Il y a 177 ans, à la force des armes, la Grande-Bretagne prenait position dans les Malouines et en chassait les Argentins qui y vivaient, les civils et les militaires, puisque les Malouines étaient alors argentines et ce depuis la nuit des temps. On était le 3 janvier 1833, l’Argentine venait tout juste d’accéder à l’indépendance à travers une longue guerre qui avait commencé en 1810 pour ne s’achever que vers 1824 et que le pays se trouvait encore partiellement en guerre civile, notamment à Buenos Aires, déchirée entre Fédéralistes et Unitaristes.
En ce début d’année du Bicentenaire, le Ministère des Affaires étrangères argentin a renouvelé dans un communiqué officiel l’expression solennelle de la revendication territoriale de son pays sur ces îles, rappelant que jamais la République Argentine n’a accepté l’état de fait constitué par les Britanniques et qu’elle considère toujours aujourd’hui que les Malouines, les îles de Georgie du Sud et les îles Sandwich du Sud font bel et bien partie intégrante de son territoire ainsi que les eaux qui entourent ces îles.
Le Chancelier argentin a déclaré être "disposé à reprendre le processus de négociation bilatérale" pour mettre fin à ce qu’il appelle "une situation coloniale anachronique incompatible avec l’évolution du monde moderne".
Depuis que l’école a été rendue obligatoire jusqu’à 14 ans, en Argentine, en 1883, toutes les générations d’Argentins ont entendu dire et répéter en cours de géographie et en cours d’histoire que les Malouines (Malvinas) sont argentines. Vous voyez donc quel poids d’ambiguïté porte aujourd’hui la guerre des Malouines de 1982, lorsque la Junte militaire a pensé pouvoir redorer son blason et pérenniser son pouvoir en rejouant, mais en sens inverse et au mois avril (en automne), le scénario du 3 janvier 1833 (en été)... Et que l’armée argentine, constituée essentiellement d’appelés mal armés, mal habillés pour les froids intenses de cette saison et à peine, voire nullement formés, a été piteusement mise en déroute par la puissante armada britannique. Or c’est cette humiliante défaite qui a contraint, un an plus tard, la Junte à organiser des élections libres qui ont rétabli la Démocratie dans le pays.
Imaginez aussi que ce sont des capitaux anglais qui tout au long du 19ème siècle et jusqu’en 1930 au moins ont développé tout ce que le pays a vu s’installer d’industries et d’infrastructures. Anglaises les postes et télécommunications. Anglais le métro portègne et les chemins de fer de tout le pays et avant eux le tramway hippomobile puis électrique. Anglais le tout à l’égout et les premiers travaux hydrauliques pour prévenir les crues du Riachuelo au sud de la capitale et celle du Maldonado au nord. Anglaises les infrastructures des deux ports, sur le Riachuelo à la Boca et sur le Río de la Plata, dans l’actuel Puerto Madero. Anglais l’éclairage public. Anglais le polo. Anglais les hippodromes. Anglais le nom du Jockey Club, cette société d’encouragement de la race chevaline où se retrouvait dans les années 10, 20, 30 le Tout Buenos Aires dans un très bel immeuble de la rue Florida, qui existe toujours aujourd’hui mais a été transformé en grande surface de High-tech au décor hyper-criard.
Imaginez enfin que le Royaume-Uni a toujours voulu avoir un pied-à-terre sur ces lointaines terresde l’Amérique du Sud. Songez que ce sont les tentatives d’invasions anglaises en 1806 et 1807 qui ont révélé aux Argentins la nécessité de devenir les maîtres chez eux, eux qui avaient défendu ces terres du Roi d’Espagne avec quelques armes de fortune tandis que les garnisons envoyées par Madrid comptaient les points entre troupes anglaises et milices patriotiques.
Ceci dit, il serait plus qu’étonnant que les Argentins obtiennent quoi que ce soit du gouvernement britannique de 2010 et le Gouvernement argentin le sait pertinemment. La déclaration est de pure forme et elle flatte le nationalisme, en ce début d’année si symbolique pour le pays. Il y a quelques mois, la Grande Bretagne a présenté à l’ONU des revendications que les Argentins jugent exorbitantes, dans le cadre de la redéfinition des frontières territoriales nationales en Antarctique, actuellement en cours de renégociation multilatérale entre tous les pays souverains de ce continent glacé, dont la France. Ces îles sont le seul titre qui donne à la Grande-Bretagne un bout de souveraineté sur une parcelle de ces terres gelées au sous-sol sans doute intéressant à prospecter. Comptez donc qu’elle les lâchera pour les beaux yeux de Buenos Aires et buvez de l’eau fraîche, comme on dit en français (autant attendre assis, comme on dirait en espagnol, en Espagne qui réclame toujours aux Anglais la souveraineté sur Gibraltar, comme en Argentine).
Pour aller plus loin :
Lire l’article de Página/12
Lire l’article de Clarín
Lire l’article de La Prensa
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