Cristina Kirchner arrivant au tribunal ce matin pour être entendue à nouveau par le juge Bonadio Photo Ricardo Pristupluk pour La Nación |
Ce
matin, heure de Buenos Aires, le juge d'instruction Claudio Bonadio a
inculpé l'ex-présidente Cristina Kirchner de haute trahison dans
l'affaire du mémorandum avec l'Iran, qui n'aurait été qu'une
manœuvre destinée à protéger les auteurs iraniens de l'attentat
contre l'AMIA, l'un des pires attentats antisémites, commis il y a une
vingtaine d'années à Buenos Aires. Bonadio a assorti l'inculpation d'une
détention provisoire, avec séquestre des biens de l'inculpée à hauteur de
50 millions de pesos. Enfin, le juge a demandé au Sénat la levée de
l'immunité parlementaire de la désormais sénatrice, qui a prêté
serment en début de semaine, avec tous les nouveaux élus de la nouvelle législature. Vous
remarquerez que contrairement à ce qui se passe en Europe, la
justice poursuit avant de demander la levée de l'immunité qui ne
protège son titulaire que de l'emprisonnement. En Europe, le juge
doit avoir obtenu cette levée avant même de convoquer la personne physique qui est couverte par l'immunité.
L'ancien
ministre des affaires étrangères, Héctor Timmerman, a lui aussi
été arrêté ce matin puis inculpé et un mandat d'incarcération a
été émis à son encontre par le même juge mais il a aussitôt bénéficié d'une
mesure de prison domiciliaire.
Hebe
de Bonafini, la très kirchneriste et turbulente présidente de
Madres de Plaza de Mayo, a déjà annoncé que si Cristina se
retrouvait ce soir en prison préventive, cela allait créer "un de ces b... je te dis que ça" (un quilombo que ni te cuento). Et vu la personnalité
de la dame et son envergure militante, on peut facilement la croire.
Les
parlementaires kirchneristes et les mouvements fidèles à
l'ex-présidente (cela fait beaucoup de monde) ont d'ores et déjà
appelé à une manifestation, ce soir, à 18h, sur Plaza de Mayo. Il
est hors de doute que ce mot d'ordre va être très suivi. On peut
craindre aussi qu'il y ait de la violence et de la rage sur le
parcours.
En
poursuivant ainsi l'ex-présidente, Claudio Bonadio suit les
réquisitions de défunt procureur Alberto Nisman, qui avaient
pourtant été définitivement déclarées nulles et non avenues par
un processus judiciaire complet il y a plusieurs années.
Aussitôt
connue la demande de Bonadio de levée de l'immunité, le président
par intérim du Sénat, Federico Pinedo, a déclaré que cette option serait
examinée avec beaucoup de sérieux par la Chambre haute et sans
esprit partisan. Dans le même sens, la chef de la cellule
anti-corruption, mise en place par Mauricio Macri, à son arrivée au
pouvoir, s'est déclarée très surprises par les décisions du juge
tout en rappelant l'indépendance de la justice en Argentine.
Sous
cette inculpation de haute trahison et entrave à la justice avec
circonstances aggravantes, Cristina Kirchner encourt entre 10 et 25
ans de prison ferme. Ceci dit, la levée d'immunité n'est pas acquise encore car il suffit qu'aucun élu kirchneriste ne fasse défaut pour qu'il n'y ait pas la majorité nécessaire à ce vote.
Jusqu'aux
élections de mi-mandat en octobre, le gouvernement avait joué la
carte de la modération et de l'équanimité mais depuis qu'il a
remporté un gros succès dans les urnes, on ne peut que remarquer le
virage que prend l'Argentine : c'est une politique néolibérale
et très hostile à la gauche qui se déploie maintenant, jusqu'à
justifier la mort d'un manifestant tué d'une balle policière dans
le dos il y a quelques jours, sous prétexte que le groupe auquel il
appartenait se montrait violent. On peut aussi constater que la mise
sous écrou des anciens dirigeants de la gauche au pouvoir n'est pas
une singularité argentine. Il se produit la même chose au Brésil.
Pour
en savoir plus :
lire
l'article de Página/12 (mise à jour du site Internet, comme pour
les autres titres)
lire
l'article de Clarín
lire
l'entrefilet de La Prensa sur les menaces proférées par Hebe de Bonafini
lire
l'entrefilet de Clarín sur le même sujet
lire
l'entrefilet de Página/12 sur l'analyse politique qu'a fait à la radio du groupe médiatique Octubre le juge
Raúl Zaffaroni, un juge marqué à gauche et qui siège désormais à
la Cour Inter-Américaine des Droits de l'Homme – il s'agit d'un
juriste qui jouit d'une incontestable reconnaissance internationale,
notamment en Europe.