Hier,
dans le très beau cadre du Museo de la Casa Rosada, dans les
vestiges de la défunte forteresse coloniale qui dominait le Río de
la Plata, le gouvernement a présenté un plan d'action pour les
droits de l'homme, la 69e mesure des 100 qui composent le plan
politique du mandat. Sont montés à la tribune le Secrétaire d'Etat
des Droits de l'Homme, Claudio Avruj, bientôt rejoint par le
Président Mauricio Macri, le Premier ministre Marcos Peña et le
Ministre de la Justice Germán Garavano.
Il
s'agit du premier plan d'action, mais le document publié mentionne
tout de même un plan antérieur allant de 2005 à 2015, soit les
mandats des Kirchner.
D'après
le président, il s'agit de répondre aux exigences de l'ONU qui
depuis des années réclamait à la République argentine ce plan
systématique. Le plan d'action recouvre l'ensemble des domaines
gouvernementaux, la justice, l'éducation, la santé, les
infrastructures, l'identification des Argentins dont les déclarations
de naissance sont suspectes (1) et l'égalité de tous devant la loi,
notamment les peuples originaires, dont le gouvernement veut faire
des sujets de droit et non pas d'assistance sociale (ce qui ne serait
pas un mal).
Cette
présentation publique de seulement dix-huit minutes, sous forme de conférence de
presse sans question, intervient dans un moment délicat et où
l'action gouvernementale semble en contradiction avec ces prises de
position à la phraséologie enthousiaste et solennelle : la
disparition de 44 sous-mariniers pendant une mission sans que jamais
les drapeaux n'aient été mis en berne ni qu'un hommage national ne
leur ait été rendu, avec des familles laissées seules face à la
tragédie, la mort par balle, dans le dos, d'un manifestant tué par
des forces de police lors d'une opération de maintien de l'ordre,
l'interdiction d'accès sur le territoire national faite à 64
représentants d'ONG altermondialistes bel et bien déjà accrédités
au sommet de l'OMC par l'OMC elle-même sous prétexte qu'ils avaient
l'intention de provoquer des désordres à l'ordre public, le
maintien visiblement insuffisant du pouvoir d'achat des retraités
les plus vulnérables sous prétexte de créer les conditions
économiques d'une reprise avec création d'emploi de qualité (ce
qui n'aura pas d'incidence sur le pouvoir d'achat des intéressés
puisqu'ils ne sont plus actifs sur le marché de l'emploi), la situation cauchemardesque et incohérente de Milagro Sala, emprisonnée à Jujuy après que sa prison domiciliaire, exigée par des instances internationales, ait été révoquée sans motif par une Cour d'Appel provinciale qui passe outre les arrêts des tribunaux supranationaux et les avis de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, l'inculpation de Cristina Kichner qui semble diablement arranger le
gouvernement puisque c'est lui qui vient d'ajouter un élément à
charge, ce qui semble peu compatible avec la séparation des pouvoirs
qu'il revendique sur cette affaire comme sur les autres, le refus
opposé à l'un des inculpés, l'ancien ministre des Affaires
étrangères, de sortir de sa prison domiciliaire pour faire soigner
son cancer (2)....
Tout cela laisse rêveur et c'est d'ailleurs le
sens des commentaires qu'on lit ce matin dans le journal
d'opposition, Página/12.
Une
fois cette remarque faite, il faut avouer que le plan qui a été
présenté est des plus séduisants : il est cohérent, compact,
très complet. On ne peut que souhaiter qu'il se concrétise dans le
bref délai annoncé, 2017-2020, ce qui va au-delà du mandat
présidentiel en cours (2015-2019).
Pour
en savoir plus :
lire
l'article de Página/12 sur le rapport émis par le CELS, organisme
de droits de l'homme fondé sous la dernière dictature militaire et
présidé par Horacio Verbitsky, l'éditorialiste vedette du journal
qui dénonce le recul des droits de l'homme dans la politique de
l'actuel gouvernement
lire
l'article de Página/12 sur les explication embrouillées du
gouvernement qui tente de justifier l'interdiction de territoire pour
les 64 délégués d'ONG accrédités par l'OMC : le ministre
des Affaires étrangères avait dit avoir pris ces mesures jamais
vues à la suite des demandes formulées par les services de sa
collègue, la ministre de la Sécurité, laquelle dit à présent
qu'elle n'est pas à l'origine de la mesure
lire
l'article de La Prensa sur la situation de Héctor Timerman,
ex-ministre des Affaires étrangères, juif de cœur en désaccord
avec l'AMIA (qui exerce une fonction statutaire et réglementaire
dans la communauté juive argentine) et inculpé de trahison contre
la patrie pour son rôle dans la négociation du mémorandum de
coopération judiciaire avec l'Iran)
lire
l'article de Clarín
lire
l'éditorial critique de Clarín sur la faiblesse politique du moment
pour Mauricio Macri, en but aux critiques de nombreux pays étrangers
sur sa gestion des droits de l'homme autour de ce très controversé
sommet de l'OMC à Buenos Aires – or Clarín est plutôt un soutien
du gouvernement
lire
l'entrefilet de Clarín sur le boycott de la présentation par
Estella de Carlotto, présidente de l'emblématique association
Abuelas de Plaza de Mayo
regarder
la conférence de presse sur le canal Youtube de la Casa Rosada
(1)
Claudio Avruj, qui s'est réjoui de l'identification d'une nouvelle
petite-fille recherchée par Abuelas, parlait ici d'autres
falsifications d'identité, qui trouveraient leur origine dans le
cadre de trafics crapuleux de bébés depuis de nombreuses décennies,
sans lien avec les crimes de la Dictature militaire de 1976-1983, et
pour lesquels le gouvernement mettrait actuellement l'outil
judiciaire en état opérationnel.
(2)
Héctor Timerman dit souffrir d'un cancer et avoir besoin d'être
soigné à l'étranger. Ce qui en dit long sur l'état de l'hôpital
public, y compris pendant le gouvernement Kirchner, car si le système
argentin était de qualité en la matière, pourquoi aller se faire
soigner à l'étranger ? Par ailleurs, qu'un juge d'instruction
refuse à un détenu, qu'il vient de soumettre au régime de la
prison domiciliaire, le droit de se rendre chez un médecin, désigné
d'office au sein du système sanitaire pénitentiaire, semble assez
contradictoire avec un plan d'actions pour développer les droits de
l'homme dans le pays.