samedi 11 novembre 2017

Chantage à la fiscalité de la part de Coca Cola [Actu]

Coca Cola, c'est comme ça ! dit le gros titre

Il y a quelques jours, le gouvernement argentin a fait connaître les contours de sa nouvelle politique fiscale. Au départ, tous les produits subissaient une hausse de la TVA qui risquaient de compromettre le développement de l'activité de leur secteur.

Le secteur viti-vinicole, très important dans tout l'ouest du pays, et le secteur brassicole, qui comporte à la fois une production industrielle et une production artisanale qui s'améliore d'année en année en quantité et en qualité, ont obtenu du gouvernement un taux d'imposition inchangé: les vins tranquilles (produits sur place), les vins effervescents (improprement appelés "champagne" là-bas – j'en connais du côté de Reims qui pourraient se fâcher et ils auraient raison) et les bières maintiendront leur prix de vente pour le consommateur final, un point important pour le développement de ces secteurs à la fois économiques et patrimoniaux. En revanche, le gouvernement maintient la hausse pour les sodas sucrés et les eaux aromatisées (et tout aussi sucrées), dont la consommation excessive en Argentine (1) est en passe d'entraîner par ailleurs une véritable catastrophe sanitaire dans le pays (avec une augmentation considérable des cas d'obésité, de diabète, de maladies hépatiques et autres bombes à retardement pour la santé des consommateurs).

Hier, Coca a donc pris la tête d'une révolte des quatre multinationales de la boisson chimique et ultra-sucrée en réclamant que le maintien du taux s'applique aussi à leurs produits et en menaçant l'Argentine de retirer ses billes et ses investissements si la nouvelle norme fiscale s'appliquait en 2018. On est loin de la situation française où le gouvernement a ajouté une taxe aux mêmes sodas dans le cadre d'un programme de prévention sanitaire et on n'a pas vu que les géants du secteur aient osé sortir du bois ni empêcher la République Française d'être maîtresse chez elle (sur ce point en tout cas).

L'affaire Coca Cola a droit au gros titre mais pas à la photo
réservée à la floraison du lilas en ce printemps austral !
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Un bras de fer aussi cynique, un défi déclaré aussi publiquement au gouvernement d'un pays souverain, c'est du jamais vu dans l'histoire pourtant assez salée des relations entre les gouvernements sud-américains et les multinationales de tous les secteurs. Ce matin, deux quotidiens mettent l'information à leur une.

Página/12, la voix des anticapitalistes et des antimondialisation, présente la une la plus caustique en détournant le logo rouge et le slogan publicitaire décliné dans toutes les langues par la célèbre boisson brune à bulles, dont les Argentins raffolent : ils en ont même fait l'ingrédient d'un de leurs cocktails préférés, le Fernet Coca, qu'on obtient en mélangeant au soda une (très) généreuse rasade de Fernet Branca, un apéritif italien qu'on trouve partout en Argentine. Et soit dit en passant, ce n'est pas mauvais, si c'est bu avec modération et accompagné de quelques empanadas sortant du four (2).

Pour en savoir plus :
lire l'article de Página/12, qui critique le gouvernement pour avoir reculé devant le lobby des producteurs de vin et de bière et impute à ce recul l'audace de Coca Cola
lire l'article de Clarín.

Ajouts du 14 novembre 2017 :
lire l'article de Clarín selon lequel Coca Cola se serait soumis : le Gouvernement a pu ne pas céder au chantage. L'augmentation de la TVA sur les boissons gazeuses est maintenu dans le projet de loi qui va être présenté au Congrès
lire l'article de La Nación sur cette reculade impressionnante

Que signifie ce grand scandale qui trouve un dénouement si rapide ? Qui est derrière la manœuvre ? Le Gouvernement qui aura voulu montrer qu'il n'est pas le jouet des grandes multinationales comme l'en accuse l'opposition ? Peut-il s'agir d'une véritable victoire de la souveraineté sur un géant du capitalisme mondial ?

Ajout du 17 novembre 2017 :
lire l'article de Página/12 qui dénonce le texte définitif de la loi fiscale, laquelle maintient la hausse sur les vins pétillants. Colère du gouverneur de Mendoza, Alfredo Cornejo, qui appartient à la majorité nationale de Cambiemos et qui avait mené la réclamation d'exemption sur la production vinicole (et cidrière) dont sa province est l'emblème historique.



(1) Ces trois dernières années, j'ai été frappée de voir à quel point et à quelle vitesse les eaux aromatisées et le soda étaient en passe de remplacer complètement le vin et l'eau, plate ou gazeuse, sur toutes les tables et à tous les repas. Au cours d'un déjeuner ou d'un dîner, j'ai souvent été la seule à boire de l'eau minérale à la place d'eau aromatisée et du vin, tandis les convives autour de moi ingurgitaient indistinctement des litres de soda, ou pire, coupaient leur vin rouge (du malbec) à la limonade ou au tonique pétillant local. Il y a un an et demi, j'ai eu l'occasion d'en parler avec une vigneronne de la Province de Mendoza qui était effarée par cette mode envahissante qui empêche même certains de ses clients d'apprécier son travail puisque les gens arrivent à la dégustation avec le palais gâté par l'excès de sucre. En effet, au lieu d'une bouteille d'eau, les gens emportent souvent dans la voiture une bouteille d'eau aromatisée ou de soda pour se désaltérer en chemin, lorsqu'ils font la tournée des caves vinicoles. Un désastre culturel et sanitaire ! Et pourtant dans les grandes et petites surfaces, s'ils ont grandi en taille, les linéaires de soda n'ont pas connu de gros changements en terme de choix, au fil des ans. C'est toujours les quelques mêmes parfums: cola, citron, orange, poire, pomme, pamplemousse et tonique à peu près dans toutes les gammes de toutes les marques détenues par les quatre géants, Coca, Pepsi, Nestlé et Danone.
(2) En mai 2010, à Paris, pour la présentation de mon premier livre, Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, que j'animais avec le trio Taquetepa, établi du côte de Clermont-Ferrand, nous en avions fait une version locale, avec un coca auvergnat. Je ne m'appelle pas Clavilier pour rien !