Sur Barrio de Tango, je passe mon temps à vous parler de radio et de podcast sur des sites argentins, incompréhensibles par le fait même pour beaucoup de mes lecteurs puisqu'ils n’ont pas tous, bien évidemment, la bonne version du bon logiciel linguistique installé par défaut dans le système de base de leurs cellules grises. Et moi qui les fais saliver devant des trucs dont ils ne peuvent pas se régaler.
Et voilà que Télérama Radio met en ligne une émission en format court pour présenter quelques artistes. Pas des artistes que la journaliste soit allée chercher là-bas. Ne rêvons pas ! Non, des artistes dont les albums sont déjà disponibles depuis de nombreuses années sur le marché européen, des albums édités et distribués par des labels français (Ya Basta Records, chez Barclay, qui lui-même appartient au groupe Universal, et Mañana, distribué par Naïve).
L'émission en podcast appartient à la série Mondo Sono qui présente ses numéros comme autant de cartes postales venues de pays proches ou lointains.
Cette carte postale-là est bien entendu censée avoir été postée en Argentine. Allez savoir pourquoi elle nous arrive nantie d'un timbre à 0,56 € à l’effigie de Mariane ! Rien de très dépaysant donc à attendre. Personnellement, je ne peux pas m'empêcher de le déplorer car Télérama se veut défenseur et promoteur de la culture, la vraie, l'ouverture au monde, l'audace intellectuelle d'aller à l'encontre du prêt-à-penser vendu en package de deux-en-un. Télérama avait là une occasion en or de sortir du déjà vu. Mais pour finir, il ne nous livre qu'un rappel sur des artistes dont les disques sortis il y a plusieurs années et qui ont déjà fait l'objet d'articles dans la version imprimée du magazine. La créativité et la diversité de la musique populaire en Argentine aurait bien mérité que les chroniqueurs de Télérama fassent preuve d'un peu plus d'effort et de curiosité, surtout en ce début d'année où le pays fête son bicentenaire. En voyant le titre du podcast, je m'attendais, je l'avoue, à quelque chose de plus riche et de plus original, après la brillante et passionnante interview d'Alfredo Arias que Fabienne Pascaud a menée, toujours sur Télérama Radio, au début du mois. L'interview est d'ailleurs toujours téléchargeable sur le site de Télérama. Profitez-en donc tant qu'il est encore temps (lire mon article sur le podcast consacré à Alfredo Arias).
Ce Mondo Sono spécial Argentine d’Eliane Azoulay a été mis en ligne au début de la semaine, le 11 janvier 2010.
Après une entrée en matière sur quelques mesures quasi-obligatoires de la voix de Carlos Gardel (un tango qui n’est pas des plus connus, ce qui mérite d'être souligné), la journaliste nous fait entendre l’un derrière l’autre :
Après une entrée en matière sur quelques mesures quasi-obligatoires de la voix de Carlos Gardel (un tango qui n’est pas des plus connus, ce qui mérite d'être souligné), la journaliste nous fait entendre l’un derrière l’autre :
Un tango du trio Gotán Project qui, selon elle, modernise et rafraîchit cette musique traditionnelle, affirmation très discutée puisque l'électro-tango est en fait leur invention (mélanger le son du bandonéon avec celui de la musique électronique) et qu'ils sont loin, très loin de résumer le foisonnement inventif de la création musicale du tango contemporain en Argentine, d'autant que Gotán Project compte deux Européens (un Français et un Suisse) et un seul Argentin et qu'ils vivent surtout en Europe (leur musique sert d'ailleurs de bande sonore à pas mal de spots publicitaires, pour produits d'hygiène de la maison notamment, on n'a donc pas affaire à des artistes ayant besoin d'un coup de pouce pour atteindre le grand public),
Une zamba du duo Christoph Müller et Eduardo Makaroff, tous deux membres du trio ci-dessus cité, le premier est suisse et le second argentin (le troisième membre du trio est un DJ français). Ainsi donc, contrairement à ce que le commentaire laisse entendre, on écoute toujours les mêmes musiciens que sur la piste précédente. Cette zamba, intitulée El gaucho, est présentée dans le podcast comme une "expression musicale typique des gauchos". Pourtant il s'agit ici de musique contemporaine, très proche de la variété européenne actuelle et si le morceau est inspiré par la zamba, il ne ressemble pas pour autant à ce que l'on joue et ce que l'on chante dans les régions rurales de l'Argentine profonde (1).
Enfin une milonga de Daniel Melingo, artiste que le public européen apprécie énormément mais dont il faut savoir néanmoins qu’il divise, lui aussi, de manière radicale le public de tango à Buenos Aires (là-bas, il y a ceux qui aiment Melingo et alors ils l'aiment vraiment et ceux qui n’aiment pas mais alors pas du tout ni ce que fait Melingo ni la manière dont il le fait). Le commentaire présente, d'une manière très approximative, la milonga comme l'ancêtre du tango.
Cette idée, très répandue, fait partie de ces assertions que tout le monde répète à temps et à contretemps sans même y avoir réfléchi (là-bas aussi) mais ce sont néanmoins des assertions erronées :
la milonga n’est pas tant l'ancêtre du tango qu'une forme musicale de l’Argentine rurale (campera), issue du romance espagnol, une forme de chanson populaire fondée sur l'octosyllabe, et co-existe puis évolue à côté du tango en train de se former progressivement en mêlant habanera cubaine, tango dit andaluz, candombe rioplatense, musique klezmer et musique populaire napolitaine, entre autres ingrédients (il ne faut pas oublier la musique classique avec Bach, Mozart, Chopin, de nombreux compositeurs romantiques, sans oublier la musique tsigane et les traditions populaires de l'Europe intérieure...). Cette milonga, qu'on a appelée campera à partir de 1932, a donc bien eu quelque influence sur les balbutiements du tango (de 1870 à 1885 à peu près) mais elle a survécu à la naissance de ce dernier et poursuivi sa propre évolution jusqu’à nos jours, avec une grande date, 1932, année où le poète Homero Manzi et le compositeur Sebastián Piana ont inventé ensemble la première milonga ciudadana (urbaine), Milonga sentimental, qui renouvela complètement cette musique et la sépara définitivement de sa forme campera, lente, monotone et tristounette.
Autre inexactitude que j'ai repérée dans le commentaire : le tango n’est pas né au début du 20ème siècle mais à la fin du 19ème, il est en effet attesté sous sa forme bien caractéristique dès 1880 (2).
S’il n’y a donc rien de radicalement nouveau ni de particulièrement audacieux dans l'émission, Gotán Project et Melingo étant des musiciens plutôt bien acclimatés ici, les titres sélectionnés présentent l'avantage de n'être pas trop difficiles à se procurer, sans quitter la langue de Molière, dans les grandes villes (ou grâce à une boutique en ligne), puisqu’en France, les grands réseaux de distribution ont fini par avoir la peau des petits disquaires indépendants et que les CD et autres DVD disposent désormais d’une diffusion standardisée, ce qui a fortement rétracté la variété de l’offre culturelle.
Si donc, vous, vous êtes curieux de diversité, si vous aimez l’authenticité, faites main basse si vous voulez (avec discernement néanmoins) sur le peu que nous proposent nos grandes surfaces puis allez fureter dans ma rubrique A l’affiche, dans la partie haute de la Colonne de droite, ou dans les rubriques Disques & Livres, Les musiciens ou/et Les chanteurs : vous y trouverez de nombreux articles sur tout ce qui se passe à Buenos Aires de nos jours (dont plusieurs articles sur Melingo et sur l'un de ses principaux partenaires d'écriture, le poète Luis Alposta). Et si ces lectures vous insufflent ne serait-ce qu’une bouffée de fièvre acheteuse, ce dont je me réjouirais, vous avez de quoi contenter votre envie dans la rubrique Les commerçants del Barrio de Tango, dans la partie basse de la Colonne de droite.
En cette année du bicentenaire de l'Argentine, fasse le Ciel que les rédacteurs en chef, les journalistes et les animateurs de nos journaux, radios et chaînes de télé s'arment d'un brin de curiosité pour ce qui se fait là-bas et qui soit autre chose que le Dakar et leur accorde avec générosité l’art et la manière d’éviter les clichés. D'ici là, je continuerai à vous renvoyer systématiquement sur des stations de radio en ligne qui ne causent qu'en étranger et avec un débit de mitraillette dont j'avoue qu'il est parfois un peu dur à suivre (mais l'avantage des podcats, c'est que vous pouvez faire des pauses, revenir en arrière, répéter, continuer... à votre rythme).
Cliquez sur le lien pour accéder à l’article sur ce Mondo Sono spécial Argentine.
Cliquez sur le lien pour accéder directement au numéro 59 en MP3 sans passer par sa présentation écrite.
Et si la qualité de l'information diffusée par la presse vous tient à coeur, je vous recommande la communication que le sociologue et journaliste Philippe Meyer a prononcée le 27 novembre 2006 devant l'Académie des Sciences morales et politiques (de France) et que Canal Académie met aussi à la disposition de ses auditeurs sous format Mp3. Vous trouverez le site de Canal Académie, la radio digitale de l'Institut de France, dans la rubrique Cambalache (casi ordenado) en bas de la Colonne de droite. Pour écouter le document du 27 novembre 2006, Journalisme et démocratie, cliquez sur le titre de l'intervention.
(1) Pour entendre du folklore argentin, consultez de préférence le site du label argentin Melopea, dont vous trouverez le lien dans la rubrique Les commerçants del Barrio de Tango. Là, c'est de l'authenticité garantie 100% ruralité argentine.
(2) Ceux d'entre vous qui s'intéressent à l'histoire du tango trouveront un raccourci vers une chronologie assez nourrie que j'ai rédigée il y a quelques mois sur ce sujet, dans la rubrique Petites chronologies, installée dans la partie médiane de la Colonne de droite.
(2) Ceux d'entre vous qui s'intéressent à l'histoire du tango trouveront un raccourci vers une chronologie assez nourrie que j'ai rédigée il y a quelques mois sur ce sujet, dans la rubrique Petites chronologies, installée dans la partie médiane de la Colonne de droite.