Página/12 continue de
bouder les célébrations officielles, faisant passer son différend
politique avec le nouveau gouvernement devant un symbole d'unité
nationale et de pluralisme pacifique.
Il a choisi hier de
confier l'article principal de son supplément économique Cash à un
économiste émérite et hétérodoxe de l'Université de Buenos
Aires (UBA) : sous le titre Pour un autre bicentenaire, Mario Rapoport analyse le problème de la dette, que Mauricio Macri a
choisi de régler en totalité et immédiatement, au détriment de la
consommation intérieure, y compris à des créanciers procéduriers qui s'enrichissent en spéculant sur les dettes souveraines des pays les plus fragiles, tout ce que
déteste la gauche péroniste. L'universitaire revient sur les heures
économiques sombres de l'histoire récente : la phase
ultra-libérale sous la présidence de Carlos Menem, élu pourtant
sous la bannière péroniste mais aligné sur la politique
thatchero-reaganienne des année 90, puis l'effondrement de
l'économie nationale qui s'en est suivi en décembre 2001 et reste
dans la mémoire des Argentins comme l'un de leurs pires cauchemars.
Et ce matin, l'un des
éditoriaux est signé par Horacio González, le très kirchneriste
sociologue qui fut le directeur de la Biblioteca Nacional Mariano
Moreno pendant les douze ans des trois mandats Kirchner. Dans cet
article, l'opposant critique vertement l'actuel gouvernement pour son
sens de l'histoire qui serait un contresens voulu, destiné à
tromper l'opinion publique sur la réalité du passé argentin. Il
parle d'un récit national fait de mythes superficiels qui écrasent
les analyses authentiques. En fait d'analyses authentiques, il se
réfère à une lecture très partisane de l'histoire, la lecture du
revisionismo, qui tort lui aussi le récit dans un sens
scientifiquement contestable. Et par ailleurs, le sociologue voudrait
que les manifestations officielles rendent toute la palette de la
complexité universitaire en matière historique, ce qui n'est bien
entendu jamais possible. Les cérémonies officielles ne font jamais
que se fonder sur une représentation simplifiée de l'événement
commémoré. Et comment pourrait-il en être autrement ? Une
commémoration patriotique n'est pas un colloque scientifique.
Marche arrière toute,
c'est partie ! Patrie ? Non marche arrière (1). 2016 ,
2001, 1992, 1982, 1976, 1955... Super chouette ! Le film
à l'envers... Et on revient au vice-royaume ! (2)
(Traduction © Denise Anne
Clavilier)
Et dans sa mini-BD du
jour (ci-dessus), Miguel Rep reprend un nouveau personnage, qui remplace peu à
peu son Culpo des années Kirchner : il s'agit d'un crabe. Le crustacé se déplace toujours latéralement mais le caricaturiste de presse le fait
marcher à reculons pour mieux servir ses démonstrations. On le voit
aujourd'hui remonter le fil du temps, symbolisant la nostalgie du
temps colonial prêtée à Mauricio Macri (3), avec les dates qui
symbolisent toutes des catastrophes (4) pour finir par se piquer sur
une imaginaire couronne royale, emblème de l'Ancien Régime. Le
dessin est génial. L'idée peu nuancée qu'il véhicule est plus
agaçante comme le reste des prises de position du journal...
D'autant que si les quotidiens de droite mentaient en parlant du
succès populaires des fêtes du Bicentenaire pendant ces trois
jours, il ne fait guère de doute que Página/12 en ferait des gorges
chaudes. Mais sa politique a été pendant ces fêtes de ne pas en
parler du tout, ce qui est une façon de ne pas rendre compte de la
réalité.
Pour aller plus loin :
lire l'éditorial de Mario Rapoport
lire l'éditorial de Horacio González
Pour aller plus loin :
lire l'éditorial de Mario Rapoport
lire l'éditorial de Horacio González
(1) Jeu de mots comme
Página/12 les aime : pa' trás est la forme contractée, très
argentine, de para atrás (littéralement pour arrière, donc marche
arrière).
(2) Il semblerait que
Miguel Rep ait abandonné depuis plusieurs mois une caricature de
Mauricio Macri en une espèce de shadok doté d'un nez en forme de
bec de cigogne. Il l'avait baptisé Birrey (deux fois roi, ce qui se
prononce presque de la même manière de virrey, c'est-à-dire
vice-roi). Si effectivement il a abandonné Birrey et l'a remplacé
par Jo el Cangre (Jo le Crabe, avec un prénom typique de western ou de série nord-américaine), c'est sans doute que l'assimilation
de Macri au vice-roi est politiquement difficile à soutenir.
(3) C'est notamment ainsi
qu'est interprétée, dans la mouvance kirchneriste, l'invitation
faite à la Couronne espagnole de se joindre aux festivités. Comme
si deux cents ans ne s'étaient pas écoulés depuis. Comme si
l'Espagne était toujours le même pays que sous la restauration
bourbonienne post-napolénonienne. Comme si Juan Carlos était
Fernando VII. Ce sectarisme est vraiment très déplaisant !
(4) 2016, l'arrivée au
pouvoir de Macri et de l'alliance de gouvernement Cambiemos ;
2001, l'effondrement économique du pays ; 1992, la politique
ultra-libérale de Menem ; 1982, la guerre des Malouines, une
initiative militaire de la Dictature ; 1976, le coup d'Etat de
Videla qui a donné naissance à la dictature militaire la plus
répressive de toute l'histoire du pays (qui en a pourtant connu
d'autres) ; 1955, le coup d'Etat qui a renversé Perón. Et Rep
s'arrête là, ce qui montre bien l'axe péroniste de son opposition
au gouvernement actuel (autant que les contraintes d'un dessin de
presse).