La basilique du Pilar, vu sous un angle inhabituel cliquez sur la photo pour une meilleure résolution |
Continuons
notre parcours dans l'histoire et la géographie de Buenos Aires avec
cette nouvelle journée dans le nord de la ville, grâce au séjour
culturel que je vous propose avec l'agence Human Trip, qui organise
des voyages de tourisme solidaire et équitable depuis
Aix-en-Provence. Destinations proches ou lointaines, à prix plus que
raisonnables...
A
vrai dire, le quartier de Recoleta reflète le défi qu'a été pour
la capitale argentine le fait de satisfaire son ambition politique et
de se hisser au rang des grandes capitales du monde et d'abord de son
continent. Le quartier trouve son origine au début de la guerre
civile consécutive à l'indépendance, définitivement et
formellement proclamée le 9 juillet 1816 à Tucumán, de l'autre
côté du pays. Curieusement, Recoleta, cet élégant quartier huppé, est né autour d'un
cimetière ! Le cimetière du Nord, premier cimetière public
institué en 1822 dans ce qui avait été le jardin conventuel des
récollets. Le couvent était désaffecté depuis longtemps à cause
des troubles révolutionnaires. Or pour des questions de santé
publique, il fallait mettre fin à la coutume d'enterrer les défunts
de quelque prestige dans les églises de la ville. Bernardino
Rivadavia (1780-1845) (1), alors ministre, décida donc de
reconvertir ces terres à l'abandon, tout là-haut dans le nord, en
pleine campagne, en lieu de repos éternel et de contraindre la
population de Buenos Aires à y ensevelir ses morts. Et c'est ainsi
que le 4 août 1823 y fut porté en terre le cercueil de doña
Remedios de Escalada de San Martín (1797-1823). Tant et si bien que
l'une des premières tombes fut celle de l'épouse chérie du plus
haï des ennemis de Rivadavia, le Général José de San Martín que
retenaient alors comme prisonnier à Mendoza tout à la fois les
espions du ministre unitaire et une grave rechute du burn-out qu'il
avait fait neuf mois plus tôt, après avoir quitté le pouvoir au
Pérou.
La
petite tombe de Remedios existe toujours avec la phrase que San
Martín y a fait graver en décembre 1823 (même si ce n'est pas la pierre originale, qui
se trouve dans le jardin d'honneur de la caserne des Grenadiers à
cheval à Palermo). C'est l'un des trois tombeaux qui remontent à la
fondation de la nécropole et qui n'ont pas été détruits depuis.
Près d'elle, on a pieusement placé l'urne de ses beaux-parents,
qu'en 1947, Perón a fait apporter d'Espagne où ils avaient achevé
leur vie, lui en 1796 et elle en 1813. Et pour honorer la mémoire du
fils, on a surmonté ce qui est maintenant un simple cénotaphe (2)
d'une copie du drapeau de l'armée des Andes (3).
L'église
du couvent des récollets est devenue une basilique, la Basilique du
Pilar, consacrée à la Vierge du Pilier, particulièrement chère à
la dévotion des Espagnols et dont la vénération s'est répandue
dans tout l'empire colonial pour y rester jusqu'à aujourd'hui.
Ainsi
donc l'un des pôles de notre promenade à Recoleta sera ce coin qui
rassemble l'église, le cimetière où repose tout ce qui a compté
dans la vie politique du pays dans une rivalité d'ostentation
architecturale à qui aura la dernière demeure la plus imposante, la
plus onéreuse et la plus prestigieuse (4) et le centre culturel
Recoleta, dont je vous parle parfois parce qu'il accueille en
permanence expositions, conférences et concerts.
Un
second pôle sera le Museo Nacional de Bellas Artes, un des plus gros
musées argentins (mais il est loin d'avoir la taille du Prado).
Contrairement à nos musées qui sont constituées essentiellement de
collections royales et aristocratiques séculaires, confisquées à
la Révolution en France, plus souvent offertes au pays dans des
contrées à l'histoire plus calme, et du résultat des pillages de
pays que nous avons conquis ou dominés au XVIIe,
XVIIIe
et XIXe
siècles, les musées argentins exposent surtout des collections
privées montées dans ce but par des riches amateurs qui y ont
consacré une grande partie de leur fortune, il est vrai
considérable, et de quelques dons ou legs d'artistes. Le budget que les musées argentins peuvent consacrer aux acquisitions ne leur permet guère de participer aux enchères mondialisées et hyper-concurentielles du marché de l'art et des documents historiques.
Le
MNBA a donc pour atouts sa belle collection de peintres argentins,
inconnus sur nos rivages mais qui valent pourtant le voyage, et les trois grands grandes donations de beaux-arts, mobilier et vaisselle
somptuaire qui nous permettent de comprendre comment l'oligarchie
éclairée, en lui consacrant toute ses forces, a pensé la
construction du pays et a voulu le hisser à la hauteur des
puissances européennes de l'époque. Le musée est situé face à Plaza Francia, où nous ferons un tour bien entendu !
Vue partielle de Plaza Francia (le musée est hors champs sur la droite) Cliquez sur l'image pour obtenir une meilleure résolution |
Troisième
pôle, toujours dans la même perspective qu'est l'élaboration du
pays et de sa culture, du côté des possédants amoureux du savoir,
en un temps où il n'y avait pas de ministère de la culture :
le Musée des Arts hispano-américains Isaac Fernández Blanco.
Une aile du Palacio Noel où est installé le Musée Isaac Fernández Blanco vue depuis le jardin Cliquez sur l'image pour obtenir une meilleure résolution |
Le
mécène dont il porte le nom a passé sa vie à constituer un fonds
de beaux-arts, de mobilier et objets usuels. Il voulait que les
Argentins prennent conscience de l'originalité de leur culture et de
leur histoire et sachent les promouvoir face à l'arrivée massive
d'Européens et la tentation qui chatouillait une autre partie de
l'oligarchie de nier l'américanité du pays pour mieux l'angliciser
(ce qui a heureusement échoué).
Le
musée offre donc une impressionnante plongée dans le passé de
l'Argentine et de l'Amérique du Sud grâce à ce patriote qui, trois
générations après l'indépendance, revendiquait à nouveau les
racines coloniales de son pays. On repasse ainsi plusieurs siècles
que Rivadavia et les successeurs de Rosas avait voulu nié et jeté
aux oubliettes : les missions jésuites et le métissage avec
les Indiens, les échanges commerciaux avec le Brésil lusophone et
les autres zones de l'empire espagnol, ceux avec les Philippines et
l'influence de l'esthétique asiatique dans les églises argentines qui s'en est suivi,
les conséquences artistico-économiques de la découverte des mines
d'argent du Potosí (actuelle Bolivie, province du vice-royaume du
Pérou jusqu'en 1776 puis du vice-royaume du Río de la Plata sous
le nom de Haut-Pérou).
Vous en sortirez éblouis et ravis...
Le
quatrième pôle d'intérêt du quartier, dans cette intense journée,
est le sceau que la famille Alvear a voulu mettre sur ce quartier
lorsque don Torcuato de Alvear (1822-1890), fils d'un héros ambigu
de la guerre d'indépendance, devint le maire (intendente) de Buenos Aires
(1883-1887) où il se voulut le baron Hausmann... au profit de la
gloire familiale. C'est lui qui fit percer Avenida de Mayo et
d'autres grandes artères de la capitale. Pour cela, il n'hésita pas
à éventrer le très beau Cabildo qui avait été le berceau de la
Révolution de 1810 (voir mon article sur notre premier jour à Buenos Aires). Et puis il commanda à Antoine Bourdelle, le sculpteur
français (tant qu'à faire!), un monument mégalomane à la gloire
de son papa, le général Carlos María de Alvear (1789-1852),
officier ambitieux et paranoïaque qui prit ombrage des succès de
son ami San Martín au point de financer les pamphlétaires qui, au
service de Rivadavia et de ses sbires, tentaient de le flétrir et de
le perdre dans l'opinion publique (raté!). Politicien ambigu
après un premier et fougueux engagement révolutionnaire (il fut le
très actif président de l'Assemblée de l'An XIII). Le monument,
érigé entre Avenida Alvear et Plaza Intendente Torcuato de Alvear,
entend rivaliser, en taille et en hauteur, avec le monument de Plaza
San Martín (Retiro). Il faut dire que la famille Alvear avait très très mal
vécu le retour solennel des cendres de San Martín en mai 1880, son
mausolée dans la cathédrale et la popularité inouïe dont il
jouissait encore et toujours dans la nation argentine.
L'invraisemblable monument au Général Alvear, vu dans son intégralité depuis Plaza Intendente Alvear (cliquez sur l'image pour une meilleure résolution) |
La très placide statue équestre, juchée sur son perchoir de granit rose, fut inauguré en
1926 sous la présidence de... Marcelo Torcuato de Alvear
(1868-1942), petit-fils du statufié et fils du maire... En
contrebas de la basilique et du cimetière, ce coin-là résume assez
bien la manière dont certaines familles coloniales surent, non sans
génie, tirer partie de la Révolution et de l'indépendance pour
conquérir fortune et pouvoir pour se rendre maîtresses du pays. Son
histoire est emblématique d'un processus historique très répandu
en Argentine comme dans le reste de l'ex-empire espagnol.
La
journée commencera avec un bref exposé de ma part pour mettre en place les
grands repères de l'histoire, depuis les récollets jusqu'au mandat
de don Torcuato et sa folie des grandeurs en passant par cette
épidémie de fièvre jaune, la dernière à Buenos Aires, qui à
l'été 1871 poussa les riches à quitter San Telmo et à se réfugier
dans le nord où les cabanons du dimanche se transformèrent très
vite en demeures de maître, donnant au quartier sa sociologie
actuelle. Nous quitterons l'hôtel de bonne heure pour monter vers
Recoleta. Nous y prendrons ensemble le déjeuner dans un restaurant
du coin.
Soirée
et dîner libres.
Les danseurs de tango pourront aller user les
planchers
(sacar viruta (5) al piso, comme on dit à Buenos Aires).
Les autres préféreront peut-être faire trempette dans la piscine
et le jacuzzi de l'hôtel ou profiter d'un spectacle à l'affiche, se
faire un restaurant ou un pique-nique dans leur chambre qui est
équipée pour (frigo, micro-ondes, bouilloire, plaque de cuisson et
vaisselle)...
*
* *
Grâce
à son correspondant sur place, Human Trip peut vous offrir des
extensions vers d'autres destinations, en Argentine ou dans les pays
limitrophes, à votre guise, à l'intérieur des dates prévues (vous
pouvez sauter des étapes de notre programme si vous le voulez), soit
avant l'arrivée du groupe, le 25 avril, soit après son départ le 7
mai.
L'agence
se tient à votre service pour vous construire un programme sur
mesure.
* *
*
Pour
en savoir plus sur le voyage :
consultez
le programme sur le site de l'agence
téléchargez-le
en version imprimable sur mon site Internet
découvrez
l'Apart Hotel Monserrat grâce à son site Internet (qui est tout à fait fiable)
reportez-vous
aux autres articles sur le voyage déjà parus dans ce blog en
cliquant sur le mot-clé Human Trip dans le bloc Pour chercher, para
buscar, to search, ci-dessus. Les articles se lisent à l'écran du
plus récent au plus ancien.
Pour
en savoir plus sur Recoleta et les différents pôles touristiques
décrits dans cet article :
visitez
le site Internet du Museo Nacional de Bellas Artes et connectez-vous
à sa page Facebook
visitez
les pages du Museo de Arte hispano-americano Isaac Fernández Blanco
sur le portail de la Ville Autonome de Buenos Aires (nous visiterons
l'exposition permanente du Palacio Noel) et connectez-vous à sa page Facebook
visitez
le site Internet que deux passionnés ont consacré à la basilique
del Pilar (validé par le Ministère de la Culture de la Ville
Autonome de Buenos Aires)
La
paroisse Nuestra Señora del Pilar dispose de son propre site (à
forte dimension confessionnelle, comme on peut bien le penser) mais
c'est le site "officiel"
de ce lieu.
Ne vous étonnez pas d'y trouver force référence au Pape François.
Il y a un lien !
Cette
paroisse s'est aussi installée sur Facebook.
Vous
pouvez aussi visiter le site Internet du quartier et lire la letra de
tango que Horacio Ferrer a dédiée à son quartier d'adoption (qui
est aussi le quartier natal de sa mère) et que j'ai traduit dans un
cahier bilingue publié dans la revue Triages (n° 20, Tarabuste
Editions, juin 2008) (6)
Dans
ce blog, vous pouvez accéder aux diverses entrées sur l'actualité
de Recoleta en cliquant sur son nom dans le bloc Pour chercher, para
buscar, to search, ci-dessus.
(1)
Rivadavia est en quelque sorte l'âme damnée de la période
indépendantiste. Certes, c'est lui qui fonda l'Université de Buenos
Aires et son nom mérite de rester dans l'histoire pour cela. Mais le
reste ! Personnage fourbe, arrogant, anti-social, raciste, ivre
de pouvoir, belliqueux... Bref, tout ce qui peut le rendre
sympathique aux yeux d'un homme du XXIème
siècle... Sa tradition politique a été reprise à partir de la fin
du XIXème
siècle par les penseurs de l'oligarchie, comme Sarmiento et Mitre,
et portée au pinacle par la Generación del Ochenta (1880-1916). En
toute logique, il est honni par l'actuel courant historique que les
Argentins appellent le révisionnisme et qui institutionnalise
l'interprétation du passé national, une vision à la fois
souverainiste et sociale, c'est-à-dire péroniste pour l'essentiel
et un peu radicale à la marge.
(2)
L'urne a en effet été placée en 1998 dans le gigantesque
reliquaire qu'on a bâti à Yapeyú, dans la Province de Corrientes,
autour de ce qui doit avoir été la maison natale du général San
Martín et a dû servir de palais (fort modeste) au capitaine de Juan
de San Martín (1728-1796) au temps où il était le vice-gouverneur
du district de Yapeyú, de 1776 à 1781. La ville a été incendiée
en 1817 par une expédition luso-brésilienne et il ne reste rien de
la cité jésuite où San Martín a vu le jour, pas même les
archives paroissiales où son baptême et celui d'un de ses frères
ont dû être inscrits. Tant et si bien qu'on n'a pas la preuve qu'il
est né là. Ce qui fait naître des tas de spéculations plus
oiseuses les unes que les autres mais qui sont le revers de toute
transformation d'un personnage historique en mythe (c'est la même
chose pour Carlos Gardel).
(3)
Sur la vie de ce héros de l'indépendance, des droits de l'homme et
de l'abolition de l'esclavage, qui a rendu le dernier soupir en
France, à Boulogne-sur-Mer, sous la Seconde République, voir la
biographie San Martín, à rebours des conquistadors, que j'ai
publiée aux Editions du Jasmin en décembre 2012. Voir également la
journée de ce voyage consacrée entièrement à ce personnage, deux
jours auparavant (le lundi de cette dernière semaine d'avril 2014).
L'original du drapeau de l'armée des Andes est conservé dans la
ville de Mendoza.
(4)
Mais la tombe la plus visitée est un caveau familial qui à première
vue ne se distingue pas des autres. Si ce n'est par la quantité de
fleurs déposées devant. La concession des Duarte. C'est là que
repose le corps embaumé d'Evita (1919-1952).
(5)
Comme ça, vous savez pourquoi une milonga de Palermo s'est baptisée
La Viruta (le copeau... d'une des lattes du plancher -piso-, ce
copeau qu'arrachent les semelles de danseurs si pris par leur passion
qu'ils en transforment leurs inoffensives chaussures en rabots).
(6)
Vous pouvez retrouver toutes les références de mes livres, leur
présentation et leurs modalités d'achat (prix, lieux, commandes...)
sur mon site Internet.