dimanche 24 août 2008

Artes plásticas callejeras en Buenos Aires


La peinture de rue dans Buenos Aires
A Buenos Aires, la peinture callejera est partout. Les artistes s’expriment là où ils peuvent et là où cela fait sens pour eux, donc souvent dans la rue. Et il ne s’agit pas du vandalisme de nos tagueurs. Il y a très peu de tags à Buenos Aires. L’année dernière, je n’en avais même pas vus du tout. Cette année, quelques rames de métro de la ligne B ont fait les frais de ces malotrus. Hormis ces rares tags, il y a à Buenos Aires beaucoup de graffitis, gravés parfois, simplement écrits la plupart du temps et beaucoup d´affichage sauvage. Venant souvent d’obédiences anarchistes ou altermondialistes ou tout simplement de gens ayant quelque chose à vendre, avec ou sans pignon sur rue.

La peinture callejera, la peinture de rue, ne doit bien évidemment pas être confondue avec ce manque de respect à l’espace public partagé par tous. La peinture callejera, c’est de l’art, de l’art populaire, simple, le plus souvent figuratif et tout à fait compréhensible pour le passant (à l’inverse du tag, ressenti par le commum des mortels comme un code indéchiffrable et menaçant).

La peinture callejera à Buenos Aires est un manifeste artistique et esthétique des grandes problématiques politiques et sociales de l´heure, elle correspond à une nécessité vitale pour cette ville, non pas pour les habitants à titre individuel mais bel et bien pour le collectif qu’est la ville elle-même. La peinture callejera participe à construire l’identité culturelle de la capitale... Une identité culturelle toujours à la recherche d’elle-même dans cette mégapole de 3 millions d’habitants sur une surface double de celle de Paris et dont la grande majorité des habitants vit avec un arbre généalogique tronqué qui remonte rarement au-delà de l’aïeul qui a immigré, le plus souvent entre 1870 et 1930. La vie d’avant, la vie en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, en Pologne ou en Russie est souvent sans mémoire.

Ce peuple a cette particularité qu’il tire une immense fierté de son histoire, de l’Indépendance, de San Martín et de tous les héros de la lutte patriotique et qu’en même temps il ne peut pas dire collectivement "ce sont nos ancêtres qui ont fait cela".
Les Français peuvent dire, quand même ce serait historiquement faux sur le plan personnel : "nos ancêtres ont pris la Bastille". Les Belges peuvent dire : "nos ancêtres ont livré la Bataille des Eperons d’or". Les Espagnols proclament qu’ils ont remporté la victoire de Lépante. Quant aux Helvètes, ils étaient tous derrière Guillaume Tell.

Mais les Argentins savent bien que ce ne sont pas leurs ancêtres à eux tous qui ont séparé le pays de l’Empire colonial. Ils savent bien qu’ils ne peuvent pas le croire.

Aller construire un pays, ou même une ville avec ça !

L’art est donc le feu brûlant à travers lequel se forge, encore aujourd´hui, ce qui sera un jour l’identité de cette nation, de ce pays, de cette ville, à travers la musique (on entend la 2x4 dans de minuscules échopes, les kioscos), la danse, la poésie, la peinture... Or souvent quand on pense au tango, on oublie la peinture... Et cette ville est en mouvement à travers la peinture.

Cette année, j’ai vu que, le long de la avenida Independencia qui sépare les quartiers de San Telmo et de Monserrat, un gigantesque mural a disparu, pour cause de chantier immobilier. Il représentait un défilé de carnaval noir, du temps où les noirs étaient dans Buenos Aires les rois des défilés et du candombe. Il avait été réalisé par des étudiants des Beaux-Arts. Un peu plus loin, sur un autre mur, d’autres artistes ont fait un autre mural pour confronter la politique du gouvernement actuel (péroniste) à quelques maximes bien frappées tirées de discours de Perón lui-même. Mejor que decir es hacer, mejor prometer realizar... (faire, c’est mieux que parler, passer aux actes mieux que faire des promesses). Et il est vrai que Perón a tenu un certain nombre de promesses et réalisé pas mal de choses pendant ses 9 ans d’exercice du pouvoir (1946-1955), aidé, il est vrai, par une phase de croissance mondiale forte au lendemain de la seconde guerre mondiale mais entravé aussi, ce que nous oublions toujours nous autres Européens de l’Ouest, par la surpuissance économique écrasante des Etats-Unis qui sans scrupule prenaient la suite d’une Grande-Bretagne qui avait fait de l’Argentine une espèce de Dominion de langue hispanique...

En revenant de San Telmo par le métro (j’aime sentir ainsi le pouls de la ville, indétectable à l’arrière d’un taxi), j’ai constaté que Metrovías faisait actuellement restaurer l’un des trois panneaux muraux dessinés par Hermenegildo Sábat dans le couloir de correspondance entre lignes A et C aux stations Lima-Avenida de Mayo. Ce triptyque s’appelle Los Músicos de Buenos Aires et montrent l’un des danseurs, l’autre un portrait d’Astor Piazzolla et le 3ème una barra (une bande de copains) de légende : Homero Manzi et Aníbal Troilo, l’un debout et l’autre assis et tous les deux en pachydermes, Enrique Santos Discépolo en microbe liliputien et Carlos Gardel en cigale guitareuse. C’est ce dernier panneau qui est en restauration pour remplacer la douzaine de carreaux qui avaient disparu, en bas à gauche.

Hermenegildo Sábat dont je vous ai déjà parlé au sujet de la fête de Boedo (el día de Boedo) est un peintre, un dessinateur et un caricaturiste de presse d’une immense renommée, égale à son talent. Outre ce triptyque souterrain, on lui doit aussi tout le fronton de la Esquina Homero Manzi et un nombre impressionant de couvertures de livre et de jacquettes de disque, dont tout récemment celle de De corte antiguo (Taillé à l’ancienne), le dernier disque de Néstor Tomassini (actuellement disponible, notamment chez Zivals).

Dans le quartier de l’Abasto, où est installé le studio de la radio par podcast Tango City Tour, j’ai vu que le Proyecto Tango Abasto commandé par le Gouvernement de la Ville de Buenos Aires au peintre Marino Santa María, disparaissait au fil de l’eau au fur et à mesure que les façades sont repeintes de couleurs unies. Proyecto Tango Abasto était une tentative d’apporter un peu de beauté, un peu d’air dans un coin particulièrement déshérité du coeur de Buenos Aires, juste derrière le centre commercial de l’Abasto, là où les touristes ne s´aventurent guère même lorsqu’ils sortent de leurs courses. C’était une animation artistique judicieuse tout le long de la cortada Zelaya, petite rue de 2 cuadras reliant deux rues secondaires : les façades de nombreuses maisons portaient la reproduction intégrale de partitions et de letras de tango de Carlos Gardel. Volver est toujours là ainsi que quelques portraits du mythe, sur une porte de garage, un mur aveugle et, en version noir et blanc, sur le portail du Teatro Ciego qui fait l’angle entre Zelaya et Jean Jaurés. La calle Zelaya débouche à peu près à la hauteur du 735 Jean Jaures, c’est-à-dire sur le Museo Casa Carlos Gardel.

Il y a fort à parier qu’il y aura sous peu (peut-être pas sous le présent gouvernement portègne) un autre projet du même style dans une autre portion de rue, ailleurs, dans le même quartier.

Rue Jean Jaurés, les quelques maisons fileteadas qui entourent celle de Carlos Gardel ont conservé leurs façades multicolores visiblement bichonnées par leurs propriétaires, ces façades qui attirent comme des aimants les objectifs du monde entier...

Toujours dans le même périmètre, juste au pied de l’Abasto, le fileteador Elvio Gervasi dispose d’un musée à l’air libre sous la forme de la double devanture d’un magasin de souvenirs (souvenirs de pur style hideux, genre souvenirs de la place du Tertre à Montmartre), esquina Anchorena y Carlos Gardel, en face du célèbre cena-show Esquina Carlos Gardel. Tous les ans, Elvio Gervasi exécute pour cette boutique de nouveaux panneaux et les touristes inondent Internet de photos de ses oeuvres en publiant leurs souvenirs de voyage. Cette année, j’ai repéré cinq ou six nouveaux panneaux datés de 2008. D’autres en revanche ont disparu. Dans le même pasaje Carlos Gardel, un obscur tartineur de fileteado a décoré un autre magasin de souvenirs tout aussi hideux, une boutique qui semble aujourd´hui fermée. Oubliez les personnages illustres peu ressemblants du fronton (dont un Piazzolla désespérément méconnaissable) et concentrez-vous sur les panneaux de citation, c’est plus cultureux et c’est la seule chose qu’il y ait à sauver de tout ce massacre.

Sur le pont qui enjambe la voie ferrée dans l’avenue Medrano, entre Rivadavia et Corrientes, dans le quartier d’Almagro, le mural du collectif Arte sin Techo est toujours là, avec ses couleurs éclatantes et son style faussement naïf. Arte sin Techo (Art SDF en français) est un collectif de peintres qui interrogent la réalité sociale du pays à travers l’art et laisse ainsi un peu partout dans la ville la dénonciation virulente mais non violente du quotidien. Ils ont un site internet que vous pouvez visiter. Il est exclusivement en espagnol, mais la peinture, ça parle tout seul !


En Buenos Aires son las 15.