Le
dimanche 5 juillet 2015 (1), le comité du Patrimoine de l'UNESCO,
réuni à Bonn, en Allemagne, a voté pour l'inscription au
patrimoine matériel de l'Humanité d'un site industriel abandonné
sur les rives du fleuve Uruguay, du côté oriental : des
vieilles installations de salaisons de viande de bœuf destinées à
l'exportation vers l'Europe. Le site existe depuis 1865. Il
produisait alors des conserves, du jus de viande (type Viandox) et du
corned-beef, ainsi que de la viande salée, une vieille tradition
rioplatense pour conserver la viande qui ,à l'époque coloniale,
était distribuée sur tout le sous-continent et envoyée aussi en Espagne (2).
A partir des années 1860, avec la découverte de la pasteurisation, le Río de la Plata put développer l'exploitation de la viande sous d'autres formes et compenser ainsi la décroissance des besoins en cuir du Vieux Continent où les déplacements à cheval étaient peu à peu remplacés par la traction à moteur (notamment avec les réseaux ferrés sur terre, tandis que la navigation à vapeur signait le déclin de la marine à voile).
Un peu plus tard, apparut la congélation industrielle à bord de navires frigorifiques qui partaient cap à l'est pour l'Europe avec des tonnes de carcasses qui n'arrivaient pas toujours à bon port (il arrivait souvent que les frigos tombent en panne en haute mer et il fallait alors jeter par dessus bord la viande avariée par la rupture de la chaîne du froid).
A partir des années 1860, avec la découverte de la pasteurisation, le Río de la Plata put développer l'exploitation de la viande sous d'autres formes et compenser ainsi la décroissance des besoins en cuir du Vieux Continent où les déplacements à cheval étaient peu à peu remplacés par la traction à moteur (notamment avec les réseaux ferrés sur terre, tandis que la navigation à vapeur signait le déclin de la marine à voile).
Un peu plus tard, apparut la congélation industrielle à bord de navires frigorifiques qui partaient cap à l'est pour l'Europe avec des tonnes de carcasses qui n'arrivaient pas toujours à bon port (il arrivait souvent que les frigos tombent en panne en haute mer et il fallait alors jeter par dessus bord la viande avariée par la rupture de la chaîne du froid).
Souvenirs, souvenirs ! |
En
1865, c'est Liebig qui avait fondé cette manufacture. Déjà la
mondialisation capitaliste ! On estime d'ailleurs qu'avec cet
investissement, Liebig devint la toute première société
internationale qui arrosa la planète entière avec ses produits.
En
1924, la compagnie Anglo-Meat Packing Plant racheta à Liebig les
installations et développa encore le commerce de viande congelée,
pour alimenter (déjà) les industries agro-alimentaires européennes
avec la production bovine qui ne servait désormais plus beaucoup à
l'industrie du cuir, devenu largement inutile, mis à part dans la
chaussure et la maroquinerie, à cause de la motorisation complète
de l'armée pendant la Première Guerre mondiale (les besoins en
sellerie n'existent désormais plus que pour des pratiques de loisir,
les sports équestres et la cavalerie militaire de fonction
honorifique).
Carte du site classé extraite du site Web du projet Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Jusqu'en
1979, année de la fermeture définitive du site, on y produisit
toute sorte de dérivés, y compris du suif, alimentaire ou non, et du
savon à base de graisse animale... A partir de 1984 (c'est-à-dire à
la fin de la dictature militaire qui s'acheva en 1986), les pouvoirs
publics ont lancé des politiques de protection patrimoniale sans
pouvoir redonner une affectation quelconque à ce vaste friche
industrielle qui avait compté outre l'usine, des enclos pour le
bétail, un abattoir, un stade de football pour tout le monde,
surtout les ouvriers, un golf pour les ingénieurs et les directeurs,
un village, des manoirs pour les classes dirigeantes, des
infrastructures de santé et de petite enfance, etc.
Le quartier d'habitations |
Depuis
2008, l'Uruguay travaillait à l'inscription du site au Patrimoine
industriel de l'Humanité. Le vote obtenu a été fêté de toutes
les manières possibles tant à Fray Bentos, sur la côte fluviale,
comme à Montevideo, et des programmes de tourisme culturel se
mettent déjà en place pour redonner vie aux 275 hectares incluant
les bâtiments de production, les installations portuaires, avec son
quai dédié à l'usine, les logements des cadres et des ouvriers et
les parcs de loisir qui forment une sorte de cité ouvrière,
quasiment autarcique, comme il s'en construisait alors un peu partout
en Europe en forme de rêve utopique d'un petit monde autosuffisant à
l'origine des plus fortes cultures d'entreprise du vieux monde
industrialisé...
Les
pays d'Amérique du Sud ont peu de patrimoine industriel, cette
déclaration est donc tout à fait exceptionnelle. Traditionnellement
et culturellement, le capital local n'aime pas investir dans
l'industrie qui est considérée comme peu prestigieuse. Seule la
propriété agraire bénéficie de ce prestige. Aussi le peu
d'installations industrielles qui existent correspond-il le plus
souvent à des investissements étrangers qui prennent assez vite une
tournure néocoloniale ou impérialiste. Et aujourd'hui ce lieu est
connu comme Fray Bentos ou Liebig-Anglo. C'est tout dire !
Les bureaux d'administration, délicieusement désuets |
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de El Observador du 5 juillet
lire
l'article de El Observador du 7 juillet
Dans
El Observador, vous trouverez des courts-métrages documentaires sur
l'histoire des lieux
lire
l'article de El País du 6 juillet
lire
l'article de El Espectador du 5 juillet
lire
le communiqué de la direction du Patrimoine de l'Uruguay, celui qui a suivi le 6 juillet
lire
le communiqué de l'UNESCO (représentation à Montevideo)
consulter
le site Internet consacré à ce patrimoine (beaucoup de photos, des
cartes, de l'information institutionnelle en veux-tu en voilà)
(1)
J'avais laissé de côté l'info pour une autre occasion eu égard à
mon programme à Toulouse qui a été suivi immédiatement par la
semaine de tournée pontificale en Amérique du Sud qui était aussi
celle des festivités pour le 9 juillet en Argentine... Un article de
Clarín ce matin me rappelle à l'ordre. Merci à ce quotidien. Je le
critique bien assez pour le remercier quand il y a lieu de le faire !
(2)
C'était le fameux charqui, qui a nourri l'Armée des Andes en 1817
pendant la campagne de libération du Chili, conduite par le général
José de San Martín. Une préparation qui n'est pas sans rappeler la
viandes de Grisons, qui est aujourd'hui un luxe de la tradition
suisse.