mardi 18 décembre 2012

Un Disparo en la noche : CD-documentaire sur le tango d'aujourd'hui [Disques & Livres]


Un coup de feu dans la nuit, tel est le titre, traduit en français, de ce nouveau CD, avec documentaire filmé, que le pianiste et compositeur Julián Peralta, fondateur et directeur musical du groupe Astillero Tango, a présenté les 24 et 25 novembre 2012 (1) à Buenos Aires : un ensemble de douze morceaux nouveaux, écrits par des poètes et paroliers (letristas) de la jeune génération, pour faire mentir les rumeurs selon lesquelles le tango-canción n'existerait plus dans l'actuelle relève artistique du genre...

L'enregistrement de ce disque a été filmé puis monté par le réalisateur Alejandro Diez, sous forme d'un documentaire qui veut rendre compte de ce complexe travail d'interprétation et des chanteurs contemporains qui peinent encore à se faire connaître (sauf Omar Mollo, un transfuge du rock très chevelu et très en vue sur la scène argentine actuelle). Les cinq heures et demi de travail en studio ont été résumées dans un long-métrage de 70 minutes.

Dans ce disque, une équipe de chanteurs qui appartiennent tous à la même mouvance revendicative de l'authenticité socio-culturelle du genre : Aureliano Marín, Juan Subirá, Cucuza Castiello, Alejandro Guyot, le murguero Ariel Prat, Juan Pablo Villarreal, Black Rodríguez Méndez...

Quelques extraits de l'interview donnée par Julián Peralta, à Página/12 et publiée ce matin :

La idea surgió de una nota periodística en la que alguien dijo que no había más autores de tango. Eso es cualquiera... acá tenemos, de entrada, doce autores, doce músicos y doce cantores, y es la punta del iceberg, porque hay muchos más” [...] “Se trata de mostrar todo lo nuevo que está pasando con las canciones del género, porque en la cosa instrumental hay muchos grupos que lo están sosteniendo bien, pero la canción tiene una dificultad mayor. Llegado el momento en que hay un material importante de canciones de un tango muy under, de tugurio y de barrio, se me ocurrió que era importante darle visibilidad.
Julián Peralta, interviewé par Cristián Vitale

L'idée a surgi d'un article de journaliste dans lequel quelqu'un disait qu'il n'y avait plus d'auteurs de tango. C'est n'importe quoi, ça... Là, nous avons, d'entrée, douze auteurs, douze musiciens et douze chanteurs, et c'est la pointe de l'iceberg, parce qu'il y en a beaucoup plus [...] Il s'agit de montrer toute la nouveauté qu'il y a dans les chansons du genre, parce que pour ce qui est de la chose instrumentale, il y a beaucoup de groupes qui le soutiennent bien en ce moment, mais la chanson présente une difficulté plus grande. C'est l'époque où il y a beaucoup de matière dans la chanson, dans un tango très underground, de taudis et de quartier. Il m'est apparu important de lui donner de la visibilité.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Le disque s'ouvre sur un récit désormais classique de notre ami Alorsa, fondateur du groupe dissous La Guardia Hereje, dont le monde du tango nuevo ne se remet pas du décès soudain en août 2009 (voir mon article à ce sujet) : Vuelve el Tango (le retour du Tango), une très belle parabole à la fois poétique et pleine d'humour sur la renaissance du tango à partir du retour de la démocratie dans les années 1990, que j'ai moi-même traduite et présentée dans Deux cents ans après, le Bicentenaire de l'Argentine à travers le patrimoine culturel du tango, paru en janvier 2011 chez Tarabuste Editions (2). Le texte est simplement dit par un récitant, Martín Otaño, sans partition aucune... Peralta s'en explique dans son interview :

La verdad es que no puedo arreglar nada de Alorsa y pretender que quede bien. Su obra es maravillosa, pero relajada, y yo escribo cosas más obsesivas, trabadas. La conclusión fue: tiene que ir el recitado pelado, porque si le pongo algo arruino al Gordo, le rompo el humor.
Julián Peralta, interviewé par Cristián Vitale

A vrai dire, je ne peux faire aucun arrangement de Alorsa et dire ensuite que ça sonne bien. Son œuvre est merveilleuse, mais relax, et moi j'écris des choses très obsessionnelles, complexes. J'en ai conclu qu'il fallait que le récitatif y aille franco, à poil, parce que si j'y mets de la musique, je massacre le Gordo (3), je lui casse son humour.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pour aller plus loin :
lire l'article de Tinta Roja, une nouvelle revue du tango nuevo (qui ne s'intéresse pas à l'expression dansée du tango).
Le site Internet de Tinta Roja intègre aujourd'hui la rubrique des Institutions, en espérant qu'elle tiendra bien le coup économique... Elle n'a pas sa place dans la rubrique Eh bien, dansez maintenant !, où vous trouverez les revues spécialisées El Tangauta ou La Milonga Argentina à côté des revues francophones.


(1) Le 24 novembre est l'anniversaire de naissance de Alorsa.
(2) Cette anthologie bilingue de cent neuf textes, de dix auteurs, sur 140 pages, constitue le numéro spécial 2010 de la revue Triages.
(3) El Gordo (le gros), c'était un surnom de Alorsa (ce qui était déjà en soi un surnom et un nom de scène, sa famille continue à ne parler que de Jorge et nous avons pris l'habitude d'utiliser ce prénom de baptême pour parler de lui avec ses parents). Rien à voir avec le fait qu'il était enveloppé, comme aurait dit Obélix. Il aurait été maigre comme un clou que ça aurait bien pu ne rien changer. El Gordo, c'est un terme d'affection. C'est aussi l'un des surnoms que l'on donna de son vivant à Aníbal Troilo...