Le Gouverneur du Banco Central, Martín Redrado, a fini par démissionner hier. Après avoir été entendu pendant deux jours par la Commission bicamérale du Congrès. C'est le schéma qu'avaient imaginé plusieurs observateurs de la vie publique argentine à la veille de son audition par les parlementaires. Sans doute a-t-il voulu s'épargner l'humiliation d'une nouvelle révocation, qu'il n'aurait pas pu faire annuler par un tribunal. Il est donc parti en menaçant une nouvelle fois de faire des déclarations compromettantes (qu'il n'a jamais faites jusqu'à présent). Toujours est-il que le Gouvernement s'est empressé de refuser cette démission, sans doute parce que le contentieux est tel désormais que la Présidente veut à tout prix faire mordre la poussière à ce homme jeune, ambitieux et quelque peu arrogant.
Je vous renvoie donc à mes articles précédents sur cette péripétie de la vie politico-économique argentine qui vient de nourrir la presse pendant une bonne partie de ce mois de janvier où tout le monde étouffe sous la chaleur estivale... Il vous suffit pour les lire de cliquer sur le nom de Redrado que j'ai placé parmi les mots-clés du bloc Pour chercher, para buscar, to search.
Ce que j'ai envie de partager avec vous ce soir, c'est ce nouveau clin d'oeil tanguero que nous fait le gros titre du quotidien portègne : solo, fané y descangayado... C'est une citation. De qui, de quoi ? Comme d'habitude, la réponse directe est dans la note (1).
Mais si vous avez envie d'en savoir plus sur le tango qui se cache sous le gros titre, suivez-moi...
Dans un article publié il y a quelques jours, je venais de vous dresser la liste des citations déjà exposées dans Barrio de Tango et trouvées dans les pages des journaux (lire cet article).
Tout d'abord ce vers, qui dans notre tango mystère est écrit au féminin ("sola, fané y descangayada").
Solo (seul). Jusque-là, rien que de très facile.
Fané : c'est l'adjectif-participe passé français fané (la traduction littérale en espagnole, c'est marchito, marchita). En Argentine, il est plus dur encore, il signifie preque décrépit(e).
Descangayado : c'est le participe passé de descangayar, qui veut dire démolir, esquinter, bousiller.
Vous voyez si, comme la photo caricaturale qui a été choisie, c'est aimable pour Martín Redrado... Rien de surprenant, aucun article de Página/12 n'a été très aimable avec Redrado depuis qu'il a résisté à la décision de la Présidente de le démettre de ses responsabilités il y a une quinzaine jours.
Ce tango qui commence donc par ce vers, que tous les Portègnes connaissent par coeur, "Sola, fane, descangayada", raconte, à la première personne, l'histoire d'un homme qu'on imagine plus volontiers au zinc d'un bar que chez lui. Il boit. Beaucoup trop. Il parle, peut-être à un autre client, peut-être tout seul, tout dépend du choix du chanteur qui l'interprète. Après de nombreuses années, il vient de croiser une femme qu'il a profondément aimée du temps qu'elle était très belle. C'était alors une cocotte de haut vol. Vieillie, malade, indigente, dépenaillée, sans doute affamée, il l'a revue dans la rue : elle s'efforçait de racoler des clients sur le trottoir.
Il se souvient que pour l'entretenir, il a abandonné sa mère à la misère, il a trahi ses amis, qu'il a même volé et qu'il s'est retrouvé à genoux, comme un mendiant, lorsqu'elle l'a quitté. La description de la vieille prostituée est impitoyable : il l'a compare à un coq qu'on aurait déjà déplumé et qui montre sa peau toute piquée par l'arrachage des plumes...
Ce tango, Carlos Gardel l'a mis à son répertoire.
C'est le troisième tango de ce poète et compositeur, qui était aussi un acteur de théâtre très populaire.
Ce tango, c'est son premier succès.
C'est aussi ce tango qui lui permit de rencontrer l'amour de toute sa vie, la chanteuse espagnole Tania qui l'interprétait cette année-là au teatro Maipu, sur la rue Corrientes, sans bien comprendre le lunfardo dont il est truffé.
Ce tango s'appelle Esta noche me emborracho (cette nuit, je me soûle). Il a été écrit et composé par Enrique Santos Discépolo. Et grâce à Todo Tango, on peut l'écouter chanté ici par Carlos Gardel dès sa création, en 1928...
Et si les péripéties du Banco Central vous passionnent, lisez donc l'article de Página/12 et le cas échéant des autres journaux (vous avez leur liste avec des liens dans la partie basse de la Colonne de droite, dans la rubrique Actu).
(1) Esta noche me emborracho, de Enrique Santos Discépolo