En gros titre : "Je demande pardon pour les offenses de l'Eglise et les crimes de la conquête" En manchette, en haut, le discours d'hier de Cristina à Tucumán |
Hier
soir, à Santa Cruz de la Sierra, devant le second rassemblement des mouvements populaires
boliviens, le Pape François a prononcé un discours d'une force
particulière.
Il
y a à nouveau condamné le modèle économique dominant néolibéral,
qu'il a comparé à une nouvelle colonisation, et il a demandé
pardon pour les crimes dont l'Eglise s'est rendu complice contre les
populations américaines autochtones pendant la Conquête espagnole.
Il a parlé de dictature des puissances d'argent (sociétés
anonymes, bourses et traités de libre commerce), appelé à une
révolution salvatrice de nos modes de vie et de la gouvernance
planétaire et souhaité vivement la construction d'une Patria
Grande, le grand rêve des pères de l'indépendance, Miranda,
Bolívar et San Martín, chacun à sa façon (1).
Un
tel discours, prononcé en Bolivie, l'un des pays les plus affectés
par les horreurs de la colonisation, avec le servage des Indiens (2)
et l'esclavage des Africains, condamnés à travailler jusqu'à leur
mort précoce dans les mines d'argent en altitude, et aujourd'hui le
plus pauvre d'Amérique latine, ne pouvait que plaire à Página/12,
ce journal de gauche, favorable à la reconnaissance des cultures
autochtones et hostile au modèle néolibéral qui ruinent depuis les
années Reagan les pays d'Amérique du Sud et les asservit aux
puissances financières des pays industrialisés, qui les regardent
avec mépris ou condescendance (avec pour sources d'information des
journaux comme Clarín ou La Nación, c'est-à-dire la presse
sud-américaine acquise à cette nouvelle idéologie économique du
libéralisme dérégulé).
En haut : Cristina à la porte de la Casa Histórica de Tucumán hier En dessous : le Pape en Bolivie hier à gauche et l'homélie polémique de l'archevêque de Tucumán |
Clarín
ne touchait pas un mot ce matin de ce discours-brûlot. Il a fallu
attendre cet après-midi (heure de Paris) pour voir apparaître une
mention sous la plume de Sergio Rubín, un article bien caché entre les
interstices des pages du site Internet du journal.
La
Prensa a omis de mettre en ligne l'article qu'elle propose dans son
édition papier, comme en témoigne sa une du jour.
En
Uruguay, pas un mot dans la presse, sauf dans La República qui
minimise l'affaire, se contente de relayer des dépêches d'agence
qui en parlent dans les mêmes termes, un peu plus anodins, si j'ose dire, que des déclarations
précédentes sur les hommes traités comme des déchets lors
des audiences générales du mercredi, place Saint-Pierre.
En
revanche, dans Clarín, La Prensa et tous les journaux uruguayens, on
trouve facilement en revanche des entrefilets scandalisés (3) et très illustrés sur le cadeau que le
président bolivien a cru bon de faire au Pape et qui a arraché à
celui-ci une moue de désapprobation, aussitôt réprimée : un
crucifix monté sur une faucille et un marteau léninistes sous
prétexte qu'il en aurait vu une de la même facture chez un jésuite
assassiné à La Paz au cours des années de plomb.
Ceci
dit, ces paroles n'ont guère été répercutées par la presse en
Europe, toute obnubilée qu'elle est par la crise grecque et le
tête-à-queue politique que vient de nous faire Alexis Tsipras après
son référendum tonitruant.
Tout en haut à droite, l'article de Elisabetta Picqué avec un titre qui ne mâche pas se mots Juste en dessous, le succès de Caminos y Sabores à La Rural (voir mon article d'hier) En haut à gauche, la dette des entreprises nationales Le plus drôle : comparer YPF hier et aujourd'hui en disant qu'avant Cristina, c'était les entreprises privées qui étaient endettées alors qu'aujourd'hui, ce sont les sociétés nationalisées. Quelle blague ! Ce sont celles qui ont été récupérés par l'Etat. Cela n'a donc rien de surprenant. |
Attendons
demain pour voir comment cette presse rendra compte de la visite,
terrible, que le Souverain Pontife a effectuée ce matin (heure de La
Paz) dans l'enfer d'un pénitencier (un centre de "non-réhabilitation")
de Palmasola, où le Pape s'est engagé dans une méditation spirituelle de très haute tenue (que sans doute seuls les journalistes croyants sauront commenter)
tandis que l'archevêque de Santa Cruz de la Sierra, son hôte, et trois détenus ont dénoncé, sans aucune langue de bois, la maltraitance
dans l'univers carcéral bolivien, la corruption inouïe du système
judiciaire local (qui englobe les avocats escroquant leurs propres
clients et leurs familles) et l'abandon à eux-mêmes des détenus,
sans jugement, sans programme de réinsertion et quel que soit leur
état de santé (jusqu'aux malades en phase finale qui restent
derrière les barreaux au lieu d'être hospitalisés).
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12 sur la papamania qui surprend jusqu'aux journalistes de
Radio Vatican (et il faut avouer que c'est spectaculaire depuis le premier jour en Equateur)
lire
l'article de Clarín (Sergio Rubín ne se mouille pas dans le
commentaire)
lire
l'article de La Nación sur les déclarations sur les réalités
économiques, par Elisabetta Picqué, égale à elle-même (un
article honnête)
lire
l'article de La Nación sur l'acte de repentance de l'Eglise par
rapport à la conquête espagnole (un article constitué de dépêches
d'agence publié hier soir, avant réception de l'article de la
correspondante à Rome, qui fait sans doute partie des journalistes
accrédités pour voyager à bord de l'avion pontifical).
En
français, on peut lire un résumé du discours du Pape par les
équipes de Radio Vatican (il sera sans doute disponible dans son
intégralité dans notre langue d'ici peu sur le site du Vatican).
On
peut aussi lire et entendre l'intégralité de ce discours en espagnol sur le site News Va (ainsi qu'en italien sur l'édition
d'aujourd'hui de L'Osservatore Romano, en pages 4 et 5, sous le titre
Diritti Sacri, Droits sacrés) ainsi que visionner l'ensemble de la
rencontre en vidéo sur le canal Youtube du Vatican.
(1)
Francisco Miranda (1750-1816), qu'on appelle le Précurseur, car il
ne vit pas advenir l'indépendance qu'il préparait depuis la
Révolution Française à Londres, pensait à un seul pays qui aurait
rassemblé l'ensemble de l'Amérique du Sud et une bonne partie de
l'Amérique Centrale, sous le nom de Colombie. Simón Bolívar
(1783-1830) qui voulait lui aussi rassembler au moins le Venezuela,
la Colombie actuelle, le Pérou, l'Equateur actuel et la Bolivie,
mais sans demander leur avis aux populations concernées, emporté
qu'il était par l'exemple napoléonien de l'Empire Français qui
avait, pendant 10 ans, réunit la France actuelle, la Suisse romande,
une bonne partie de la Belgique, le sud de l'actuelle Allemagne et le
nord de l'actuelle Italie, en un pays de 130 départements. José de
San Martín (1778-1850) souhaitait quant à lui une libre fédération,
à la mode helvétique en quelque sorte, entre l'Argentine (avec le
futur Uruguay), le Chili, le Paraguay, la Bolivie (qui appartenait
encore, au moins de nom, aux Provinces Unies du Sud ou du Río de la
Plata) et le Pérou (avec l'actuel Equateur, dont il voulait
toutefois qu'il se prononce librement sur son maintien dans la
République du Pérou qu'il venait de fonder). La Patria Grande est
un thème politique qui occupe de plus en plus d'esprits et d'énergie
dans la gauche sud-américaine depuis une douzaine d'années, depuis
que Néstor Kirchner, tout juste élu président argentin, a mis en
échec l'ALENA, le traité commercial suscité par les Etats-Unis qui
auraient ainsi contrôlé tout le monde à nouveau, et fait surgir
l'UNASUR et le MERCOSUR entre plusieurs Etats du sud du
sous-continent (en en excluant le Mexique, trop inféodé à l'Oncle
Sam, et les Etats d'Amérique centrale). Au CCC Floreal Gorini, par
exemple, depuis deux ans, on a retiré les drapeaux argentins des
salles de conférence. Il ont été remplacés par l'arc-en-ciel du
drapeau d'une Patria Grande toujours virtuelle. Avec l'Argentine, le
Brésil et le Venezuela (en tout cas jusqu'à la mort de Chávez), la
Bolivie de Morales est l'un des piliers des deux alliances
existantes.
(2)
Les missions jésuites, qui couvraient une partie du territoire
bolivien actuel, avaient précisément pour but de protéger les
Indiens sédentaires de ce triste sort, de les laisser vivre
librement sur les terres concédées à la Compagnie de Jésus par le
roi d'Espagne au tout début du XVIIe
siècle, afin qu'ils puissent découvrir l'Evangile sans contrainte
et de leur plein gré, loin des violences que l'Eglise était
incapable de juguler sans ce système des réductions sanctuarisées.
(3)
Il y a de quoi, encore qu'il ne s'agisse que d'une provocation sans
autre conséquence que de faire du bruit médiatique d'un dirigeant
qui nous a habitués depuis longtemps à ces attitudes, un degré en
dessous de feu Hugo Chávez.