mercredi 12 novembre 2014

Grand nettoyage de printemps dans l'économie argentine [Actu]

Une du 12 novembre 2014
Voilà quatre jours et un peu plus que Página/12 fait sa une sur la fraude économique, qu'elle soit comptable, fiscale ou monétaire, et les actions de justice qui sont déclenchées tous azimuts à Buenos Aires et dans diverses Provinces.

Une du 11 novembre avec un jeu de mot :
Interdiction de faire des virements


Après deux articles de fond sur le marché du dollar parallèle, lié au contrôle du change et à l'interdiction d'utiliser le dollar dans les transactions domestiques établie il y a environ deux ans dans un pays dont la devise nationale a une longue histoire d'instabilité (1), voici que le journal de la gauche qui dérange encore et toujours publie une rafale d'articles sur le filet qui se resserre sur différents acteurs économiques qui maltraitent les finances de l'Etat, et non des moindres. Il y a quelques jours, c'est Procter and Gamble qui était interdit d'opérer sur le sol argentin (avec ses dirigeants interdits de sortie du territoire), et l'opération mains propres semble continuer.

La vignette de Daniel Paz et Rudy hier
Le jeune : Le gouvernement dit qu'il y a des gens qui font pression sur l'économie.
L'oligarque obtus : L'économie, c'est pas mon truc. Moi, j'achète des dollars.
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Página/12 y voit un tournant de la politique gouvernementale, dont le signal aurait été le changement de direction, il y a quelques mois, à la tête de la Banque Centrale de la République Argentine.

La vignette d'aujourd'hui
Le businessman (gauche) :
On a perquisitionné des banques, des sociétés d'investissement, des bureaux de change au noir, pour soi-disant blanchiment d'argent.
Celui de droite :
Mais c'est une dictature, ils veulent en finir avec la liberté d'expression !
Celui de gauche :
Pourquoi vous dites ça ?
Celui de droite :
Faire du blanchiment, c'est ma manière de m'exprimer à moi !
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Quoi qu'il en soit, les descentes d'inspection s'enchaînent les unes aux autres et les tricheurs sont dans le collimateur de l'Administration. Dans plusieurs cas, les entreprises ont été mises sous séquestre ou interdites d'opérer tout ou partie de leurs activités : ici, ce sont des intermédiaires en import-export qui trafiquaient des devises étrangères à l'aide de surfacturation ou de facturation de services inexistants, là des guichets de change clandestin (2) qui sont opérés de fait, d'après l'enquête de Página/12, par de grosses sociétés ayant pignon sur rue. On pouvait d'ailleurs se douter que ces officines ne sont pas le fait de petits délinquants individuels qui s'en mettent un peu à gauche pour améliorer l'ordinaire. Vu leur étendue (3), ces opérations ne pourraient pas exister sans l'intervention en coulisse d'infrastructures bancaires patentées, qui sont au mieux complices du trafic, au pire à la tête de ces opérations très lucratives (il faut voir la différence de taux entre les cours officiel et parallèle !). Et le nettoyage n'est pas uniquement l'œuvre des instances fédérales. Dans la Province de Buenos Aires aussi, 2500 gros contribuables font actuellement l'objet de contrôles fiscaux. Ils sont soupçonnés de blanchiment de fraude fiscale et de trafic de devises étrangères à travers l'achat de voitures de luxe. Un grand classique de la triche en Argentine, où l'ostentation est souvent de mise.

Une du 10 novembre
(le filigrane noir)

Dans un pays où la fraude fiscale est un véritable sport national et va bien au-delà de celle que l'on en connaît en Europe, ce grand nettoyage de printemps est peut-être une bonne nouvelle, s'il s'agit bien de rétablir la justice, d'assurer un financement légal et solide de l'Etat, avec à la clé des progrès de redistribution et d'infrastructure. En revanche, s'il s'agit de faire le ménage avant les élections de 2015 en réglant des comptes avec l'opposition et ses soutiens financiers, ce serait une autre affaire. Mais si c'était le cas, il y a fort à parier que Clarín, La Nación et La Prensa ne se priveraient pas de hurler au scandale or leur silence sur ces questions est assourdissant.

Une du 9 novembre

Pour aller plus loin :
lire l'article de fond du 9 novembre 2014 sur le change en dollars US
lire l'article de fond du 10 novembre 2014 sur la même question (il s'agissait d'une analyse en deux temps)
lire l'article du 11 novembre 2014 sur le cours parallèle du dollar US
lire l'article du 11 novembre 2014 sur les sociétés qui ne peuvent plus opérer de virements internationaux
lire l'article du 11 novembre 2014 sur les bureaux de change suspendus
lire l'article du 11 novembre 2014 sur le contrôle fiscal des propriétaires de grosses voitures dans la Province de Buenos Aires
lire l'article du 12 novembre 2014 sur les 70 opérations de perquisition effectuées dans des entreprises de toute sorte, dont des coopératives, sur soupçon d'opérations de change frauduleux
lire l'article du 3 novembre 2014 sur le système d'évasion fiscale repérée chez Procter & Gamble Argentine.

Une du 3 novembre, après la révélation du scandale Procter & Gamble
(le jeu de mot compare les marques du groupe international à des cartes truquées)



(1) En Argentine, dans l'immobilier, par exemple, on ne parle qu'en dollars, jamais en pesos. Il en va de même pour l'achat d'une voiture ou d'un billet d'avion pour un vol long courrier. Au point que les Argentins ne disposent pas tous dans leur tête d'une échelle de valeur en pesos pour ces opérations. Il est aussi courant d'acheter des dollars pour faire un cadeau comme chez nous, on ouvre un livret de caisse d'épargne pour une naissance ou les dix ans d'un enfant à qui on veut constituer une cagnotte pour accompagner ses premiers pas dans l'âge adulte quelques années plus tard.
(2) Ces guichets sont baptisés cuevas. Le terme désigne les grottes, les caves, les souterrains, où est censé s'opérer ce change, qui se fait beaucoup plus au grand jour que cela, notamment dans la rue Florida !
(3) J'ai étonné beaucoup de gens à Buenos Aires cette année en avouant que je payais tout en retirant de l'argent dans des distributeurs automatiques, comme n'importe quel habitant du pays, donc au taux officiel de change (tel qu'il est pratiqué à l'échelle mondiale par le système monétique bancaire) et en réglant mes gros achats par carte bancaire, toujours au taux officiel. Ils étaient persuadés que j'étais arrivée avec des tas de billets en Euro que j'échangeais dans ces guichets clandestins, qui n'ont de clandestins que le nom. Cela a beaucoup épaté mes interlocuteurs quand j'ai dit que je ne mangeais pas de ce pain-là et que je ne venais pas en Argentine pour concourir à la dévalorisation de la monnaie nationale. Je ne vois pas comment je pourrais m'offusquer dans mon propre pays des mœurs douteuses des détenteurs de comptes cachés en Suisse ou aux Bahamas et me livrer à petite échelle au même genre de trafic, surtout dans un pays qui n'est pas le mien et au fonctionnement duquel je ne peux contribuer qu'en payant honnêtement les taxes légales en vigueur. Si je ne veux pas qu'on le fasse chez moi, je ne le fais pas non plus chez les autres, c'est logique, non ? Mais pour un Argentin, même instruit, même de gauche anti-capitaliste et tout et tout, cela n'est pas si évident...