Montage en une de Página/12 : Patricia Bullrich y apparaît dans l'uniforme de la préfecture navale avec en gros titre et sans jeu de mot : "permis de tuer" |
Rafael
Nahuel était ce militant mapuche (1) qui est mort à l'hôpital des
suites de ses blessures infligés par les tirs au plomb des hommes de
la Préfecture Navale dans le cadre de l'occupation illégale, par un
groupe de militants se réclamant de la cause indigène, de terres
cédées en concession, il y a de nombreuses années, à la
multinationale italienne des pulls Benetton, dans la province de Río
Negro, en Patagonie andine. Il avait 27 ans.
Les
conclusions de l'autopsie portent que le projectile qui l'a tué l'a
atteint dans le dos et qu'il s'agissait bien d'une munition de
dotation de la Préfecture Navale. Il ne peut donc en aucun cas
s'agir d'un tir de légitime défense du côté des représentants de
l'ordre.
L'Etat,
qui est responsable de la mort du jeune homme de 27 ans puisque la
Préfecture navale est placée sous ses ordres, ne s'est pas encore
manifesté auprès de la famille, ce qui tend à confirmer que les
pouvoirs publics cautionnent la mort violente du manifestant, la mort
d'un homme dont rien ne prouve jusqu'à présent qu'il était armé
au moment où il a été pris pour cible par les forces de l'ordre (à
moins qu'il n'ait reçu une balle perdue, ce qui est à peine moins
grave dans un Etat de droit, un pays en paix où la peine de mort est
abolie depuis longtemps).
Malgré
la gravité des faits, le gouvernement argentin reste droit dans ses
bottes et la ministre de la Sécurité, la très peu aimable Patricia
Bullrich, soutient que les fonctionnaires étaient dans leur droit,
que ce sont les Mapuches qui ont commencé à tirer sur les forces de
l'ordre contraignant celles-ci à répliquer (la version qu'ont
donnée les agents de la Préfecture), que le groupe qui occupe la
ZAD hait l'Argentine et ne respecte pas la loi et qu'elle a bien
l'intention de remettre de l'ordre dans tout cela (2). Cette femme,
qui affecte une raideur virile et s'abstient en toute occasion de
sourire, n'a pas un mot de compassion pour la mort de cet homme et,
ce faisant, elle réveille des souvenirs historiques de triste
mémoire en utilisant un langage agressif et méprisant qui ne peut
que renvoyer dans l'inconscient collectif argentin au général Julio
Argentino Roca et à sa tristement célèbre Campaña del Desierto,
une campagne d'un désert très habité (mais par des Amérindiens
encore faiblement sédentarisés) qui s'est transformée, de 1878 à
1885, en un massacre intensif, ultra-raciste. Cette opération
militaire sans pitié, qui a aboutit à l'appropriation de toute la
région par un petit nombre de riches propriétaires terriens,
partait d'un besoin politico-juridique d'affirmer la souveraineté
argentine sur ces terres de Patagonie avant que le Chili s'en empare,
ce qui n'aurait pas manqué de déclencher une nouvelle guerre entre
les deux pays voisins. Dans les programmes d'histoire, cette triste épopée a longtemps été très valorisées, comme l'était l'épopée coloniale en France jusque dans les années 1950. Bullrich fait partie d'une génération qui a connu cet enseignement aujourd'hui caduc. Le gouvernement argentin veut déloger les
zadistes et rendre l'intégralité de la jouissance des terres à
Benetton, C'est un gouvernement qui ne cache pas sa préférence pour
le patronat et pour les investisseurs étrangers qu'il peine depuis
deux ans à attirer dans le pays. Il y a une certaine cohérence dans
ses positions, même si cette cohérence pourrait, ce serait bien le
moins, s'abstenir de couvrir des fonctionnaires qui font couler le
sang.
La Nación titre sur la colère du gouvernement contre la magistrature En vignette en haut, les fiancés royaux de Londres Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Contrairement
à la ministre qui ne veut même pas parler avec la RAM (Résistance
Ancestrale Mapuche), qu'elle estime hors-la-loi, le juge
d'instruction qui enquête sur l'affaire reconnaît les manifestants
et les entend comme partie à l'instruction, ce qui déclenche des
critiques et provoque des grincements de dents au sein de l'exécutif,
alors qu'au jour de sa prise de fonction, il y a deux ans, Mauricio
Macri avait publiquement juré ses grands dieux, devant tout le
Congrès réuni, qu'il laisserait faire la justice dans la plus
absolue indépendance et qu'il ne voulait pas voir surgir des juges
macristes pas plus qu'il n'acceptait l'existence de juges
kirchneristes, comme il y en avait eu sous ses deux prédécesseurs.
Les vieilles habitudes de l'exécutif, qui existent depuis le début
de la République argentine, semblent bien reprendre le dessus malgré
tout.
Aujourd'hui,
tous les journaux, même les plus proches du gouvernement, rendent
compte, chacun à sa manière, des derniers développements de cette
tragique affaire et cette fois-ci, celle-ci ne peut pas être
interprétée comme créée de toutes pièces par l'opposition, comme
cela avait été le cas de la disparition de Santiago Maldonado,
pendant la campagne électorale.
Et
c'est sur ce fond pour le moins trouble que l'Argentine s'apprête à
prendre en grandes pompes jeudi prochain la présidence du G20. Une
grande réception est prévue au Centro Cultural Kirchner, le bijou
d'infrastructure hérité du kirchnerisme mais bien pratique quand on
veut éblouir le monde. Le CCK avait déjà abrité le dîner
officiel en l'honneur de Barack Obama lors de la visite d'Etat de
celui-ci l'année dernière (voir l'article de La Nación dans
l'édition de ce jour).
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de La Prensa qui évite de titrer sur l'autopsie et ses conclusions scandaleuses dans un Etat de droit
lire
l'article principal de Clarín sur l'autopsie et les interprétations contradictoires qui en sont faites
lire
l'article de La Nación sur les postures guerrières de Patricia Bullrich, qui
n'est pas sans rappeler Margaret Thatcher à l'époque de la guerre des
Malouines (1982) lorsqu'elle se la jouait Churchill
lire
l'article de La Nación sur les critiques du gouvernement à l'égard
du magistrat
lire
l'article de La Nación sur les tentatives d'intercession de l'évêque
de San Carlos de Bariloche pour ouvrir des voies de dialogue entre
les différents partis opposés
lire
l'article de La Prensa sur le même sujet
Ajouts du 30 novembre 2017 :
lire l'article de La Nación où Mgr Juan José Chaparro, évêque de San Carlos de Bariloche, met les pieds dans le plat et distingue entre les Mapuches et le groupuscule RAM, qui est une manipulation idéologique qui surjoue l'indigénisme, à la façon de zadistes (pour prendre une référence en France)
lire l'article de Página/12 sur la libération de deux témoins de la blessure mortelle reçue par Rafael Nahuel (les deux Mapuches avaient été écroués au lendemain des faits)
Ajouts du 30 novembre 2017 :
lire l'article de La Nación où Mgr Juan José Chaparro, évêque de San Carlos de Bariloche, met les pieds dans le plat et distingue entre les Mapuches et le groupuscule RAM, qui est une manipulation idéologique qui surjoue l'indigénisme, à la façon de zadistes (pour prendre une référence en France)
lire l'article de Página/12 sur la libération de deux témoins de la blessure mortelle reçue par Rafael Nahuel (les deux Mapuches avaient été écroués au lendemain des faits)
(1)
Sa mère dit qu'il n'était pas l'un des occupants de la ZAD, qu'il
n'avait fait qu'y accompagner un parent qui y vivait. Son patronyme est typiquement mapuche. Il a même un sens. Le nahuel, c'est le puma et il y en avait beaucoup dans les montagnes de Río Negro (l'animal s'est fait rare, il a failli disparaître, il est maintenant strictement protégé).
(2) "Le monde sens dessus dessous, c'est fini !"