lundi 13 juillet 2015

Nisman se faisait un film en se la coulant douce [Actu]

Affiche pour le rassemblement de Memoria Activa la veille de l'anniversaire
(Le jour même, ce sont les manifestations de la AMIA et la DAIA, les organisations officielles qui occupent le terrain)

En février dernier, après le décès sanglant du titulaire du dossier de l'attentat contre la AMIA, le procureur (fiscal) Alberto Nisman, retrouvé mort le 18 janvier dans sa salle de bain dans des circonstances dont la nature n'a toujours pas été déterminée par la Justice, une équipe de trois procureurs et un juriste-coordinateur a pris sa suite et doit reprendre l'instruction contre X pour homicides (85 morts et 300 blessées le 18 juillet 1994). En Argentine, tant que l'auteur des faits n'a pas été identifié, c'est en effet un procureur qui mène l'enquête judiciaire, sous le contrôle d'un juge d'instruction qui ne la prend en charge qu'après l'inculpation d'un potentiel auteur des faits.

Le coordinateur de cette équipe vient de publier un rapport de 500 pages sur l'état du dossier dont ces quatre professionnels du droit ont hérité à la mort de Nisman, dont l'enquête sur le décès a déjà démontré qu'il détournait, à des fins d'enrichissement personnel, une bonne partie du budget de son cabinet d'instruction, qu'il gérait seul et par procuration un compte bancaire non déclaré, domicilié aux Etats-Unis et ouvert au nom de sa mère, de sa sœur et d'un des salariés de son cabinet, qu'il se servait de l'argent déposé sur ce compte pour se constituer un patrimoine foncier des plus coquets, que ses proches (son ex-femme, sa mère ainsi peut-être que sa sœur) se révèlent d'une cupidité sans scrupule et sans fond et qu'enfin sa vie privée de jouisseur invétéré et peu discret était en parfaite inadéquation avec les principes de la religion juive dont il se revendiquait pour récolter des fonds supposés aller aux victimes ou à l'enquête judiciaire auprès de la communauté confessionnelle à laquelle il appartenait (il est d'ailleurs enterré dans le carré des victimes de l'attentat dans le cimetière juif de Buenos Aires, à Las Tabladas, ce à quoi un suicide, pourtant vraisemblable, ne lui aurait jamais permis d'accéder, le suicide étant un empêchement grave à un enterrement cacher).

De ce rapport, il ressort que depuis sa nomination à la tête de l'enquête sur le plus gros attentat jamais commis sur le sol argentin, contre des Argentins et non pas contre la communauté juive, comme le répètent si justement la Présidente Cristina Kirchner et son Premier ministre Aníbal Fernández, le procureur Nisman n'a presque conduit aucun acte d'instruction, se contentant d'accumuler des informations provenant de services secrets, SIDE argentin, Mossad israélien, CIA nord-américaine, dans un seul sens, celui qui convenait en 2003 aux gouvernements des Etats-Unis d'Amérique et d'Israël, dans le contexte nés des attentats du 11 septembre, de la guerre contre l'Irak et du blocus contre l'Iran, situation modifiée par l'arrivée à la Maison Blanche de Barack Obama.
Il ressort également que Nisman s'est bien gardé d'explorer les pistes pouvant conduire à des suspects argentins, qu'il a collecté peu de preuves recevables judiciairement, qu'il n'a ordonné qu'un tout petit nombre d'expertises et qu'il a laissé sans suite les plaintes déposées par l'association de victimes Memoria Activa pour entrave à la justice dans le début de l'enquête (avant sa nomination en 2003). Or Memoria Activa est une association qui milite dans un sens opposé à l'AMIA elle-même, instance officielle de la communauté juive qui confond sa raison d'être (représenter la communauté dans ses spécificités cultuelles) avec le soutien aux néolibéraux pro-Etats-Unis et à la droite israélienne. Et Memoria Activa réclame depuis de nombreuses années un procès contre les magistrats et les responsables politiques qui ont détourné la première phase de l'enquête sous la présidence de Carlos Menem dans les années 90 vers de fausses pistes, celles de membres subalternes de la police locale de la Province de Buenos Aires accusés à tort d'un attentat qui leur était absolument étranger, mais on ne prête qu'aux riches et il se trouve que cette police traîne derrière elle une très mauvaise réputation, non sans raison, vu ses déplorables états de service jusqu'après la fin de la Dictature militaire.

Ce procès pour entrave à la justice (encubrimiento) s'ouvrira enfin le 6 août prochain. Le cabinet désormais collégial de la UFI-AMIA (Unidad de Fiscalía – AMIA) s'y est engagé et a promis de suivre désormais méthodiquement, comme l'exige la déontologie du métier, chacune des pistes vraisemblables (même si 21 ans après, il sera probablement très difficile de rassembler des preuves) et de fermer une à une celles qui ne correspondent à rien.

Hier, Página/12 publiait deux articles sur le sujet.

Schéma du système d'entrave à la justice et de protection des auteurs de l'attentat
extrait du site Internet de Memoria Activa
avec annonce de l'ouverture du procès le 6 août
Cliquez sur l'image pour lire son contenu 

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur le document critique émis par la UFI-AMIA sur le travail bâclé par Nisman
lire l'article de Página/12 sur l'interventionnisme de la magistrature dans la vie politique partisane du pays (en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs) (1)
lire la dépêche de Télam sur la même analyse, en provenance d'un magistrat démocrate
consulter la page de la UFI-AMIA sur le site du Parquet général de la République Argentine
consulter le site Internet de Memoria Activa et ses documents concernant l'entrave à la justice dans les années 90.
Je n'ai rien trouvé sur les sites des autres quotidiens, pour ne pas changer.


(1) Le monde judiciaire est aujourd'hui l'un des bastions anti-démocratiques qui reste en Argentine. Depuis qu'elle est présidente, en 2007, Cristina de Kirchner n'a pas cessé de travailler à démocratiser ce corps qui résiste de toutes ses forces et auquel l'affaire Nisman a sans doute offert une dernière opportunité de s'opposer à sa transformation en pouvoir constitutionnel normal dans une démocratie normale.