mercredi 13 décembre 2017

La Cour Suprême confirme le caractère laïc de l'école publique [Actu]

En photo, la bagarre à la Commission des affaires sociales, hier,  à la Chambre
En bas, le gros titre sur l'affaire du catéchisme scolaire à Salta
A droite en haut, l'annonce de l'accusation iranienne contre Cristina Kirchner
En dessous, la crise à l'Etat-Major de la Marine
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Au début de l'année scolaire, en mars dernier, le gouverneur péroniste de Salta, Juan Manuel Urtubey, en bons termes avec le gouvernement national de Cambiemos, tentait d'introduire dans l'école publique des cours de catéchisme catholique comme partie du programme scolaire obligatoire. Or en 1883, lorsque l'école a été rendue obligatoire en Argentine, sous l'impulsion de Domingo Faustino Sarmiento (1811-1888), qui militait pour cette mesure depuis des décennie, il a été établi, comme dans la France de Jules Ferry et pour les mêmes raisons, que l'enseignement serait gratuit et laïc, afin de respecter la liberté de culte, inscrite dans la constitution.

Dans les milieux catholiques, cette décision fut très critiquée, puisqu'on chassait Dieu des classes, selon l'expression qui fut utilisée en France, elle donna lieu à des remous, renforcés par le caractère maçonnique de la loi, en pleine querelle entre la franc-maçonnerie contemporaine, installée en Argentine depuis 1860 (1), et Rome.

La tentative de réintégrer le catéchisme dans l'école publique a provoqué une querelle pendant toute l'année scolaire, avec tous les recours possibles et imaginables à la justice, tantôt de la part des militants laïcs, parents d'élèves, opposition provinciale, partis politiques, tantôt de la part du gouvernement provincial, jusqu'à ce que l'affaire soit portée devant la Cour Suprême de la Nation, qui a rendu son verdict hier : la réintégration du catéchisme comme discipline obligatoire à l'école publique est inconstitutionnelle (2). Le gouverneur de Salta n'a plus qu'à remballer sa marchandise.

Les réactions dans la presse sont ambiguës, ce qui montre à quel point la nécessité de laisser la foi hors du champ scolaire dans un système d'école obligatoire et donc accessible à tous, dans un Etat de droit, est mal comprise en Argentine, où elle est assimilée à une politique anti-religieuse, dans un pays où la religion catholique est toujours une religion d'Etat. La liberté de culte a été proclamée en Argentine par la Asamblea del Año XIII, la première assemblée représentative législative élue en 1813. Il y a encore du chemin à parcourir pour arriver à un apaisement, après qu'un gouverneur ait ravivé artificiellement la querelle pour jouer un petit jeu politicien très dangereux, mais hélas très à la mode chez les démagogues de droite, de Trump à Wauquiez.

En gros titre, la contestation dans la rue de la politique
contra la limitation des retraites et des allocations vieillesse
En haut à gauche, le sommet de l'OMC qui tourne mal
Dans la colonne gauche, au centre, le gros titre sur le verdict de la Cour Suprême

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12, qui soutient l'exclusion absolue de la religion de tout le champ public et affiche une méfiance, qui va parfois jusqu'à la détestation des phénomènes religieux quels qu'ils soient, et une ignorance sur le sujet indigne de journalistes qui doivent savoir a minima de quoi ils parlent (on a les mêmes en Europe, aussi péremptoires qu'ineptes en ce domaine)
lire l'éditorial de la même journaliste qui dénonce, dans la même édition de Página/12, cet arrêt de la Cour suprême qu'elle estime trompeur et constitutif d'un piège, par pur a priori idéologique (ça lui ferait mal d'être un jour d'accord avec ces juges que Página/12 a rangés parmi ses ennemis politiques)
lire l'article de La Nación, journal de droite fondé par Bartolome Mitre (1821-1906), un franc-maçon libéral qui a soutenu l'institution de l'école obligatoire, gratuite et laïque
lire l'éditorial de La Nación qui reprend les réactions dépitées du gouverneur Uturbey, qui confond volontairement laïcité de l'enseignement public obligatoire et régime religieux de l'Etat, qui n'est pas séparé des Eglises (ce que Juan Domingo Perón, son référent historique, avait pourtant tenté d'imposer, sans y parvenir, au cours de son second mandat présidentiel, de 1949 à 1955)
lire l'éditorial réactionnaire et hargneux, publié par La Prensa, en faveur de l'introduction du catéchisme dans les programmes scolaires, avec un raisonnement bassement identitaire ("l'Argentine pays catholique", etc, ce qui dénie au pays sa dimension multiconfessionnelle, avec ses nombreux juifs, sa petite communauté musulmane et son quota de bouddhistes et de confucéens, dû à une assez forte immigration du sud-est asiatique, comme en témoignent les très nombreux supermarchés de quartier, tous tenus par des Chinois, des Laotiens, des Cambodgiens et des Vietnamiens arrivés dans le pays dans les années 1960 et 1970, et qui sont loin d'être tous chrétiens)
lire l'article de Clarín, qui s'avère difficile à trouver sur le site Internet du journal alors qu'il est annoncé à la une dans l'édition de ce matin.

Ajout du 15 décembre 2017 :
lire cet éditorial de La Nación qui défend l'arrêt de la Cour Suprême, en parfaite fidélité avec la ligne éditoriale fondatrice, celle de Bartolome Mitre.



(1) La première loge maçonnique aurait été introduite à Buenos Aires en 1806 par les Britanniques qui venaient de s'emparer de la ville. Elle demeura au-delà de la capitulation quelques semaines plus tard. Puis en 1812, l'arrivée depuis l'Espagne via Londres, d'un groupe d'officiers maçons, parmi lesquels se trouvaient José de San Martín, Carlos de Alvear et José Matías Zapiola, donna lieu à la fondation d'une nouvelle loge, celle des Chevaliers rationnels, affiliée à la pensée indépendantiste et libéral de Francisco de Miranda (1750-1816), qu'on appelle couramment mais à tort la Logia Lautaro. Toutefois, ces loges appartenaient à des courants maçonniques qui sont tombés en décadence une fois l'indépendance acquise et ont fini par disparaître avec la mort des derniers de leurs membres dans les années 1840. Sarmiento et Mitre, grands leaders libéraux et anglophiles de la République Conservatrice (1860-1880), appartenaient à la nouvelle maçonnerie, celle qui est issue de la séparation avec l'Eglise catholique entamée par la première condamnation pontificale, qui était purement politique, en 1815, pour soutenir les restaurations après Waterloo. C'est la même franc-maçonnerie qui inspirait Jules Ferry et tous les grands caciques de la Troisième République française.
(2) Il faut noter que les écoles privées sont nombreuses en Argentine, qu'il y en a beaucoup parmi elles qui sont confessionnelles, notamment catholiques et juives, et que beaucoup d'entre elles bénéficient d'aides publiques, de la part de l'Etat national comme de la part des Provinces, en général celles qui sont gouvernées à droite. Il existe également des écoles privées non confessionnelles. Et l'Eglise catholique offre aux enfants des activités catéchétiques, cultuelles et culturelles comme partout ailleurs, au sein de patronages et du scoutisme, le tout étant chapeauté dans de nombreux diocèses par une pastorale des enfants en bonne et due forme.