vendredi 1 décembre 2017

ARA San Juan : la fin des opérations de secours laisse les familles désemparées sans deuil national ni drapeaux en berne [Actu]

"L'espoir, coulé", clame le gros titre
La photo a été très bien choisie : les deux tenues vestimentaires composent le drapeau national
La manchette est quant à elle consacrée au retrait de l'accréditation de 64 représentants
d'ONG critiques à la réunion de l'OMC qui se tiendra dans 10 jours à Buenos Aires
Ces personnes avaient obtenu leur accréditation de l'OMC elle-même
et n'ont pas reçu d'explications à leur interdiction d'aller en Argentine

Une semaine après avoir annoncé qu'une explosion avait eu lieu à bord du sous-marin qui ne laissait aucun espoir raisonnable de retrouver vivants les membres de l'équipage, la Marine nationale argentine a publié un communiqué techniciste, d'une froideur inhumaine, sur le passage à la seconde phase des recherches, non plus celles des hommes mais celle du bâtiment, dont on n'a aucune trace.

Seul le gros titre évoque la tragédie
La photo de Clarín est réservée à l'arrestation d'un syndicaliste en vue
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Les familles ont été informées quelques minutes avant le public et laissées à peu près seules à leur désespoir et à leur colère. Huit d'entre elles ont déjà porté plainte ou annoncé leur intention de le faire contre la Marine nationale. Il semblerait que la gestion de crise ait réussi à les diviser, à dessein ou par une rare maladresse. Cette communication officielle aurait aussi encouragé leurs espoirs les plus fous de retrouver les militaires vivants. Certains en remettent une couche, en particulier l'un des survivants d'un crash d'avion dans les Andes, que l'on a retrouvés longtemps après avoir perdu tout espoir. Encore étaient-ils sur la terre ferme, ce qui fait une différence considérable avec la situation présente d'un sous-marin, dont on murmure qu'à l'heure où il a pris la mer pour cette dernière mission, le San Juan n'était pas en si parfait état que les officiels veulent bien le dire.

La Nación fait sa une sur la tragédie
avec une photo plus neutre - sans couleurs nationales
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Le gouvernement parle des quarante-quatre sous-mariniers de l'équipage comme de héros mais, paradoxalement, il ne prend aucune disposition pour leur rendre les honneurs qui leur sont dus. Les drapeaux ne sont toujours pas mis en berne. Le deuil national n'est pas déclaré. Aucune cérémonie religieuse ou militaire n'est encore annoncée. Aucune décoration n'a été décrétée. Et à peu près au moment où le porte-parole de la Marine à Mar del Plata s'apprêtait à faire sa sinistre déclaration, la Casa Rosada publiait des tweets triomphalistes pour fêter la présidence argentine du G20. Le gouvernement attendrait d'avoir une photo du bâtiment perdu pour reconnaître officiellement la mort de l'équipage et en attendant cette hypothétique photos, il laisse les familles démunies, obligées de faire face seules à tout ce qu'une disparition implique de complexité émotionnelle et juridique. Espérons que tant que les décès ne sont pas déclarés, chaque famille continuera à toucher la solde du disparu et qu'au ministère de la Défense, on cherche pas à retarder le moment d'attribuer et de verser aux familles les pensions qui leur sont dues.

L'évêque de Mar del Plata est l'un des rares à apporter aux familles un peu de réconfort. Aujourd'hui, aura lieu un pèlerinage propre à la cité balnéaire et le hasard veut qu'il s'agisse de la quarante-quatrième édition de cette dévotion locale. L'évêque veut s'appuyer sur ce symbole pour soutenir les familles qui y participeront.

Gloire éternelle à 44 héros, clame le gros titre
au-dessus d'une photo de Macri fêtant la présidence du G20
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Ce matin, une éditorialiste de La Nación s'étonne de ce que les deux graves tragédies qui viennent de se succéder, la perte du ARA San Juan avec 44 militaires à bord et les deux morts de l'opération de police à San Carlos de Bariloche (1), n'ont pas entamé la bonne image du président, dont la cote de popularité reste étrangement élevée. C'est l'Etat-Major qui est rendu coupable de ce qu'il s'est passé. Il faut croire que la communication présidentielle est politiquement habile, même si sur le plan humain, elle apparaît d'une indifférence inouïe.

Pour en savoir plus :
lire l'éditorial de La Nación sur la popularité de Mauricio Macri.

Ajout du 2 décembre 2017 :
le ministre de la Défense, Oscar Aguad, a fini par aller à la rencontre des familles qui l'ont reçu avec un flot de critiques, de reproches et d'accusations. La réunion n'a duré qu'une heure. Le président de la Nation, Mauricio Macri, avait annoncé qu'il s'adresserait au pays mais, à cette heure, il n'en a rien toujours rien fait. Il a toutefois annulé plusieurs apparitions publiques, en signe de deuil, dit-on à la Casa Rosada
lire l'article de Página/12
lire l'article de La Prensa
lire l'article de Clarín, qui croit savoir qu'un deuil national sera décrété à partir de demain et que le Président envisage d'enregistrer un message à la Nation
lire l'article de La Nación qui croit savoir que le gouvernement prépare une grande cérémonie pour rendre hommage aux morts
lire l'article de La Nación sur la minute de silence demandée par l'Ambassadeur britannique en Argentine au début d'une fête qui marquait les cent ans du palais portègne qui sert de siège à l'Ambassade du Royaume-Uni. Les experts de la Royal Navy ont pris une part très importante aux opérations de sauvetage qui viennent de se terminer.

Ajouts du 4 décembre 2017 :
lire l'article de La Prensa sur le versement des soldes qui a été effectué sur les comptes bancaires des disparus et les dispositions prises par la Banque de la Nation pour que n'importe quel ayant-droit dûment identifié puisse retirer une partie de cet argent, même sans être époux, épouse ou concubin connu ;
lire l'article de La Nación qui affirme que l'absence de décision du gouvernement sur la forme et la date de l'hommage à rendre aux disparus s'expliquerait par le fait que les familles des sous-mariniers contestent ce même gouvernement, alors que ces réactions viennent directement d'une gestion de crise qui a délibérément laissé à l'écart ces mêmes familles. Ou l'art d'aggraver toujours un peu plus la situation ;
lire l'éditorial de Página/12 qui estime que si aucune mesure officielle n'est prise pour accompagner les familles, c'est que le gouvernement cherche à préserver l'image du président... C'est un raisonnement fort curieux puisque c'est justement ce silence qui envenime la situation.

Ajouts du 5 décembre 2017 :
lire l'article de Clarín sur la reconnaissance de la mort des hommes d'équipage par le ministre de la Défense qui répondait incidemment à la question d'un journaliste dans une conférence de presse
lire l'éditorial de La Prensa qui critique la communication de crise désastreuse du gouvernement argentin sur le sous-marin et sur la mort du jeune militant dans la province de Río Negro



(1) Il semblerait qu'un des deux blessés hospitalisés à la suite des tirs de la Préfecture navale ait succombé à ses blessures.