Il y a quelques jours, je vous racontais comment, dans le bruit énorme produit par sa décision de révoquer le gouverneur de la Banque Centrale argentine puis par une décision de justice new-yorkaise qui gelait les avoirs en dollars du trésor argentin aux Etats-Unis, la Présidente Cristina Kirchner avait accusé son vice-président, Julio Cobos, d’intriguer pour obtenir rien moins que sa destitution, provoquant ipso facto un autre énorme scandale qui alimente depuis lors les unes de tous les quotidiens du pays (voir mon article du 13 janvier et celui du 15 janvier à ce sujet).
Julio Cobos avait immédiatement déclaré qu’elle se trompait du tout au tout et avait assuré la Présidente, par communiqué officiel, de sa parfaite loyauté à son égard.
Au milieu de l’été, ce feuilleton politique (aux arguments beaucoup plus sérieux que le ton général de cet article) fait les choux gras des gazettes et donne de la matière aux caricaturistes de presse, comme il est normal dans une démocratie.
Entre temps, le juge de NewYork a levé la mesure qui bloquait les fonds argentins déposés aux Etats-Unis, la Banque Centrale (Banco Central) opère désormais en euros et non plus en dollars (1) pour éviter qu’un autre juge yanki prenne une autre mesure de nature à entraver ses positions, et la Présidente vient de se résoudre à envoyer au Parlement (el Congreso), comme il semblerait bien que la Constitution lui en fasse obligation, le projet de décret qui révoquera, cette fois définitivement, Martín Redrado, maintenu à la tête du Banco Central par une juge fédérale qui lit dans la Constitution que le droit de mettre fin aux fonctions de ce haut fonctionnaire revient au Congrès et non à l’exécutif (2).
Tout rentrerait donc dans l’ordre si Cristina Fernández de Kirchner ne venait pas d’annoncer, à la surprise générale, qu’elle annulait le prochain voyage qu’elle devait faire en Chine pour ne pas laisser l’intérim de la Présidence à Julio Cobos. Trop dangereux ! Sait-on ce qu’il pourrait faire, celui-là, laissé à lui-même pendant 10 jours ! Il est vrai qu’on a vu récemment qu’il était possible de réussir un coup d’Etat sans que la communauté internationale ne bouge le petit doigt : regardez du côté du Honduras. Cristina reste donc à la maison, c’est plus sûr.
Julio Cobos a donc répété hier (3) qu’il est loyal envers le Chef de l’Etat, qu’il ne voit pas ce qui autorise la Présidente à reporter ainsi sine die un acte diplomatique aussi important que ce voyage et qu’elle doit impérativement revenir sur sa décision (en plus, tous les diplomates de la terre vous le diront : les Chinois détestent qu’on leur manque de respect). Cobos prend même tout le pays à témoin qu’il a toujours scrupuleusement accompli son devoir et qu’il fait même plus puisqu’il passe son temps à chercher des solutions pour apaiser des tensions et régler des conflits qu’il n’a pas provoqués (4). Suivez mon regard...
Comme vous l’imaginez déjà, tout cela est pain béni pour Daniel Paz qui s’en est régalé hier matin dans l’édition de Página/12 :
Le moustachu : Cristina a annulé son voyage en Chine pour que Cobos n’exerce pas la Présidence. Il y en a plus d’un dont ça contrecarre les attentes.
L’autre : Qui ça ?
Le moustachu : Cobos et les humoristes...
(traduction Denise Anne Clavilier)
Daniel Paz sait de quoi il parle, lui qui est encore au boulot au lieu d’être à la plage comme tout le monde, et qui réussit à faire rire ses lecteurs en dépit de tout ! Dimanche, il avait publié, à la une de Página/12, un autre croquis dans lequel il faisait deviser deux Argentins lambdas :
Le petit blond : Cobos est ravi que Cristina aille en Chine.
Le moustachu : Pourquoi ?
Le petit blond : il dit que des pays communistes, on ne laisse sortir personne.
(traduction Denise Anne Clavilier)
Pour aller plus loin :
Lire l’article de Página/12 sur la décision d’annuler le voyage en Chine
Lire l’article de Clarín sur le même sujet
Lire l’article de Clarín sur l’envoi au Congrès du décret de révocation de Redrado
Lire l’article de Clarín sur le changement de devise au Banco Central
Lire l’article de Página/12 du 16 janvier sur la levée de l’embargo sur les avoirs argentins aux Etats-Unis.
(1) La Banque centrale argentine ne peut pas opérer dans la devise nationale puisque celle-ci n’est pas convertible. Dans les faits, tous les paiements internationaux transitent par le Banco Central, qui convertit dans sa monnaie d’opération (maintenant l’euro) toutes les sommes en autres devises puis les reconvertit en pesos, prélevant bien sûr les différentiels à chaque opération. Un client japonais paye en yens son fournisseur argentin et le fournisseur reçoit la somme en pesos, moins la somme du différentiel yen-dollar et du différentiel dollar-peso. C’est aussi à cause de cette non-convertibilité du peso que vous devez faire votre première opération de change à l’aéroport, en arrivant sur le sol argentin. Faites-le donc pour la somme minimum et attendez d’être en ville pour prendre plus (à Ezeiza, les taux de change sont prohibitifs). Sachez que de nombreux chauffeurs de taxi acceptent d’être payés en euros, les compagnies de remis aussi, certains supermarchés également dans Buenos Aires même mais ce n’est pas très avantageux et en plus, ça vous fait perdre beaucoup de temps à la caisse (il faut calculer, convertir, compter ce qu’on vous rend...). Autant payer directement en pesos, que vous retirerez à un guichet automatique, à Buenos Aires et dans les grandes villes, sans l’ombre d’une difficulté avec une carte de retrait internationale et en prenant les précautions d’usage, cela va sans dire.
(2) Martín Redrado, qui faisait presque le plein de soutiens il y a 10 jours, s’est vu entre temps attribuer quelques scandales assez piquants : on l’accuse de s’être enrichi pendant l’exercice de son mandat de Gouverneur de la Banque centrale, d’avoir manqué aux devoirs de sa charge, d’être un opportuniste ou un Golden boy, j’en passe et des meilleures. L’un de ses soutiens, Ricardo Alfonsín, le fils du Président Raúl Alfonsín qui fait lui-même une carrière d’élu radical en s’appuyant sur le nom qu’il porte autant que sur ses convictions personnelles, a appelé Redrado à démissionner de lui-même.
(3) Lisez entre les lignes et découvrez avec quel ton faussement calme Cobos s’exprime : on dirait un ministre anglais cherchant, sans y parvenir, à masquer son exaspération alors qu’il prend très officiellement la défense devant la Chambre des Communes d’une jeune princesse un peu fofolle qui vient de se faire remarquer par son énième excentricité. Le bonhomme est redoutablement habile ; il serait déjà en campagne électorale pour la présidentielle de l’année prochaine qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
(4) C’est aussi une allusion très claire à l’apaisement du conflit avec le secteur agricole qui est resté dans toutes les mémoires pour avoir immédiatement suivi son vote négatif de juillet 2008 au Sénat, or c’est ce vote négatif qui a déclenché la dégradation continue et semble-t-il désormais irrémédiable de ses rapports avec la Présidente (lire mon article du 19 juillet 2008 à cet égard).