mardi 28 novembre 2017

Rafael Nahuel a été touché dans le dos : la légitime défense peut être écartée ! [Actu]

Montage en une de Página/12 : Patricia Bullrich y apparaît
dans l'uniforme de la préfecture navale
avec en gros titre et sans jeu de mot : "permis de tuer"

Rafael Nahuel était ce militant mapuche (1) qui est mort à l'hôpital des suites de ses blessures infligés par les tirs au plomb des hommes de la Préfecture Navale dans le cadre de l'occupation illégale, par un groupe de militants se réclamant de la cause indigène, de terres cédées en concession, il y a de nombreuses années, à la multinationale italienne des pulls Benetton, dans la province de Río Negro, en Patagonie andine. Il avait 27 ans.

Les conclusions de l'autopsie portent que le projectile qui l'a tué l'a atteint dans le dos et qu'il s'agissait bien d'une munition de dotation de la Préfecture Navale. Il ne peut donc en aucun cas s'agir d'un tir de légitime défense du côté des représentants de l'ordre.
L'Etat, qui est responsable de la mort du jeune homme de 27 ans puisque la Préfecture navale est placée sous ses ordres, ne s'est pas encore manifesté auprès de la famille, ce qui tend à confirmer que les pouvoirs publics cautionnent la mort violente du manifestant, la mort d'un homme dont rien ne prouve jusqu'à présent qu'il était armé au moment où il a été pris pour cible par les forces de l'ordre (à moins qu'il n'ait reçu une balle perdue, ce qui est à peine moins grave dans un Etat de droit, un pays en paix où la peine de mort est abolie depuis longtemps).

Clarín montre en photo un militant de la RAM qui montre ses lésions,
suite aux tirs de la Préfecture navale
En manchette en haut, les fiancés royaux britanniques
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Malgré la gravité des faits, le gouvernement argentin reste droit dans ses bottes et la ministre de la Sécurité, la très peu aimable Patricia Bullrich, soutient que les fonctionnaires étaient dans leur droit, que ce sont les Mapuches qui ont commencé à tirer sur les forces de l'ordre contraignant celles-ci à répliquer (la version qu'ont donnée les agents de la Préfecture), que le groupe qui occupe la ZAD hait l'Argentine et ne respecte pas la loi et qu'elle a bien l'intention de remettre de l'ordre dans tout cela (2). Cette femme, qui affecte une raideur virile et s'abstient en toute occasion de sourire, n'a pas un mot de compassion pour la mort de cet homme et, ce faisant, elle réveille des souvenirs historiques de triste mémoire en utilisant un langage agressif et méprisant qui ne peut que renvoyer dans l'inconscient collectif argentin au général Julio Argentino Roca et à sa tristement célèbre Campaña del Desierto, une campagne d'un désert très habité (mais par des Amérindiens encore faiblement sédentarisés) qui s'est transformée, de 1878 à 1885, en un massacre intensif, ultra-raciste. Cette opération militaire sans pitié, qui a aboutit à l'appropriation de toute la région par un petit nombre de riches propriétaires terriens, partait d'un besoin politico-juridique d'affirmer la souveraineté argentine sur ces terres de Patagonie avant que le Chili s'en empare, ce qui n'aurait pas manqué de déclencher une nouvelle guerre entre les deux pays voisins. Dans les programmes d'histoire, cette triste épopée a longtemps été très valorisées, comme l'était l'épopée coloniale en France jusque dans les années 1950. Bullrich fait partie d'une génération qui a connu cet enseignement aujourd'hui caduc. Le gouvernement argentin veut déloger les zadistes et rendre l'intégralité de la jouissance des terres à Benetton, C'est un gouvernement qui ne cache pas sa préférence pour le patronat et pour les investisseurs étrangers qu'il peine depuis deux ans à attirer dans le pays. Il y a une certaine cohérence dans ses positions, même si cette cohérence pourrait, ce serait bien le moins, s'abstenir de couvrir des fonctionnaires qui font couler le sang.

La Nación titre sur la colère du gouvernement contre la magistrature
En vignette en haut, les fiancés royaux de Londres
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Contrairement à la ministre qui ne veut même pas parler avec la RAM (Résistance Ancestrale Mapuche), qu'elle estime hors-la-loi, le juge d'instruction qui enquête sur l'affaire reconnaît les manifestants et les entend comme partie à l'instruction, ce qui déclenche des critiques et provoque des grincements de dents au sein de l'exécutif, alors qu'au jour de sa prise de fonction, il y a deux ans, Mauricio Macri avait publiquement juré ses grands dieux, devant tout le Congrès réuni, qu'il laisserait faire la justice dans la plus absolue indépendance et qu'il ne voulait pas voir surgir des juges macristes pas plus qu'il n'acceptait l'existence de juges kirchneristes, comme il y en avait eu sous ses deux prédécesseurs. Les vieilles habitudes de l'exécutif, qui existent depuis le début de la République argentine, semblent bien reprendre le dessus malgré tout.

Aujourd'hui, tous les journaux, même les plus proches du gouvernement, rendent compte, chacun à sa manière, des derniers développements de cette tragique affaire et cette fois-ci, celle-ci ne peut pas être interprétée comme créée de toutes pièces par l'opposition, comme cela avait été le cas de la disparition de Santiago Maldonado, pendant la campagne électorale.

Et c'est sur ce fond pour le moins trouble que l'Argentine s'apprête à prendre en grandes pompes jeudi prochain la présidence du G20. Une grande réception est prévue au Centro Cultural Kirchner, le bijou d'infrastructure hérité du kirchnerisme mais bien pratique quand on veut éblouir le monde. Le CCK avait déjà abrité le dîner officiel en l'honneur de Barack Obama lors de la visite d'Etat de celui-ci l'année dernière (voir l'article de La Nación dans l'édition de ce jour).

Pour aller plus loin :
lire l'article de La Prensa qui évite de titrer sur l'autopsie et ses conclusions scandaleuses dans un Etat de droit
lire l'article principal de Clarín sur l'autopsie et les interprétations contradictoires qui en sont faites
lire l'article de La Nación sur les postures guerrières de Patricia Bullrich, qui n'est pas sans rappeler Margaret Thatcher à l'époque de la guerre des Malouines (1982) lorsqu'elle se la jouait Churchill
lire l'article de La Nación sur les critiques du gouvernement à l'égard du magistrat
lire l'article de La Nación sur les tentatives d'intercession de l'évêque de San Carlos de Bariloche pour ouvrir des voies de dialogue entre les différents partis opposés
lire l'article de La Prensa sur le même sujet

Ajouts du 30 novembre 2017 :
lire l'article de La NaciónMgr Juan José Chaparro, évêque de San Carlos de Bariloche, met les pieds dans le plat et distingue entre les Mapuches et le groupuscule RAM, qui est une manipulation idéologique qui surjoue l'indigénisme, à la façon de zadistes (pour prendre une référence en France)
lire l'article de Página/12 sur la libération de deux témoins de la blessure mortelle reçue par Rafael Nahuel (les deux Mapuches avaient été écroués au lendemain des faits)



(1) Sa mère dit qu'il n'était pas l'un des occupants de la ZAD, qu'il n'avait fait qu'y accompagner un parent qui y vivait. Son patronyme est typiquement mapuche. Il a même un sens. Le nahuel, c'est le puma et il y en avait beaucoup dans les montagnes de Río Negro (l'animal s'est fait rare, il a failli disparaître, il est maintenant strictement protégé).
(2) "Le monde sens dessus dessous, c'est fini !"