samedi 22 décembre 2018

Retournement dans l’affaire Nisman [Actu]

Sandra Arroyo Salgado, l’ex-épouse du défunt procureur fédéral Alberto Nisman, vient de se désister de son statut de partie civile dans l’instruction qui doit déterminer si le décès du procureur était un suicide ou un assassinat. Un dimanche soir de janvier 2015, le magistrat avait été retrouvé chez lui baignant dans son sang, alors qu’il s’apprêtait à accuser le gouvernement argentin de vouloir protéger les auteurs iraniens d’un attentat antisémite sur lequel il enquêtait (1).

L'une des apparitions devant la presse de la juge, en 2015

En sa qualité de partie civile, son ex-épouse représentait ses filles mineures. En se désistant, elle se libère de toute obligation procédurale dans le cours de l’instruction, elle perd aussi le droit de réagir aux thèses de la défense du seul inculpé dans l’affaire, Diego Lagomarsino, l’ancien informaticien du procureur, celui qui lui a fourni l’arme avec laquelle il s’est donné ou on lui a donné la mort, et dont le rôle qu’il jouait dans le cabinet d’instruction sur l’attentat contre l’AMIA reste un mystère. Or elle l’a accusé sans relâche et a fait feu de tout bois pour obtenir son inculpation. Le laisser désormais se défendre sans jamais lui faire opposition est un vrai retournement chez cette accusatrice féroce. Lagomarsino lui-même dit aujourd’hui son étonnement (voir l'entrefilet de La Prensa).

Cette femme, elle-même juge fédérale, a mené un combat très rude d’abord pour que la justice locale, celle de Buenos Aires, soit dessaisie de l’affaire : elle préférait en effet que le dossier passe à la justice fédérale, dont elle connaît parfaitement le personnel puisqu'elle en fait partie. Elle s’est beaucoup démenée, dès les premiers jours, pour convaincre tout le monde qu’il s’agissait d’un assassinat aggravé contre un représentant de l’autorité dans l’exercice de ses fonctions (magnicidio).

Elle se retire du procès en invoquant la nécessité de protéger sa famille de menaces qu’elle ne cesserait de recevoir et de reprendre elle-même le cours de sa vie professionnelle et personnelle. On ne peut évidemment pas savoir s’il s’agit là des vrais motifs puisqu’elle connaît parfaitement la procédure pénale et qu’elle sait comment en jouer, comment justifier son retrait d’une manière formellement parfaite (au sens juridique de l’adjectif). En tout cas, Página/12 doute de l’existence des menaces puisqu’elles ne font pas l’objet de plaintes devant la justice. Pour une juge, c’est en effet assez suspect.

Fait nouveau, Sandra Arroyo Salgado reconnaît que les actes d’instruction, dont elle salue la qualité de l’exécution (c’est nouveau !), n’ont pas été concluantes sur le point de savoir si la mort de son ex-mari est ou non de nature criminelle. Or elle n’a cessé de proclamer le contraire à longueur de conférence de presse et devant de nombreuses instances judiciaires depuis l’été 2015. Cette argumentation est donc pour le moins troublante.

Página/12, peu enclin à accepter la thèse de l’assassinat, qui mettrait en cause le gouvernement Kirchner, y voit l’écroulement d’un château de cartes, une manipulation de l’opinion pour salir le nom de Cristina Kirchner en essayant de l’impliquer dans une commandite d’assassinat politique.
Clarín et La Nación se contentent d’une paraphrase de la lettre dont les deux quotidiens reproduisent un fac-similé et d’un rappel de l’affaire et de ses multiples rebondissements.

La mère de Alberto Nisman reste, quant à elle, partie civile dans ce procès.

Les deux femmes ont toujours montré un visage plutôt antipathique. Toutes deux ont un style très agressif, en grand décalage avec l’idéal féminin de la haute société à laquelle leur mode de vie pourrait les assimiler (idéal parfaitement assumé par des personnes comme Julia Awada, l’actuelle épouse du président Macri, ou la reine Máxima des Pays-Bas, elle-même issue de l’oligarchie des grands propriétaires agricoles argentins). Toutes deux sont à peu près aussi souriantes et avenantes que la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich. Elles n’ont jamais gagné l’affection ni de l’opinion publique ni de la presse, même de droite.

Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa

Ajout du 23 décembre 2018 :
lire cet éditorial de Clarín, qui a toujours soutenu la thèse du crime et qui se retrouve bien mortifié par le retrait inattendu de Sandra Arroyo Salgado



(1) L’attentat contre la AMIA a fait en 1995 85 morts et environ 300 blessés, dont de très nombreux survivants sont restés handicapés à vie après consolidation du cadre clinique. C’était l’affaire, gigantesque, dont s’occupait exclusivement le procureur, qui en assurait l’instruction, jusqu’à la découverte des auteurs ou de l’auteur des faits, qui n’ont toujours pas été identifiés. En procédure criminelle argentine, dès lors qu’un auteur est déterminé, l’enquête est confiée à un juge d’instruction.