
et le recueil de documents historiques, San Martín par lui-même et par ses contemporains.
(3) Bien entendu, le
caractère orthodoxe de la version mitriste est tout aussi
contestable par le chercheur contemporain en histoire que l'est
l'interprétation partisane de Pacho O'Donnell. A ceci près qu'au
temps de Mitre, tout le monde considérait l'histoire comme un outil
de formation de l'opinion publique et que depuis lors l'histoire est
devenue une science avec la méthodologie qui s'y attache.
(4) Il faut croire que Manuel Belgrano n'a qu'à aller se faire cuire un œuf :
(4) Il faut croire que Manuel Belgrano n'a qu'à aller se faire cuire un œuf :