mercredi 13 décembre 2017

Plan d'action officiel des droits de l'homme en Argentine [Actu]


Hier, dans le très beau cadre du Museo de la Casa Rosada, dans les vestiges de la défunte forteresse coloniale qui dominait le Río de la Plata, le gouvernement a présenté un plan d'action pour les droits de l'homme, la 69e mesure des 100 qui composent le plan politique du mandat. Sont montés à la tribune le Secrétaire d'Etat des Droits de l'Homme, Claudio Avruj, bientôt rejoint par le Président Mauricio Macri, le Premier ministre Marcos Peña et le Ministre de la Justice Germán Garavano.

Il s'agit du premier plan d'action, mais le document publié mentionne tout de même un plan antérieur allant de 2005 à 2015, soit les mandats des Kirchner.

D'après le président, il s'agit de répondre aux exigences de l'ONU qui depuis des années réclamait à la République argentine ce plan systématique. Le plan d'action recouvre l'ensemble des domaines gouvernementaux, la justice, l'éducation, la santé, les infrastructures, l'identification des Argentins dont les déclarations de naissance sont suspectes (1) et l'égalité de tous devant la loi, notamment les peuples originaires, dont le gouvernement veut faire des sujets de droit et non pas d'assistance sociale (ce qui ne serait pas un mal).

Cette présentation publique de seulement dix-huit minutes, sous forme de conférence de presse sans question, intervient dans un moment délicat et où l'action gouvernementale semble en contradiction avec ces prises de position à la phraséologie enthousiaste et solennelle : la disparition de 44 sous-mariniers pendant une mission sans que jamais les drapeaux n'aient été mis en berne ni qu'un hommage national ne leur ait été rendu, avec des familles laissées seules face à la tragédie, la mort par balle, dans le dos, d'un manifestant tué par des forces de police lors d'une opération de maintien de l'ordre, l'interdiction d'accès sur le territoire national faite à 64 représentants d'ONG altermondialistes bel et bien déjà accrédités au sommet de l'OMC par l'OMC elle-même sous prétexte qu'ils avaient l'intention de provoquer des désordres à l'ordre public, le maintien visiblement insuffisant du pouvoir d'achat des retraités les plus vulnérables sous prétexte de créer les conditions économiques d'une reprise avec création d'emploi de qualité (ce qui n'aura pas d'incidence sur le pouvoir d'achat des intéressés puisqu'ils ne sont plus actifs sur le marché de l'emploi), la situation cauchemardesque et incohérente de Milagro Sala, emprisonnée à Jujuy après que sa prison domiciliaire, exigée par des instances internationales, ait été révoquée sans motif par une Cour d'Appel provinciale qui passe outre les arrêts des tribunaux supranationaux et les avis de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, l'inculpation de Cristina Kichner qui semble diablement arranger le gouvernement puisque c'est lui qui vient d'ajouter un élément à charge, ce qui semble peu compatible avec la séparation des pouvoirs qu'il revendique sur cette affaire comme sur les autres, le refus opposé à l'un des inculpés, l'ancien ministre des Affaires étrangères, de sortir de sa prison domiciliaire pour faire soigner son cancer (2)....
Tout cela laisse rêveur et c'est d'ailleurs le sens des commentaires qu'on lit ce matin dans le journal d'opposition, Página/12.

Schéma récapitulatif sur les cinq axes (ejes) projeté hier au Museo de la Casa Rosada
Axe 1 : insertion sociale, non discrimination et égalité
Axe 2 : Sécurité dans l'espace public et non violence
Axe 3 : Mémoire, Vérité, Justice et politiques de réparation
(ndT : politique concernant les crimes de la Dictature)
Axe 4 : Accès universel aux droits
Axe 5 : culture civique et engagement pour les droits de l'homme

Une fois cette remarque faite, il faut avouer que le plan qui a été présenté est des plus séduisants : il est cohérent, compact, très complet. On ne peut que souhaiter qu'il se concrétise dans le bref délai annoncé, 2017-2020, ce qui va au-delà du mandat présidentiel en cours (2015-2019).

Pour en savoir plus :
lire l'article de Página/12 sur le rapport émis par le CELS, organisme de droits de l'homme fondé sous la dernière dictature militaire et présidé par Horacio Verbitsky, l'éditorialiste vedette du journal qui dénonce le recul des droits de l'homme dans la politique de l'actuel gouvernement
lire l'article de Página/12 sur les explication embrouillées du gouvernement qui tente de justifier l'interdiction de territoire pour les 64 délégués d'ONG accrédités par l'OMC : le ministre des Affaires étrangères avait dit avoir pris ces mesures jamais vues à la suite des demandes formulées par les services de sa collègue, la ministre de la Sécurité, laquelle dit à présent qu'elle n'est pas à l'origine de la mesure
lire l'article de La Prensa sur la situation de Héctor Timerman, ex-ministre des Affaires étrangères, juif de cœur en désaccord avec l'AMIA (qui exerce une fonction statutaire et réglementaire dans la communauté juive argentine) et inculpé de trahison contre la patrie pour son rôle dans la négociation du mémorandum de coopération judiciaire avec l'Iran)
lire l'éditorial critique de Clarín sur la faiblesse politique du moment pour Mauricio Macri, en but aux critiques de nombreux pays étrangers sur sa gestion des droits de l'homme autour de ce très controversé sommet de l'OMC à Buenos Aires – or Clarín est plutôt un soutien du gouvernement
lire l'entrefilet de Clarín sur le boycott de la présentation par Estella de Carlotto, présidente de l'emblématique association Abuelas de Plaza de Mayo
regarder la conférence de presse sur le canal Youtube de la Casa Rosada



(1) Claudio Avruj, qui s'est réjoui de l'identification d'une nouvelle petite-fille recherchée par Abuelas, parlait ici d'autres falsifications d'identité, qui trouveraient leur origine dans le cadre de trafics crapuleux de bébés depuis de nombreuses décennies, sans lien avec les crimes de la Dictature militaire de 1976-1983, et pour lesquels le gouvernement mettrait actuellement l'outil judiciaire en état opérationnel.
(2) Héctor Timerman dit souffrir d'un cancer et avoir besoin d'être soigné à l'étranger. Ce qui en dit long sur l'état de l'hôpital public, y compris pendant le gouvernement Kirchner, car si le système argentin était de qualité en la matière, pourquoi aller se faire soigner à l'étranger ? Par ailleurs, qu'un juge d'instruction refuse à un détenu, qu'il vient de soumettre au régime de la prison domiciliaire, le droit de se rendre chez un médecin, désigné d'office au sein du système sanitaire pénitentiaire, semble assez contradictoire avec un plan d'actions pour développer les droits de l'homme dans le pays.