lundi 11 août 2008

Otro domingo en Buenos Aires

Un autre dimanche à Buenos Aires...

Oración criolla

Outre ce que ce dimanche a de particulier, être el día del niño (la fête des enfants), c’est comme tous les dimanche un jour de visite au cimetière pour aller fleurir la tombe d’un être cher. J’ai donc fait comme tout le monde : je suis allée ce matin me recueillir sur la tombe de Carlos Gardel au cimetière de la Chacarita. Pedibus jambus pour une bonne partie du chemin. Il n’y a qu’ainsi qu’on peut connaître, sentir, apprendre une ville et surtout celle-ci... Et puis je voulais en profiter pour passer esquina Corrientes y Scalabrini. Je voulais voir le monument à Osvaldo Pugliese tout récemment restauré et présenté au public fin juillet. L’artiste, Paula Franzi, a réalisé un très beau travail, avec un Pugliese affable devant son piano quart de queue ouvert, portant l’un de ces smokings blancs immaculés qu’il aimait revêtir pour ses concerts. Il est même plus ressemblant en smoking derrière le piano que dans le buste très solennel, pourtant la pièce maîtresse de l’ensemble... Il est vrai que la figurine du pianiste est traitée avec humour -et il en avait à revendre, le croque-note bigleux et tout frêle, sans cesse souriant, même après un enième séjour arbitraire en prison. Alors que le buste est d’un sérieux qui frise le sinistre et ça lui va plutôt mal au teint...

Quand on arrive au cimetière de la Chacarita, trouver la tombe de Gardel est un jeu d’enfant et pourtant elle n’est indiquée nulle part. Pas de parcours flêché contrairement à ce à quoi s’attend le touriste européen. Et pourtant même moi, qui n’ai guère le sens de l’orientation, je la trouve sans difficulté. Elle se trouve dans la section 1 (des plans à l’entrée vous indiquent où se trouvent les sections), au croisement de la diagonale 115 avec les calles 6 et 17. Pour trouver la calle 6 (la rue 6), il vous suffit d'arriver par l’entrée principale (face à la gare Federico Lacroze) et de prendre la grande allée latérale, aussitôt sur votre gauche, dès que vous êtes en bas des marches. Passez le monument au syndicaliste Augusto Vandor puis celui dédié au pionnier de l’aviation Jorge Newberry (1875-1914) et face à l’indication (que vous lirez à main gauche) “Acceso a Galerias 10”, bifurquez à 90º sur votre droite : c’est la calle 6. La tombe est à 300 m environ tout droit. Impossible de la rater...
Impossible aussi de rester neutre devant l’énorme quantité d’ex-votos de toute sorte, dont certains proprement religieux, qui couvrent littéralement chaque centimètre carré disponible du monument. On lit ici et là : "Carlitos, merci pour les grâces reçues"...
Parmi les plus émouvantes de ces plaques, celles que l’on ne remarque pas tout de suite, les plus anciennes, les plus intimes... Celle de son chauffeur, une petite plaque en façade, apposée en 1944, signée el Aviator et dédiée autant à Gardel qu’à sa maman, morte en juillet 1943, huit ans après son fils, et enterrée là elle aussi (il les avait servi tous les deux et il faut savoir que c’est de lui car il n’a signé son offrande que de son seul surnom, celui dont son patron l’avait affectueusememt affublé). Celle d’Azucena Maizani, sur le mur du fond, grande chanteuse et compositrice de tango très amie avec Carlitos, un homme aussi doué pour l’amitié masculine et féminine que guigneux en amour. Mais Gardel a toujours expliqué qu’il avait renoncé à tout bonheur à deux après ses noces avec la musique. Il n’aurait pas pu se partager entre le tango et une femme. Alors il a eu des amis, intimes ou moins proches, beaucoup d’amis et il semble, à voir l’émotion des pélerins qui se rendent sur sa tombe, qu’il inspire encore l'amitié au-delà de sa mort si tragique, le 24 juin 1935, sur cet aéroport de Medellín.

Et avant de quitter Gardel, avec ou sans signe de croix, avec ou sans allumage rituel de cigarette dans la main de la statue au sourire éternel, il faut visiter, à 50 m environ, la tombe d’un ami cher à Gardel, Celedonio Esteban Flores, l’auteur de ce Por la pinta que Gardel découvrit en cherchant les pronostics hippiques du lendemain dans le journal Crítica et dont il fit le tango Margot, l’auteur de Corrientes y Esmeralda, l’auteur de El bulín de la calle Ayacucho, l’auteur de Pan... Dans cet imposant mausolée, il dort de son dernier sommeil veillé par les plaques que firent poser son épouse, ses neveux et plusieurs amis proches... C´était Homero Manzi, alors président de la Société des Auteurs et Compositeurs Argentins (Sadaic) qui avait prononcé l’éloge funèbre le jour de ses obsèques, en 1947...

On sort de cette ville des morts, paisible et apaisante, avec l’impression de les voir croisés... Et c’est vrai, on les a croisés dans ce lieu... Dans le carré des personnalités, presque à l’autre extrémité du cimetière, sur la tombe de Pichuco, à l’arrière du monument, il y a une phrase qui exprime cette expérience mieux que tout : ici vit Aníbal Pichuco Troilo pour toujours dans le souvenir des ses amis...

San Telmo le dimanche...

Après déjeuner et surtout s’il fait beau, ce qui est souvent le cas en cette période de l’année, il faut se rendre à San Telmo dans la rue Defensa devenue piétonne pour la journée et flâner pour découvrir ce qu’est à Buenos Aires el arte callejero (l’art qu’on pratique dans la rue). On a du mal à imaginer en Europe le nombre d’artistes qui vivent et créent dans cette ville. Cela fourmille, il y en a partout, dans tous les genres, pour tous les goûts. Il faut donc prendre son temps et regarder passer un quatuor métissé de tambours traditionnels avançant au pas cadencé et lourd si typique du candombe de défilé (juste retour d’un peu de négritude dans cette rue qui était au 19e siècle le chemin de toutes les processions des noirs de Buenos Aires), écouter ici un petit ensemble de jazz, admirer ailleurs un mime ou une statue vivante, et plaza Dorrego, il faut chercher (on trouve très vite) deux danseurs portant beau, plus très jeunes –mais est-ce que ça veut encore dire quelque chose quand il s’agit d’eux ?- deux authentiques tangueros qui sont tout entiers tango et qui dansent de l’intérieur d’eux-mêmes... L’anti-Tanguera de la rentrée au Châtelet, le vrai de vrai tango arrabalero, le tango canyengue, le tango des faubourgs, des titis et des gens simples qui expriment le plus profond d’eux-mêmes dans une danse... Pochi et Osvaldo Boó... Lui invite les spectatrices à danser et ce n’est que du bonheur si vous acceptez l’invitation, même si vous détestez, et c’est mon cas, savoir les yeux de tous fixés sur vous... Ils aiment danser le tango simple et bien marqué de D’Arienzo. Ils enseignent et doivent être d’excellents pédagogues, si j’en crois les quelques conseils qu’il m’a glissés à l’oreille tandis que nous dansions et tout ce qu’elle m’a confié sur ce qui fait l’essentiel du tango pour elle, dans sa vie de porteña.
Tous deux figurent au programme des réjouissances diurnes de la usina tanguera que sera l’ancien magasin Harrods dans la rue Florida pendant le Festival de Tango, à la fin du mois. Tailler une bavette avec Pochi pendant qu’Osvaldo invite tout son monde à tour de bras. Danser avec un bailarín de ley (un vrai danseur). Faire la connaissance de tous leurs amis qui passent là pour les saluer...
Bonheur d’être partie à l’autre bout de la Terre et de faire là de vraies rencontres avec les vrais gens...

Autre découverte fortuite de cette balade au fil de l’eau, celle d’une jeune Orquesta Típica, La Ciudad Baïgon, jouant sur un bout de trottoir pour un public averti. 4 bando, 3 violons, 1 alto, 1 violoncelle, la contrebasse et le piano droit (complètement déshabillé pour mieux sonner) et 1 chanteur (Alejo Raimondi. Avec un nom pareil, il ne peut que bien chanter et c’est ce qu’il fait). Quand je suis passée là, je l’ai entendu interpréter Mi tango triste, simplement, sans chercher l’effet, en suivant juste ce que les auteurs ont dit avec les vers de l’un (José María Contursi) et les notes de l’autre (Aníbal Troilo)...
Le grand chanteur Roberto Goyeneche a raconté un jour les consignes que Pichuco lui donnait quand il était chanteur de son orchestre : ²ce qu’il faut, c’est que le chanteur raconte l’histoire au public. Chanter, c’est l’orchestre qui s’en charge².
Ciudad Baïgon, qui doit son nom à un celèbre morceau de rock argentin, a déjà enregistré un disque (disponible chez Zivals) : Ciudad Baïgon Orquesta Típica, ed. Babayaga. Ils sont aussi présents sur Internet, avec leur site, actuellement en cours de relooking donc temporairement peu et mal accessible, et sur Myspace :

Leur site : http://www.ciudadbaigon.com.ar/, et aussi www.myspace.com/ciudadbaigon

Autre bavette, cette fois avec le violonceliste Julián Peña, pour apprendre que Ciudad Baïgon est attendu à Paris début octobre pour un concert organisé par le DJ de milonga Matias (bien connu des danseurs de tango parisiens) puis à Bruxelles et dans d’autres villes d’Europe. Auparavant, ils auront apporté leur écot au Festival lors d’un concert au Centro Cultural Julián Centeya de Boedo...

Pochi et Osvaldo Boó, quant à eux, bien que largement septuagénaires l’un et l’autre, sont attendus à la rentrée à Rome et passeront peut-être par la France ensuite...

Ils me tiendront tous au courant puisque nous avons échangé nos emails. Je vous informerai en temps et en heure du moindre mouvement des uns et des autres...
En Buenos Aires son las 22.30