Comme le savent déjà les lecteurs assidus de Barrio de Tango (ce blog) et comme vont le découvrir les autres, les chiffres de l’INDEC, institut de statistiques argentin, font régulièrement l’objet de toutes les contestations possibles et imaginables. On les soupçonne toujours d’être manipulés en fonction des besoins électoraux et électoralistes des gouvernements successifs. De fait, ils présentent de nombreuses approximations dont la cause objective principale est que les acteurs de la vie économique ne transmettent pas systématiquement leurs données à l’institut comme la loi leur en fait théoriquement obligation. Le respect de la loi et les acteurs économiques, ça fait largement plus que deux en Argentine... L’INDEC travaille donc avec des relevés qu’il établit par ses propres moyens (qui sont comptés) et par les données transmises par les acteurs économiques de bonne volonté (notamment les données sociales des entreprises... dans un pays où 40% de l’emploi relève du travail au noir). A ceci, s’ajoute le soupçon généralisé des Argentins sur tout ce qui est officiel, soupçon forgé au long de nombreuses décennies de fraudes en tout genre depuis la Generación del 80 (1880) pour ne pas remonter plus haut dans l’histoire (1).
Or voilà que comme par hasard, une enquête de la Direction des Statistiques et du Recensement (INDEC) de la ville de Buenos Aires, entité qui dépend du gouvernement local, que préside l’opposant ultra-libéral Mauricio Macri, contredit les taux officiels d’inflation publiés par l’INDEC national, dépendant du gouvernement fédéral (majorité péroniste).
D’après l’INDEC portègne, le panier de la ménagère (canasta), qui ne se compose que de produits alimentaires dits de première nécessité, aurait augmenté de 70% entre 2005 et novembre 2008. Sur la même période, l’augmentation relevée par l'institut national ne serait que de 23%.
D’autres INDEC provinciaux, dans les provinces de San Luis ou de Santa Fe notamment, publient eux aussi des chiffres en contradiction flagrante avec ceux de l’institution nationale. Ces différends s’accompagnent de contestation des indicateurs socio-économiques retenus par l’organisme national pour mesurer l’inflation, la pauvreté et l’indigence, trois domaines sur lesquels l’INDEC au niveau national ne cesse de publier des résultats qui témoignent d’une amélioration progressive et constante de la situation (2).
Le contenu du panier est lui aussi contesté : on pense en effet que depuis 20 ans qu’il a été établi, la réalité de la consommation alimentaire a beaucoup changé dans le pays alors que la composition du panier n’a pas bougé.
Il est bien évidemment fort difficile de faire la part entre la réalité économique objective et la manipulation intentionnelle ou involontaire des chiffres, celle-ci étant tout aussi vraisemblable d’un côté que de l’autre de l’échiquier politique étant donné la fragilité du système institutionnel. En revanche, faire soi-même ses courses à Buenos Aires, surtout quand on n’y est qu’une fois par an, est un indicateur relativement fiable. Or d’août 2007 à août 2008, à Buenos Aires même, dans un quartier de classe moyenne, j’avais personnellement constaté, de visu, une augmentation considérable des prix alimentaires. Mais entre août 2008 et août 2009, la variabilité de ces mêmes prix, relevés chez les mêmes commerçants, était presque insensible. Vous pouvez à cet égard vous reporter à mes deux articles sur les prix que j’ai personnellement relevés dans la capitale argentine, celui publié le 10 septembre 2008 et celui publié un an plus tard, le 17 octobre 2009, rassemblés dans mes Chroniques de Buenos Aires. En l’occurrence, je suis comme saint Thomas : je ne crois que ce que je vois et, avec mes chiffres, j’ai bien surpris mes amis portègnes, tous persuadés que l’augmentation de la vie avait été beaucoup plus brutale dans l’année (3).
Quant au marché immobilier à Buenos Aires, il a continué à chuter en nombre de mutations : 2009 aura été la plus mauvaise année en la matière depuis la grande crise de 2001. Dès le début de l’année, on avait observé l’influence de la crise financière internationale sur le marché immobilier de la capitale argentine : l’activité notariale mettait en évidence le très net ralentissement des affaires dans ce domaine (lire mon article du 8 mai 2009 sur le sujet). Or d’après une étude menée par un cabinet privé spécialisé, le nombre de mutations en 2009 a été de 21,8% inférieur à celui qu’il avait été en 2008. En décembre cependant, la courbe semble avoir amorcé une légère remontée. La baisse est encore plus forte dans la Province de Buenos Aires (- 24,91% sur l’ensemble de l’année par rapport à l’année 2008). Or le tiers de la population du pays habite à Buenos Aires et dans le Province du même nom. Un quart de la population du pays vit dans le Gran Buenos Aires (Buenos Aires et un rayon d’environ 70 km au nord, à l’ouest et au sud).
Pour aller plus loin :
Lire l’article de Clarín daté d’avant-hier (24 janvier 2010) sur l’inflation mesurée sur le panier de la ménagère.
Lire l’article de La Nación d’hier sur l’état du marché immobilier.
Dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, vous pouvez accéder à d’autres articles selon les thèmes qui vous intéressent. Les mots-clés GCBA fait référence au Gobierno de la Ciudad de Buenos Aires (c’est en fait son sigle officiel), gob argentin au Gouvernement fédéral. Vous trouverez les autres thèmes répertoriés dans le bloc Pour chercher dans la Colonne de droite, dans les rubriques de la partie supérieure, qui présentent aussi d’autres thématiques abordées par ce blog.
(1) Sur les grands repères chronologiques de l’histoire argentine, reportez-vous à mon article dont vous trouverez le raccourci dans la partie médiane de la Colonne de droite, rubrique Petites chronologies. Sur le soupçon généralisé, vous pouvez lire aussi mon article d’avant-hier au sujet de l’interview qu’a donnée l’animateur radio Alejandro Dolina à Página/12, c’est très instructif sur l’état de la question aujourd’hui dans le pays.
(2) Les Argentins, eux, ont l’impression visuelle que c’est tout le contraire : plus de pauvreté, plus de mendiants, plus de sans abris. Et il n’y a pas que les Argentins : l’étrangère un peu observatrice que je suis a été suffoquée en août dernier (2009) du nombre de mendiants et de vendeurs à la sauvette de gadgets, de bonbons et de petits gâteaux, croisés dans le métro à tout bout de champ et à toute heure de la journée. Des adultes mais aussi beaucoup, beaucoup d’enfants vraiment très jeunes (6-7 ans) et qui auraient dû se trouver à l’école (l’école est obligatoire jusqu’à 14 ans et l’Etat dispose d’un réseau d’écoles gratuites et laïques pour que l’enseignement soit accessible à tous. Lire à ce propos mes articles sur l’école en Argentine).
(3) "ah bon ? alors toi, tu donnes raison à l’Indec !"