Mercredi prochain, arrive à Buenos
Aires le président de la République française en provenance de
Lima. Pendant deux jours, François Hollande sera reçu à la Casa
Rosada, signera une vingtaine d'accords bilatéraux, commerciaux et
industriels pour la plupart, et se rendra sur le campus de l'ex-ESMA pour un hommage aux Français assassinés pendant la Dictature, dont
plusieurs le furent dans cet ancien centre de détention et de
torture clandestin devenu Centre culturel des Droits de l'Homme. Il y rencontrera les associations des droits de
l'homme qui avaient l'appui de la France de François Mitterrand
pendant ces années sombres et les premiers temps du retour à la
démocratie. Un mois plus tard, arrive, en provenance de La Havane
cette fois-ci, Barack Obama, dont l'ambassadeur en Argentine vient de déclarer
qu'il souhaitait souligner, à travers ce déplacement, l'engagement
commun des Etats-Unis et de l'Argentine dans la démocratie et les
principes des droits de l'Homme. (1)
En préparation de ces deux visites
très symboliques, le Président Mauricio Macri vient d'annoncer
qu'il allait personnellement recevoir mardi Estela de Carlotto et le
bureau de Abuelas de Plaza de Mayo à la Casa Rosada.
Estela de Carlotto a bien l'intention
de remettre sur le tapis ce dont elle a déjà discuté avec le
Premier ministre, le ministre de la Justice et le secrétaire d'Etat
aux droits de l'homme il y a moins d'un mois et de réclamer encore
et toujours la libération de Milagro Sala (laquelle dépend de la
justice provinciale de Jujuy et non pas du pouvoir exécutif
national) (2), alors même que la Cour des Comptes vient de publier
un rapport sur des malversations attestées dans la gestion de
l'argent public par l'organisation péroniste Tupac Amaru et sa
dirigeante, Milagro Sala.
Página/12 voit dans cette initiative
présidentielle une démarche sournoise et hypocrite, correspondant à
une communication machiavélique planifiée longtemps à l'avance pour donner le change, et
suggère que Mauricio Macri se fait dicter son agenda par les chefs
d'Etat invités (enfin, surtout par Obama !) auxquels il fait sa
cour contre un plat de lentilles.
Il se pourrait toutefois que la réalité
soit beaucoup moins sordide et minable et que le président argentin ait tout
simplement organisé rationnellement son agenda, en fonction des
priorités de sa politique et de sa charge de travail pendant l'été (3), comme
n'importe quel autre chef d'Etat constitutionnel partout sur le
globe...
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur la
prochaine audience donnée à Estela de Carlotto (et seulement elle)
lire l'article de Clarín, qui embraye
sur la même interprétation complotiste de soumission aux puissances étrangères (cette mode du complot que le très regretté Humberto Eco attribuait chez les journalistes à une paresse intellectuelle et une grande indigence de culture historique et même générale - à écouter sur France Culture)
lire l'article de La Prensa, nettement moins paranoïaque
lire le communiqué très sobre de la
Casa Rosada (deux phrases)
Vous noterez que l'article de Página/12
donne une liste d'associations reçues mardi prochain tandis que la
Casa Rosada ne mentionne que Abuelas de Plaza de Mayo, avec une forte
personnalisation sur le nom de sa présidente.
Lire par ailleurs l'article de Clarín sur les
explications de l'Ambassadeur des Etats-Unis, qui a justifié le
choix de la date du voyage d'Obama par l'optimisation de l'agenda du président
nord-américain (pas bien sorcier, tout ça ! et pas idiot pour gagner du temps tout en épargnant le kérosène et donc l'atmosphère de notre pauvre planète...) (4)
lire le billet d'opinion de Martín Granovsky, de Página/12, qui, visiblement, ne décolère pas d'avoir vu lundi
dernier Mauricio Macri visiter la ex-Esma alors qu'il ne l'avait
jamais fait en sa qualité de chef du gouvernement de la Ville
Autonome de Buenos Aires (5).
Tout se passe comme si cette visite
était une insulte, comme s'il y avait une obsession délirante dans
le regard porté sur cette visite. La complaisance de la rédaction
de Página/12 dans une hostilité figé dans un temps à jamais
immobile, l'interprétation systématique en mauvaise part et
l'invective au bord de la plume est un phénomène assez troublant
pour des démocrates formés aux mœurs politiques européennes,
beaucoup plus pacifiques et conciliantes. Mauricio Macri, quant à
lui, semble bien s'inscrire dans une dynamique d'évolution des
relations politiques à l'intérieur et à l'extérieur.
(1) Si Macri était l'odieux partisan
des putschistes qu'un certain nombre de kirchneristes veulent voir en
lui, il aurait pu attendre un peu pour inviter un président des
Etats-Unis alors que celui-ci se trouve dans la toute dernière année
de son dernier mandat. Une brute épaisse comme Donald Trump (Dieu
protège le monde de son élection) serait plus proche d'un tel idéal
qu'un Barack Obama, avec son histoire personnelle de fils d'Africain
et son Obamacare, abomination de la désolation pour un néolibéral à la sauce guerre froide côté Reagan.
(2) Et c'est un problème de
démocratie, cette absence de respect de la séparation des pouvoirs,
entre pouvoirs national et pouvoir provincial et entre pouvoir
exécutif et pouvoir judiciaire, de la part d'organisations qui
disent vouloir défendre les droits de l'Homme !
(3) Au bout d'un peu plus de deux mois
de pouvoir, il semble assez clair que sa priorité était de dresser
un état de la situation institutionnelle et budgétaire aussi fiable
que possible, d'éliminer le risque -visiblement bien réel- de
sabotage de son action par les militants de son opposition infiltrés
assez profondément dans l'appareil de l'Etat, de mettre en place de
nouvelles pratiques institutionnelles (ce qui n'était pas une mince
affaire) et de faire savoir tout cela au monde pour repartir sur ce
qu'il estime être des bases saines et renouer le dialogue avec des
partenaires et des créanciers convaincus de la nocivité de la
diplomatie argentine, sans pour autant casser ce qui marchait déjà :
système social, infrastructures culturelles (y compris celles de
l'ex-ESMA), politique scientifique et développement technologique...
(4) Les Argentins fonctionnent en
permanence dans l'improvisation. Ils semblent avoir beaucoup de mal à
imaginer qu'il n'en va pas ainsi en Europe, au Canada, aux Etats-Unis
ou au Japon. On s'en aperçoit quand on travaille concrètement avec
des Argentins : il est à peu près impossible de leur faire
prendre une décision sur une date avec plus de 15 jours d'avance...
Et il faut vraiment le vivre pour le croire !
(5) C'est oublier un peu vite à quel
point Cristina Kirchner avait identifié le lieu et l'ensemble du
projet à sa personne et qu'il lui fallait se démarquer
d'elle pour incarner une autre voie politique crédible dans un
contexte d'hostilité idéologique exacerbée, qui continue de se
manifester aujourd'hui dans le ton de Página/12 et l'attitude d'un
certain nombre de responsables kirchneristes, mais uniquement parmi
les plus fanatiques (il y en a déjà qui, au Congrès, ont quitté le bloc FpV, et il en va de même des gouverneurs et des
maires dont certains mettent pas mal d'eau dans leur vin).