Sans doute ne serais-je pas revenue pour ce tryptique qui rencontre un succès phénoménal au Théâtre du Rond-Point sans l’interview d’Alfredo Arias que Télérama Radio vient de mettre en ligne, en libre accès par téléchargement et sous forme de podcast. Une interview conduite par la chroniqueuse musicale Fabienne Pascaud, d’un peu plus de 45 minutes, où le dramaturge et comédien revient sur les quarante ans de son parcours théâtral en France et les quelques années qu’il a vécues en Argentine, sous un régime de plus en plus répressif vis-à-vis des artistes contestataires, ce qui l’a contraint à choisir l’exil en 1968.
Au cours de cet entretien, il s’explique longuement sur ce que représente pour lui Eva Perón et la tendresse qu’il voue à cette femme du peuple, comme lui, et qui a su rester du peuple tout en accédant au plus haut niveau de pouvoir politique de son pays. Eva Perón, sous le nom d’Eva del Sur, est l’un des deux personnages principaux du deuxième volet du triptyque, Tatouage, dont j’ai déjà parlé dans un article précédent.
Il parle aussi de l’Argentine, cet immense chaos d’où la vie jaillit. Il parle de son homosexualité en refusant de tenir des propos de victime (et pourtant, ce serait facile de s'abandonner à ce genre de discours - en plus, c'est plutôt à la mode, là-bas comme ici). Il déclare même avec beaucoup de force que la victimisation, dont certains milieux et groupes de pression se servent comme d’un discours politique, est en fait une imposture, qu’ils se mettent eux mêmes dans ces situations impossibles en refusant de jouer le jeu du reste de la société. Et je trouve que venant d’un Argentin, avec tout ce que l’Argentine véhicule de stéréotypes machistes et homophobes, ces propos donnent à réfléchir...
Dimanche dernier, en début de soirée, je suis allée au Théâtre du Rond Point voir le 3ème volet du triptyque, une oeuvre qui ne se donne que le dimanche, mais à deux reprises à 16h puis à 18h30. Un spectacle qui évoque le cabaret, ses numéros, son répertoire musical, le cabaret des années 30 aux années 70 : Cabaret Brecht Tango Broadway, avec les chanteuses, danseuses et comédiennes Alejandra Radano et Sandra Guida (qui jouent respectivement Conchita/Malena pour la première et Eva del Sur pour la seconde dans Tatouage en semaine) et le pianiste Ezequiel Spucches (un excellent pianiste doublé d’un bon comédien lui aussi).
Le répertoire de la soirée est un mélange de toutes les époques et de toutes les lattitudes. On passe de Buenos Aires à New-York, de Milan à Paris, de Londres à Berlin. Le tout dans un bazar savamment organisé... Côté tango, vous entendrez Nostalgias de Juan Carlos Cobián et Enrique Cadícamo interprété en soliste par Sandra Guida, Taquito Militar de Mariano Mores et Dante Gilardoni interprété par une Alejandra Radano déchaînée, à la diction précipitée (c’est le morceau qui le veut) mais aussi impeccable que grimaçante, et bientôt en un duo des deux chanteuses, Che Tango Che de Astor Piazzolla, avec un texte en français de Jean Claude Carrière qui ne m’a guère emballée (je préfère la poésie compliquée mais infiniment plus belle de Horacio Ferrer, mais enfin ! les goûts et les couleurs, n’est-ce pas ?), El Choclo de Villoldo, en trois versions aux interprétations aussi hilarantes les unes que les autres : le texte en anglais (que chanta Louis Amstrong sous le titre Kiss of Fire), le texte en italien (complètement différent) et enfin, la letra authentique, celle de ce remarquable poète que fut Enrique Santos Discépolo (1901-1951). Le morceau est interprété en duo alterné et c’est à mourir de rire. Enfin un Caminito, celui de Juan de Dios Filiberto, dans une version particulièrement déjantée, dans la letra originale de Gabino Coria Peñalosa et une version en japonais impossible à décrire, aussi caricaturale que le lieu de la Boca qui porte le nom de ce tango... Le final est un bouquet de feu d’artifice composé de trois faux bis (en fait partie intégrante du spectacle) et une apparition finale, très applaudie, d’Alfredo Arias qui vient donner lui-même les explications les plus loufoques à la dernière chanson-chorégraphie, un numéro de jumelles en miroir aussi divertissant que creux et crétin (il faut que les deux artistes aient une belle présence pour réussir ce tour de force) et que Sandra Guida et Alejandra Radano nous redonnent avec les commentaires en direct d’Alfredo Arias, debout sur un côté de la scène à côté d’elles et qui les surveille en débitant négligeament un chapelet de propos d’une platitude que le degré extrêmement poussé de leur absurdité rend parfaitement réjouissante...
Pour le reste, qui fait partie du spectacle aussi ô combien !, lumières, costumes et décor, l’économie de moyens est à l’ordre du jour comme pour les deux autres volets. Le décor reprend les panneaux noirs des deux autrs spectacles. Le chef des lumières se fait oublier. Et les comédiennes disposent de 3 jeux de tenues, intégralement noire, un costume pantalon qui évoque la mode garçonne des années 30, un fourreau-cape qui rappelle les vamps des années 40 et 50 et un costume très dénudé qui renvoit à la mode des pompom girls qui règnait dans les années yéyé.
Il serait cruel de ma part de vous dire que ce spectacle est à découvrir absolument car il est plus que probable qu’il n’y a plus une seule place à vendre sur les 5 représentations supplémentaires des prolongations de janvier. Mais je peux tout de même vous inviter à vous consoler, si vous n’avez pas vu le spectacle, en vous plongeant dans l’interview de Télérama (vous pouvez la télécharger et l’écouter grâce à votre lecteur MP3 préféré) et en allant visionner le reportage que France 3 avait consacré à l’ensemble des ces spectacles en novembre et que la chaîne de télévision publique a mis à disposition du public sur son site Culturebox (voir mon article à ce sujet).
Vous pouvez aussi retrouver une bonne partie de l’interview dans l’autobiographie et livre d’entretien qu’Alfredo Arias a fait paraître l’année dernière aux Editions du Rocher : L’écriture retrouvée. L’interview reprend plusieurs éléments du livre. Les deux sont donc complémentaires.
Pour l’interview de Télérama radio :
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Lire mon article sur le reportage de France 3 (avec lien vers le document vidéo sur le site)
Pour en savoir plus sur l’ensemble de ce spectacle, vous pouvez lire tous les articles que je lui ai déjà consacré en cliquant sur le nom d’Alfredo Arias dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, en haut de l’article, sous le titre.