On vient d’apprendre la mort de Tete Rusconi, de son vrai nom Pedro Rusconi.
Voilà plus de 60 ans que ce maître du tango salón dansait et enseignait son style si particulier, d’inspiration éminemment faubourienne, ce faubourg qu’il portait en lui comme une identité personnelle et non comme une posture destinée à épater la galerie. Lui-même définissait ce style comme orillero (des rives, des bords de la ville, de la ceinture, de la périphérie). Il n’employait pas le mot canyengue, le jugeant sans doute un peu trop dévalué par l’usage intempestif et ô combien commercial qu’en font des tas de gens qui n’hésitent pas à en dévoyer la nature et confondent la plupart du temps ce qui est populaire, plébéien et ce qui est vulgaire, voire grossier. Tete, avec sa partenaire Silvia Ceriani, travaillait surtout à Buenos Aires mais il a aussi tourné un peu partout dans le monde. Il avait enseigné en Italie, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Espagne, aux Etats-Unis...
Pour ma part, j’ai eu la chance immense de suivre, avec d’autres, un de ses cours lors de ce qui fut, je crois, son dernier séjour à Paris, au cours de l’été 2005. Il était venu participer à un festival d’une grande qualité qui n’a malheureusement jamais eu de suite, la Milonga Oxidada, dans le quartier de la Bastille. Il était jovial, drôle, entraînant, précis, exigeant, rigoureux. Un vrai titi portègne dans l’allure, le comportement, la gestuelle, la bedaine en plus et le chapeau en moins. Je me souviens qu’il avait multiplié les enchaînements exécutés seul et c’était une merveille à voir. Je me souviens qu’il nous avait incité à apprendre en dansant seul et non pas seulement en couple : "il n’y a que comme ça qu’on finit par bien danser", disait-il. Je me souviens qu’il avait fait tout son cours en truffant son discours de lunfardo. Heureusement qu’il montrait à chaque fois ce qu’il demandait aux élèves et que les professeurs locaux traduisaient tant bien que mal, sinon personne n’aurait rien compris. Mais c’était authentique et cette authenticité-là passait auprès de tous et permettait de surmonter l’idiosyncrasie extrême du lunfardo pour nos oreilles parigotes...
Avec Silvia, qui était depuis 1995 sa partenaire d’enseignement, il avait son propre site Internet que je vous invite à visiter. Un peu tard, hélas... Vous pourrez y visionner plusieurs vidéos qui vous donneront une idée du personnage haut en couleurs et de l’excellent danseur qui nous a quittés hier.
Tete est mort à l’âge de 80 ans (c'est du moins l'âge que lui prête l'agence Telam) dans la maison qu’il habitait à Palermo. La veille, 6 janvier, il avait passé une partie de la nuit à la milonga El Beso (Riobamba 416). Ses proches l’ont retrouvé sans vie dans la matinée d’hier. Il a été veillé par ses parents et ses amis depuis minuit la nuit dernière dans un funérarium de son quartier (Velazco 1070, tout près du carrefour avec l'avenue JB Justo).
Tete disait :
Yo digo la verdad. No disfracemos el tango porque lo vamos a arruinar. Sin querer ofender a nadie, yo amo el tango. No castigo a nadie pero no disfracemos el tango.
El tango tiene mil formas de bailarse pero primero pisemos el suelo porque en el piso está la energía y es donde bailamos la música. No perdamos el placer y el amor por bailar pisando el suelo.
Los chicos de hoy andan por el aire: todos ustedes son capaces de hacer cosas muy lindas, háganlas en el piso, como los grandes Maestros lo hicieron. Los compaces y la melodía del tango son muy especiales, es una lástima perderlos.
(Tete Rusconi, extrait du site de Tete y Silvia)
Pour ma part, j’ai eu la chance immense de suivre, avec d’autres, un de ses cours lors de ce qui fut, je crois, son dernier séjour à Paris, au cours de l’été 2005. Il était venu participer à un festival d’une grande qualité qui n’a malheureusement jamais eu de suite, la Milonga Oxidada, dans le quartier de la Bastille. Il était jovial, drôle, entraînant, précis, exigeant, rigoureux. Un vrai titi portègne dans l’allure, le comportement, la gestuelle, la bedaine en plus et le chapeau en moins. Je me souviens qu’il avait multiplié les enchaînements exécutés seul et c’était une merveille à voir. Je me souviens qu’il nous avait incité à apprendre en dansant seul et non pas seulement en couple : "il n’y a que comme ça qu’on finit par bien danser", disait-il. Je me souviens qu’il avait fait tout son cours en truffant son discours de lunfardo. Heureusement qu’il montrait à chaque fois ce qu’il demandait aux élèves et que les professeurs locaux traduisaient tant bien que mal, sinon personne n’aurait rien compris. Mais c’était authentique et cette authenticité-là passait auprès de tous et permettait de surmonter l’idiosyncrasie extrême du lunfardo pour nos oreilles parigotes...
Avec Silvia, qui était depuis 1995 sa partenaire d’enseignement, il avait son propre site Internet que je vous invite à visiter. Un peu tard, hélas... Vous pourrez y visionner plusieurs vidéos qui vous donneront une idée du personnage haut en couleurs et de l’excellent danseur qui nous a quittés hier.
Tete est mort à l’âge de 80 ans (c'est du moins l'âge que lui prête l'agence Telam) dans la maison qu’il habitait à Palermo. La veille, 6 janvier, il avait passé une partie de la nuit à la milonga El Beso (Riobamba 416). Ses proches l’ont retrouvé sans vie dans la matinée d’hier. Il a été veillé par ses parents et ses amis depuis minuit la nuit dernière dans un funérarium de son quartier (Velazco 1070, tout près du carrefour avec l'avenue JB Justo).
Tete disait :
Yo digo la verdad. No disfracemos el tango porque lo vamos a arruinar. Sin querer ofender a nadie, yo amo el tango. No castigo a nadie pero no disfracemos el tango.
El tango tiene mil formas de bailarse pero primero pisemos el suelo porque en el piso está la energía y es donde bailamos la música. No perdamos el placer y el amor por bailar pisando el suelo.
Los chicos de hoy andan por el aire: todos ustedes son capaces de hacer cosas muy lindas, háganlas en el piso, como los grandes Maestros lo hicieron. Los compaces y la melodía del tango son muy especiales, es una lástima perderlos.
(Tete Rusconi, extrait du site de Tete y Silvia)
Moi je vous parle vrai. Gardons-nous de travestir le tango sous peine de le détruire. Sans offense à personne, moi, j’aime le tango. Je ne veux citer personne mais gardons-nous de travestir le tango.
Il y a mille manières de danser le tango mais commençons par rester rivés au sol parce que c’est au sol qu’est l’énergie et c’est là que la musique se danse. Ne nous privons pas du plaisir, du bonheur (1) de danser le tango en restant rivés au sol.
Vous, les jeunes d’aujourd’hui, vous êtes en l’air : vous êtes tous capables de faire des choses très chouettes mais faites-les au sol, comme le faisaient les grands Maestros. La mesure (2) et la mélodie du tango sont bien particulières, c’est une désolation de les laisser échapper.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Copie d'écran du message diffusé par El Tangauta
D’ici quelques jours, vous trouverez un hommage bien mérité à ce grand maître du genre sur le site de El Tangauta, l’une des revues phares du tango dansé à Buenos Aires, c’est El Tangauta qui l’annonce lui-même (attention : sur la photo, le lien est inactif. C’est du jpg). Il est probable que La Milonga Argentina, l’autre revue, fera aussi quelque chose en sa mémoire (les deux ont un lien sur Barrio de Tango, dans la rubrique Eh bien dansez maintenant !, dans la partie basse de la Colonne de droite). Ce décès intervient au début des vacances d’été. Il y aura donc peut-être un peu de retard à l’allumage dans les différents médias argentins. Mais ils se rattraperont sans doute à la rentrée, qui a lieu là-bas début mars.
Ajout du 9 janvier : lire l'article que Gabriel Plaza vient de consacrer à la disparition de Tete dans le quotidien La Nación. Gabriel Plaza est journaliste et DJ de milonga. Il travaille notamment à la Ciudad cultural Konex. C'est lui qui animait la soirée du 11ème Festival de Tango de Buenos Aires où Alorsa a donné son dernier concert (lire mon article sur cette soirée du 27 août). C'est à cette occasion que j'ai fait la connaissance de Gabriel...
(1) Tete emploie le mot amor, qu’il aimait bien, qu’il employait souvent mais qui, dans cet emploi spécifique à la culture tanguera, ne veut pas dire ce que le français dit avec le substantif amour. Ce qu’il dit là est passablement intraduisible. Je le situe pour ma part quelque part entre ce que nous disons avec l'expression aimer (passionnément) danser et avoir du plaisir (au sens jouissance quasi-physique) à danser.
D’ici quelques jours, vous trouverez un hommage bien mérité à ce grand maître du genre sur le site de El Tangauta, l’une des revues phares du tango dansé à Buenos Aires, c’est El Tangauta qui l’annonce lui-même (attention : sur la photo, le lien est inactif. C’est du jpg). Il est probable que La Milonga Argentina, l’autre revue, fera aussi quelque chose en sa mémoire (les deux ont un lien sur Barrio de Tango, dans la rubrique Eh bien dansez maintenant !, dans la partie basse de la Colonne de droite). Ce décès intervient au début des vacances d’été. Il y aura donc peut-être un peu de retard à l’allumage dans les différents médias argentins. Mais ils se rattraperont sans doute à la rentrée, qui a lieu là-bas début mars.
Vous pouvez lire le message publié par l'Association argentine des Danseurs, Maîtres et Corégraphes de Tango sur son site, disponible dans la rubrique Eh bien dansez maintenant ! de la Colonne de droite. Le rédacteur est si ému et si touché que l'article ne fait que reprendre quelques paroles du Maestro en guise d'hommage et de remerciements.
Ajout du 9 janvier : lire l'article que Gabriel Plaza vient de consacrer à la disparition de Tete dans le quotidien La Nación. Gabriel Plaza est journaliste et DJ de milonga. Il travaille notamment à la Ciudad cultural Konex. C'est lui qui animait la soirée du 11ème Festival de Tango de Buenos Aires où Alorsa a donné son dernier concert (lire mon article sur cette soirée du 27 août). C'est à cette occasion que j'ai fait la connaissance de Gabriel...
(1) Tete emploie le mot amor, qu’il aimait bien, qu’il employait souvent mais qui, dans cet emploi spécifique à la culture tanguera, ne veut pas dire ce que le français dit avec le substantif amour. Ce qu’il dit là est passablement intraduisible. Je le situe pour ma part quelque part entre ce que nous disons avec l'expression aimer (passionnément) danser et avoir du plaisir (au sens jouissance quasi-physique) à danser.
(2) compás : c’est la mesure au sens du solfège, l’unité rythmique élémentaire d’un morceau, celle qui est délimitée par les barres de mesure sur les portées. Le terme à Buenos Aires désigne plus largement le rythme, au sens métronomique du terme.