Image pieuse mise à disposition des fidèles sur l'autel du nouveau bienheureux (Basilica Santa María Auxiliadora y San Carlos, Almagro). |
Bien sûr, il s’agit d’une fête qui touche avant tout les catholiques pratiquants. Néanmoins de nombreux Argentins se sentent concernés, sinon par la dimension spirituelle du personnage, du moins par le fait qu’il ait été porté à des honneurs qui transcendent les frontières. Ceferino (Séraphin) est en effet le premier saint incontestablement argentin, les autres ayant vécu avant l’indépendance... Et c’est donc un peu de cette gloire qui retombe sur toute cette nation si avide de reconnaissance internationale.
Hé oui, c’était Carlos Gardel.
La fête du bienheureux Ceferino Namuncurá a été exceptionnellement fixée au 26 août, date anniversaire de sa naissance, à Chimpay, dans la province de Río Negro, en 1886. Ce jeune Argentin indien Mapuche a passé une partie de sa courte vie (de 1897 à 1902) à Buenos Aires, dans le quartier d’Almagro et très précisément dans la barriada San Carlos, celle même où j’ai la chance de descendre lors de mes séjours à Buenos Aires. Ceferino est mort de tuberculose le 11 mai 1905, à Rome. Il y était allé faire des études, ayant conçu un édifiant projet de vie religieuse en 1902, pendant ses études dans un collège salésien dépendant de la Basilique San Carlos où il fit sa première communion le 8 septembre 1898 (la Basilique fête, quant à elle, cette année, les 130 ans de la fondation de la paroisse qu’elle dessert).
Dans cette école, Ceferino eut un condisciple, appellé lui aussi à une gloire d’au-delà des frontières, un gamin qu’on surnommait el francesito, élève du même établissement de 1901 à 1904, année de ses 14 ans, âge de la fin de l’école obligatoire. El Francesito avec lequel Ceferino a sans aucun doute shooté dans le ballon à la récréation, quand toutefois son état de santé le lui permettait, el Francesito qui faisait comme lui partie de la chorale du collège Pie X , el Francesito, je vous le donne en mille, c'était ?
Timbre, émis par la Poste Argentine, à l'occasion de la béatification de Ceferino le 11 novembre 2007 conçu d'après une photographie du jeune homme. |
Cette condisciplinarité entre les deux, incontestablement attestée par les archives du collège, devenu entretemps une école publique, a fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup de croyants, sensibles eux aussi comme tous les Argentins au mythe de Carlos Gardel, se sont efforcés d’y voir un signe de Dieu. L’exégèse de la chose, telle que je l’ai entendu exposer dans un documentaire sur Carlos Gardel par le curateur de la cause en béatification d’il y a de nombreuses années, me paraît théologiquement pour le moins fumeuse et, pour tout dire, carrément tirée par les cheveux. Il n’empêche que la présence dans le même établissement et à la même époque des deux Argentins contemporains qui jouissent d’une forme d’universalité parle et parle fort au coeur des Portègnes. Qui plus est, pour des raisons différentes, l’argentinité de l’un comme de l’autre, est ambivalente. La nationalité de Gardel, né à Toulouse et pourtant doté d’un certificat de naissance le disant originaire de Tacuarembo, dans le nord de l’Uruguay, a suscité et suscite encore bien des polémiques, jusque sur son identité exacte. Quant à l’appartenance ethnique de Ceferino, incontestablement Mapuche, elle donne lieu à une hagiographie particulièrement complexe et dont la chapelle qui lui est consacrée dans la Basilique San Carlos (le saint patron de Gardel, par ailleurs) est un admirable exemple.
Qu’y voit-on ?
Deux représentations du jeune bienheureux.
Un tableau où il figure, censément à Rome (où il se mourait), en jeune étudiant plein de santé, insouciant et paisible, le teint blanc et frais comme il convenait à son époque à un garçon de bonne famille, en pantalon gris et chemise blanche, la veste négligeamment jetée sur l’épaule, avec, en arrière-plan, un bâtiment de style classique, d’un rose saumon pas très heureux à mon goût, et à ses côtés une charmante jeune fille souriante en jupe large et grise, blouse blanche dissimulant toutes ses formes féminines, chaussures plates et chaussettes gondolantes de laine grise... Deux étudiants d’Oxford à une époque.... indéterminée.
Dans la même chapelle, une statuette le représente seul, dans les montagnes de la Patagonie argentine, le teint olivâtre, le nez un peu écrasé (comme sur ses photos), lippu, enveloppé dans un poncho aux couleurs vives... Un paysan mapuche, malgré le drapé incontestablement sacerdotal...
Et cette statue, c'est la statue officielle, celle qu'à la messe solennisée du 26, viendra bénir l´êvèque auxiliaire de Buenos Aires en charge de ce secteur de la capitale.
Comme partout dans le monde, la relation des Argentins à leur histoire est bien complexe... Quelle place donner, dans la saga nationale, au trafic des esclaves dont la région du Río de La Plata a vécu pendant 300 ans ? Que faire, dans la construction de l’image de la patrie, des guerres sanglantes, impitoyables et répétées contre les Indiens, dont Ceferino descend ? Que signifie, pour un catholique argentin d’aujourd´hui, prendre modèle sur un Indien pour sa vie spirituelle ? Qu’est-ce qui fait que Ceferino est un saint : la grâce de Dieu, qui, comme le veut une saine théologie catholique, a agi en lui et l’a configuré au Seigneur ? Ou bien la négation de sa culture mapuche qui irait de pair avec son adhésion à l’Evangile ? En d’autres termes, peut-on être à la fois Indien et Argentin, à la fois Indien et saint ?
A elle toute seule, cette chapelle latérale résume 5 siècles de tension entre aculturation du christianisme, telle que l´ont pratiquée les Jésuites dans les missions, appelées aussi réductions, du nord de l’Argentine et du sud du Paraguay, et conversion forcée, avec répudiation ipso facto de la culture indienne, lot commun de tant et tant de gens un peu partout dans toute l’Amérique latine... Et Dieu sait si cette tension est forte en Argentine, d'autant plus forte qu'elle fait l'objet d'un refoulement collectif, plus forte donc que dans d’autres pays où les populations autochtones sont demeurées plus visibles (Pérou, Colombie, Bolivie par exemple).
Cette année, c’est la première fois que Ceferino sera fêté dans le cadre d'un culte public, puisque celui-ci n’a été rendu liturgiquement licite que le 11 novembre dernier, date de sa béatification à Chimpay... Son portrait a été hissé sur les grilles de la Basilique sous le thème Ceferino nous attend, Ceferonio enfant de Dieu et frère de tous. Il est présent sur bon nombre de vitrines de magasins, aux caisses de certains commerces et même à côté du guichet nord de la station de métro Castro Barros, la plus proche de San Carlos.
Et San Carlos, c’est aussi la paroisse du payador de légende, José Betinotti (1878-1915), qui a vécu toute sa vie dans ce quartier. C’est sans doute dans ces rues et peut-être même dans cette église qu’il a connu Carlos Gardel, dont ont dit qu’il en avait fait son assistant, peut-être dans ce coin de la ville qu’il lui a enseigné les fondements de la guitare et un peu de chant... Et si c’est bien Ceferino qui remporta le 1er prix de chant du collège Pie X en 1901, c’est le nom de Carlos Gardel qui figure sur la plaque fileteada commémorant, sur la façade de l’église, le fait qu’il soit venu y chanter au sein de la chorale un jour de 1902. Et tous les trois restent présents dans ces rues, qui ont dû changer depuis : le saint en attente de canonisation, el Zorzal criollo (1) et el Último Payador comme le poète Homero Manzi (1907-1951) aimait à appeller Betinotti. Sans oublier Pichuco (1914-1975) (2) qui venait volontiers à la messe de minuit dans cette très belle église, une des plus belles de la ville...
Comme partout dans le monde, la relation des Argentins à leur histoire est bien complexe... Quelle place donner, dans la saga nationale, au trafic des esclaves dont la région du Río de La Plata a vécu pendant 300 ans ? Que faire, dans la construction de l’image de la patrie, des guerres sanglantes, impitoyables et répétées contre les Indiens, dont Ceferino descend ? Que signifie, pour un catholique argentin d’aujourd´hui, prendre modèle sur un Indien pour sa vie spirituelle ? Qu’est-ce qui fait que Ceferino est un saint : la grâce de Dieu, qui, comme le veut une saine théologie catholique, a agi en lui et l’a configuré au Seigneur ? Ou bien la négation de sa culture mapuche qui irait de pair avec son adhésion à l’Evangile ? En d’autres termes, peut-on être à la fois Indien et Argentin, à la fois Indien et saint ?
A elle toute seule, cette chapelle latérale résume 5 siècles de tension entre aculturation du christianisme, telle que l´ont pratiquée les Jésuites dans les missions, appelées aussi réductions, du nord de l’Argentine et du sud du Paraguay, et conversion forcée, avec répudiation ipso facto de la culture indienne, lot commun de tant et tant de gens un peu partout dans toute l’Amérique latine... Et Dieu sait si cette tension est forte en Argentine, d'autant plus forte qu'elle fait l'objet d'un refoulement collectif, plus forte donc que dans d’autres pays où les populations autochtones sont demeurées plus visibles (Pérou, Colombie, Bolivie par exemple).
Cette année, c’est la première fois que Ceferino sera fêté dans le cadre d'un culte public, puisque celui-ci n’a été rendu liturgiquement licite que le 11 novembre dernier, date de sa béatification à Chimpay... Son portrait a été hissé sur les grilles de la Basilique sous le thème Ceferino nous attend, Ceferonio enfant de Dieu et frère de tous. Il est présent sur bon nombre de vitrines de magasins, aux caisses de certains commerces et même à côté du guichet nord de la station de métro Castro Barros, la plus proche de San Carlos.
Et San Carlos, c’est aussi la paroisse du payador de légende, José Betinotti (1878-1915), qui a vécu toute sa vie dans ce quartier. C’est sans doute dans ces rues et peut-être même dans cette église qu’il a connu Carlos Gardel, dont ont dit qu’il en avait fait son assistant, peut-être dans ce coin de la ville qu’il lui a enseigné les fondements de la guitare et un peu de chant... Et si c’est bien Ceferino qui remporta le 1er prix de chant du collège Pie X en 1901, c’est le nom de Carlos Gardel qui figure sur la plaque fileteada commémorant, sur la façade de l’église, le fait qu’il soit venu y chanter au sein de la chorale un jour de 1902. Et tous les trois restent présents dans ces rues, qui ont dû changer depuis : le saint en attente de canonisation, el Zorzal criollo (1) et el Último Payador comme le poète Homero Manzi (1907-1951) aimait à appeller Betinotti. Sans oublier Pichuco (1914-1975) (2) qui venait volontiers à la messe de minuit dans cette très belle église, une des plus belles de la ville...
Pour en savoir plus sur Ceferino, bienheureux de l’Eglise catholique, le site de sa cause
En Buenos Aires son las 18.15
(1) Carlos Gardel
(2) Aníbal Troilo
(2) Aníbal Troilo