samedi 20 février 2016

Avant Hollande puis Obama, l'accent est mis sur les Droits de l'Homme [Actu]

Mercredi prochain, arrive à Buenos Aires le président de la République française en provenance de Lima. Pendant deux jours, François Hollande sera reçu à la Casa Rosada, signera une vingtaine d'accords bilatéraux, commerciaux et industriels pour la plupart, et se rendra sur le campus de l'ex-ESMA pour un hommage aux Français assassinés pendant la Dictature, dont plusieurs le furent dans cet ancien centre de détention et de torture clandestin devenu Centre culturel des Droits de l'Homme. Il y rencontrera les associations des droits de l'homme qui avaient l'appui de la France de François Mitterrand pendant ces années sombres et les premiers temps du retour à la démocratie. Un mois plus tard, arrive, en provenance de La Havane cette fois-ci, Barack Obama, dont l'ambassadeur en Argentine vient de déclarer qu'il souhaitait souligner, à travers ce déplacement, l'engagement commun des Etats-Unis et de l'Argentine dans la démocratie et les principes des droits de l'Homme. (1)

En préparation de ces deux visites très symboliques, le Président Mauricio Macri vient d'annoncer qu'il allait personnellement recevoir mardi Estela de Carlotto et le bureau de Abuelas de Plaza de Mayo à la Casa Rosada.

Estela de Carlotto a bien l'intention de remettre sur le tapis ce dont elle a déjà discuté avec le Premier ministre, le ministre de la Justice et le secrétaire d'Etat aux droits de l'homme il y a moins d'un mois et de réclamer encore et toujours la libération de Milagro Sala (laquelle dépend de la justice provinciale de Jujuy et non pas du pouvoir exécutif national) (2), alors même que la Cour des Comptes vient de publier un rapport sur des malversations attestées dans la gestion de l'argent public par l'organisation péroniste Tupac Amaru et sa dirigeante, Milagro Sala.

Página/12 voit dans cette initiative présidentielle une démarche sournoise et hypocrite, correspondant à une communication machiavélique planifiée longtemps à l'avance pour donner le change, et suggère que Mauricio Macri se fait dicter son agenda par les chefs d'Etat invités (enfin, surtout par Obama !) auxquels il fait sa cour contre un plat de lentilles.
Il se pourrait toutefois que la réalité soit beaucoup moins sordide et minable et que le président argentin ait tout simplement organisé rationnellement son agenda, en fonction des priorités de sa politique et de sa charge de travail pendant l'été (3), comme n'importe quel autre chef d'Etat constitutionnel partout sur le globe...

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur la prochaine audience donnée à Estela de Carlotto (et seulement elle)
lire l'article de Clarín, qui embraye sur la même interprétation complotiste de soumission aux puissances étrangères (cette mode du complot que le très regretté Humberto Eco attribuait chez les journalistes à une paresse intellectuelle et une grande indigence de culture historique et même générale - à écouter sur France Culture)
lire l'article de La Prensa, nettement moins paranoïaque
lire le communiqué très sobre de la Casa Rosada (deux phrases)
Vous noterez que l'article de Página/12 donne une liste d'associations reçues mardi prochain tandis que la Casa Rosada ne mentionne que Abuelas de Plaza de Mayo, avec une forte personnalisation sur le nom de sa présidente.

Lire par ailleurs l'article de Clarín sur les explications de l'Ambassadeur des Etats-Unis, qui a justifié le choix de la date du voyage d'Obama par l'optimisation de l'agenda du président nord-américain (pas bien sorcier, tout ça ! et pas idiot pour gagner du temps tout en épargnant le kérosène et donc l'atmosphère de notre pauvre planète...) (4)
lire le billet d'opinion de Martín Granovsky, de Página/12, qui, visiblement, ne décolère pas d'avoir vu lundi dernier Mauricio Macri visiter la ex-Esma alors qu'il ne l'avait jamais fait en sa qualité de chef du gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires (5).
Tout se passe comme si cette visite était une insulte, comme s'il y avait une obsession délirante dans le regard porté sur cette visite. La complaisance de la rédaction de Página/12 dans une hostilité figé dans un temps à jamais immobile, l'interprétation systématique en mauvaise part et l'invective au bord de la plume est un phénomène assez troublant pour des démocrates formés aux mœurs politiques européennes, beaucoup plus pacifiques et conciliantes. Mauricio Macri, quant à lui, semble bien s'inscrire dans une dynamique d'évolution des relations politiques à l'intérieur et à l'extérieur.



(1) Si Macri était l'odieux partisan des putschistes qu'un certain nombre de kirchneristes veulent voir en lui, il aurait pu attendre un peu pour inviter un président des Etats-Unis alors que celui-ci se trouve dans la toute dernière année de son dernier mandat. Une brute épaisse comme Donald Trump (Dieu protège le monde de son élection) serait plus proche d'un tel idéal qu'un Barack Obama, avec son histoire personnelle de fils d'Africain et son Obamacare, abomination de la désolation pour un néolibéral à la sauce guerre froide côté Reagan.
(2) Et c'est un problème de démocratie, cette absence de respect de la séparation des pouvoirs, entre pouvoirs national et pouvoir provincial et entre pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire, de la part d'organisations qui disent vouloir défendre les droits de l'Homme !
(3) Au bout d'un peu plus de deux mois de pouvoir, il semble assez clair que sa priorité était de dresser un état de la situation institutionnelle et budgétaire aussi fiable que possible, d'éliminer le risque -visiblement bien réel- de sabotage de son action par les militants de son opposition infiltrés assez profondément dans l'appareil de l'Etat, de mettre en place de nouvelles pratiques institutionnelles (ce qui n'était pas une mince affaire) et de faire savoir tout cela au monde pour repartir sur ce qu'il estime être des bases saines et renouer le dialogue avec des partenaires et des créanciers convaincus de la nocivité de la diplomatie argentine, sans pour autant casser ce qui marchait déjà : système social, infrastructures culturelles (y compris celles de l'ex-ESMA), politique scientifique et développement technologique...
(4) Les Argentins fonctionnent en permanence dans l'improvisation. Ils semblent avoir beaucoup de mal à imaginer qu'il n'en va pas ainsi en Europe, au Canada, aux Etats-Unis ou au Japon. On s'en aperçoit quand on travaille concrètement avec des Argentins : il est à peu près impossible de leur faire prendre une décision sur une date avec plus de 15 jours d'avance... Et il faut vraiment le vivre pour le croire !
(5) C'est oublier un peu vite à quel point Cristina Kirchner avait identifié le lieu et l'ensemble du projet à sa personne et qu'il lui fallait se démarquer d'elle pour incarner une autre voie politique crédible dans un contexte d'hostilité idéologique exacerbée, qui continue de se manifester aujourd'hui dans le ton de Página/12 et l'attitude d'un certain nombre de responsables kirchneristes, mais uniquement parmi les plus fanatiques (il y en a déjà qui, au Congrès, ont quitté le bloc FpV, et il en va de même des gouverneurs et des maires dont certains mettent pas mal d'eau dans leur vin).