Affiche pour le rassemblement de Memoria Activa la veille de l'anniversaire (Le jour même, ce sont les manifestations de la AMIA et la DAIA, les organisations officielles qui occupent le terrain) |
En
février dernier, après le décès sanglant du titulaire du dossier
de l'attentat contre la AMIA, le procureur (fiscal) Alberto Nisman,
retrouvé mort le 18 janvier dans sa salle de bain dans des
circonstances dont la nature n'a toujours pas été déterminée par
la Justice, une équipe de trois procureurs et un
juriste-coordinateur a pris sa suite et doit reprendre l'instruction
contre X pour homicides (85 morts et 300 blessées le 18 juillet
1994). En Argentine, tant que l'auteur des faits n'a pas été
identifié, c'est en effet un procureur qui mène l'enquête
judiciaire, sous le contrôle d'un juge d'instruction qui ne la prend
en charge qu'après l'inculpation d'un potentiel auteur des faits.
Le
coordinateur de cette équipe vient de publier un rapport de 500
pages sur l'état du dossier dont ces quatre professionnels du droit
ont hérité à la mort de Nisman, dont l'enquête sur le décès a
déjà démontré qu'il détournait, à des fins d'enrichissement
personnel, une bonne partie du budget de son cabinet d'instruction,
qu'il gérait seul et par procuration un compte bancaire non déclaré,
domicilié aux Etats-Unis et ouvert au nom de sa mère, de sa sœur
et d'un des salariés de son cabinet, qu'il se servait de l'argent
déposé sur ce compte pour se constituer un patrimoine foncier des
plus coquets, que ses proches (son ex-femme, sa mère ainsi peut-être
que sa sœur) se révèlent d'une cupidité sans scrupule et sans
fond et qu'enfin sa vie privée de jouisseur invétéré et peu
discret était en parfaite inadéquation avec les principes de la
religion juive dont il se revendiquait pour récolter des fonds
supposés aller aux victimes ou à l'enquête judiciaire auprès de
la communauté confessionnelle à laquelle il appartenait (il est
d'ailleurs enterré dans le carré des victimes de l'attentat dans le
cimetière juif de Buenos Aires, à Las Tabladas, ce à quoi un
suicide, pourtant vraisemblable, ne lui aurait jamais permis
d'accéder, le suicide étant un empêchement grave à un enterrement
cacher).
De
ce rapport, il ressort que depuis sa nomination à la tête de
l'enquête sur le plus gros attentat jamais commis sur le sol
argentin, contre des Argentins et non pas contre la communauté
juive, comme le répètent si justement la Présidente Cristina
Kirchner et son Premier ministre Aníbal Fernández, le procureur
Nisman n'a presque conduit aucun acte d'instruction, se contentant
d'accumuler des informations provenant de services secrets, SIDE
argentin, Mossad israélien, CIA nord-américaine, dans un seul sens,
celui qui convenait en 2003 aux gouvernements des Etats-Unis
d'Amérique et d'Israël, dans le contexte nés des attentats du 11
septembre, de la guerre contre l'Irak et du blocus contre l'Iran,
situation modifiée par l'arrivée à la Maison Blanche de Barack
Obama.
Il
ressort également que Nisman s'est bien gardé d'explorer les pistes
pouvant conduire à des suspects argentins, qu'il a collecté peu de
preuves recevables judiciairement, qu'il n'a ordonné qu'un tout
petit nombre d'expertises et qu'il a laissé sans suite les plaintes
déposées par l'association de victimes Memoria Activa pour entrave
à la justice dans le début de l'enquête (avant sa nomination en
2003). Or Memoria Activa est une association qui milite dans un sens
opposé à l'AMIA elle-même, instance officielle de la communauté
juive qui confond sa raison d'être (représenter la communauté dans
ses spécificités cultuelles) avec le soutien aux néolibéraux
pro-Etats-Unis et à la droite israélienne. Et Memoria Activa
réclame depuis de nombreuses années un procès contre les
magistrats et les responsables politiques qui ont détourné la
première phase de l'enquête sous la présidence de Carlos Menem
dans les années 90 vers de fausses pistes, celles de membres
subalternes de la police locale de la Province de Buenos Aires
accusés à tort d'un attentat qui leur était absolument étranger,
mais on ne prête qu'aux riches et il se trouve que cette police
traîne derrière elle une très mauvaise réputation, non sans
raison, vu ses déplorables états de service jusqu'après la fin de
la Dictature militaire.
Ce
procès pour entrave à la justice (encubrimiento) s'ouvrira enfin le
6 août prochain. Le cabinet désormais collégial de la UFI-AMIA
(Unidad de Fiscalía – AMIA) s'y est engagé et a promis de suivre
désormais méthodiquement, comme l'exige la déontologie du métier,
chacune des pistes vraisemblables (même si 21 ans après, il sera
probablement très difficile de rassembler des preuves) et de fermer
une à une celles qui ne correspondent à rien.
Hier,
Página/12 publiait deux articles sur le sujet.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12 sur le document critique émis par la
UFI-AMIA sur le travail bâclé par Nisman
lire
l'article de Página/12 sur l'interventionnisme de la magistrature
dans la vie politique partisane du pays (en contradiction avec le
principe de séparation des pouvoirs) (1)
lire
la dépêche de Télam sur la même analyse, en provenance d'un
magistrat démocrate
consulter
la page de la UFI-AMIA sur le site du Parquet général de la
République Argentine
consulter
le site Internet de Memoria Activa et ses documents concernant
l'entrave à la justice dans les années 90.
Je
n'ai rien trouvé sur les sites des autres quotidiens, pour ne pas
changer.
(1)
Le monde judiciaire est aujourd'hui l'un des bastions
anti-démocratiques qui reste en Argentine. Depuis qu'elle est
présidente, en 2007, Cristina de Kirchner n'a pas cessé de
travailler à démocratiser ce corps qui résiste de toutes ses
forces et auquel l'affaire Nisman a sans doute offert une dernière
opportunité de s'opposer à sa transformation en pouvoir
constitutionnel normal dans une démocratie normale.