Au
début de l'année scolaire, en mars dernier, le gouverneur péroniste de
Salta, Juan Manuel Urtubey, en bons termes avec le gouvernement
national de Cambiemos, tentait d'introduire dans l'école publique
des cours de catéchisme catholique comme partie du programme
scolaire obligatoire. Or en 1883, lorsque l'école a été rendue
obligatoire en Argentine, sous l'impulsion de Domingo Faustino
Sarmiento (1811-1888), qui militait pour cette mesure depuis des
décennie, il a été établi, comme dans la France de Jules Ferry
et pour les mêmes raisons, que l'enseignement serait gratuit et
laïc, afin de respecter la liberté de culte, inscrite dans la
constitution.
Dans
les milieux catholiques, cette décision fut très critiquée,
puisqu'on chassait Dieu des classes, selon l'expression qui fut
utilisée en France, elle donna lieu à des remous, renforcés par le
caractère maçonnique de la loi, en pleine querelle entre la
franc-maçonnerie contemporaine, installée en Argentine depuis 1860
(1), et Rome.
La
tentative de réintégrer le catéchisme dans l'école publique a
provoqué une querelle pendant toute l'année scolaire, avec tous les
recours possibles et imaginables à la justice, tantôt de la part
des militants laïcs, parents d'élèves, opposition provinciale,
partis politiques, tantôt de la part du gouvernement provincial,
jusqu'à ce que l'affaire soit portée devant la Cour Suprême de la
Nation, qui a rendu son verdict hier : la réintégration du
catéchisme comme discipline obligatoire à l'école publique est
inconstitutionnelle (2). Le gouverneur de Salta n'a plus qu'à
remballer sa marchandise.
Les
réactions dans la presse sont ambiguës, ce qui montre à quel point
la nécessité de laisser la foi hors du champ scolaire dans un
système d'école obligatoire et donc accessible à tous, dans un
Etat de droit, est mal comprise en Argentine, où elle est assimilée
à une politique anti-religieuse, dans un pays où la religion
catholique est toujours une religion d'Etat. La liberté de culte a
été proclamée en Argentine par la Asamblea del Año XIII, la
première assemblée représentative législative élue en 1813. Il y
a encore du chemin à parcourir pour arriver à un apaisement, après
qu'un gouverneur ait ravivé artificiellement la querelle pour jouer
un petit jeu politicien très dangereux, mais hélas très à la mode
chez les démagogues de droite, de Trump à Wauquiez.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12, qui soutient l'exclusion absolue de la
religion de tout le champ public et affiche une méfiance, qui va
parfois jusqu'à la détestation des phénomènes religieux quels
qu'ils soient, et une ignorance sur le sujet indigne de journalistes
qui doivent savoir a minima de quoi ils parlent (on a les mêmes en
Europe, aussi péremptoires qu'ineptes en ce domaine)
lire
l'éditorial de la même journaliste qui dénonce, dans la même
édition de Página/12, cet arrêt de la Cour suprême qu'elle estime
trompeur et constitutif d'un piège, par pur a priori idéologique (ça lui ferait
mal d'être un jour d'accord avec ces juges que Página/12 a rangés
parmi ses ennemis politiques)
lire
l'article de La Nación, journal de droite fondé par Bartolome
Mitre (1821-1906), un franc-maçon libéral qui a soutenu l'institution de
l'école obligatoire, gratuite et laïque
lire
l'éditorial de La Nación qui reprend les réactions dépitées du
gouverneur Uturbey, qui confond volontairement laïcité de
l'enseignement public obligatoire et régime religieux de l'Etat, qui
n'est pas séparé des Eglises (ce que Juan Domingo Perón, son référent
historique, avait pourtant tenté d'imposer, sans y parvenir, au
cours de son second mandat présidentiel, de 1949 à 1955)
lire
l'éditorial réactionnaire et hargneux, publié par La Prensa, en faveur de l'introduction du catéchisme dans les programmes
scolaires, avec un raisonnement bassement identitaire ("l'Argentine
pays catholique", etc, ce qui dénie au pays sa dimension multiconfessionnelle, avec ses nombreux juifs, sa petite communauté
musulmane et son quota de bouddhistes et de confucéens, dû à une
assez forte immigration du sud-est asiatique, comme en témoignent
les très nombreux supermarchés de quartier, tous tenus par des
Chinois, des Laotiens, des Cambodgiens et des Vietnamiens arrivés
dans le pays dans les années 1960 et 1970, et qui sont loin d'être
tous chrétiens)
lire
l'article de Clarín, qui s'avère difficile à trouver sur le site
Internet du journal alors qu'il est annoncé à la une dans l'édition
de ce matin.
Ajout du 15 décembre 2017 :
lire cet éditorial de La Nación qui défend l'arrêt de la Cour Suprême, en parfaite fidélité avec la ligne éditoriale fondatrice, celle de Bartolome Mitre.
Ajout du 15 décembre 2017 :
lire cet éditorial de La Nación qui défend l'arrêt de la Cour Suprême, en parfaite fidélité avec la ligne éditoriale fondatrice, celle de Bartolome Mitre.
(1)
La première loge maçonnique aurait été introduite à Buenos Aires
en 1806 par les Britanniques qui venaient de s'emparer de la ville.
Elle demeura au-delà de la capitulation quelques semaines plus tard.
Puis en 1812, l'arrivée depuis l'Espagne via Londres, d'un groupe
d'officiers maçons, parmi lesquels se trouvaient José de San Martín,
Carlos de Alvear et José Matías Zapiola, donna lieu à la fondation
d'une nouvelle loge, celle des Chevaliers rationnels, affiliée à la
pensée indépendantiste et libéral de Francisco de Miranda
(1750-1816), qu'on appelle couramment mais à tort la Logia Lautaro.
Toutefois, ces loges appartenaient à des courants maçonniques qui
sont tombés en décadence une fois l'indépendance acquise et ont
fini par disparaître avec la mort des derniers de leurs membres dans
les années 1840. Sarmiento et Mitre, grands leaders
libéraux et anglophiles de la République Conservatrice (1860-1880),
appartenaient à la nouvelle maçonnerie, celle qui est issue de la
séparation avec l'Eglise catholique entamée par la première
condamnation pontificale, qui était purement politique, en 1815,
pour soutenir les restaurations après Waterloo. C'est la même
franc-maçonnerie qui inspirait Jules Ferry et tous les grands
caciques de la Troisième République française.
(2)
Il faut noter que les écoles privées sont nombreuses en Argentine,
qu'il y en a beaucoup parmi elles qui sont confessionnelles,
notamment catholiques et juives, et que beaucoup d'entre elles
bénéficient d'aides publiques, de la part de l'Etat national comme
de la part des Provinces, en général celles qui sont gouvernées à
droite. Il existe également des écoles privées non
confessionnelles. Et l'Eglise catholique offre aux enfants des
activités catéchétiques, cultuelles et culturelles comme partout
ailleurs, au sein de patronages et du scoutisme, le tout étant
chapeauté dans de nombreux diocèses par une pastorale des enfants
en bonne et due forme.