samedi 22 décembre 2018

Moins de cours du soir et de formation professionnelle à Buenos Aires [Actu]

Manifestation d'enseignants syndiqués sur Plaza de Mayo, rue Bolívar
Le mur blanc derrière, c'est un pan du Cabildo
Le bâtiment beige, c'est l'arrière du palais de la Legislatura
Photo : syndicat UTECTERA

Au début de la semaine, un syndicat de l’enseignement a dénoncé publiquement la décision du gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires de fermer, dans des quartiers modestes, 14 des écoles publiques qui offrent des formations professionnelles aux adolescents qui sortent du système général après 14 ans et d’autres qui dispensent des cours du soir aux adultes ayant interrompu leurs études à l’âge de la fin de la scolarité obligatoire, à 14 ans, et reprennent des études pour obtenir tout de même leur baccalauréat (1).

La ministre de l’éducation portègne justifie ces fermetures en avançant trois motifs : ces établissements sont trop peu fréquentés, les programmes scolaires ne sont pas à jour et les dispositifs sociaux (d’aide à la formation), qui datent de 1974, sont dépassés. Elle ajoute qu’à 10 cuadras des centres qu’elle ferme, il y a d’autres écoles où les élèves peuvent s’inscrire. 10 cuadras, c’est à peu près 1 km. Imaginez un peu, à la fin de votre journée de travail, être obligé de vous taper à pied plus d’un kilomètre pour vous rendre à votre cours et la même chose pour rentrer chez vous, avant de vous lever de nouveau le lendemain, à 5 ou 6 h du matin, pour vous rendre à votre boulot à l’autre bout de la ville (qui est immense), comme magasinier de supermarché, commis de boulangerie ou serveuse dans un café-restaurant où le client vient manger à toutes les heures du jour et de la nuit, coiffeur ou employé(e) de bureau dans une banque qui ne connaît de vous que votre matricule...

Peu à peu, la colère des syndicats a fait tâche d’huile et la nouvelle atteint l’opinion publique. Le 18 décembre, elle n’a fait qu’un petit entrefilet dans Página/12. Elle gagne maintenant les pages de Clarín et de La Nación, provoquant même une prise de bec spectaculaire, sur les ondes de Radio Continental, entre Nelson Castro, un éditorialiste vedette du groupe Clarín (qui soutient la politique néo-libérale du gouvernement municipale), et la ministre, qui n’en mène pas large. A un moment donné des neuf minutes d’interview, Castro lui demande si elle est elle-même enseignante, elle répond non et il lui rétorque : "Eh bien, ça s’entend. Il n’y a que quelqu’un qui n’enseigne pour dire ce que vous êtes en train de dire ! 

Daniel Paz et Rudy ont fait de ce nouveau scandale social le sujet de leur vignette d’aujourd’hui.

La journaliste : Pourquoi fermez-vous des écoles ?
Le politicien municipal : Parce qu’on est moderne
et que les dispositifs sont dépassés.
La journaliste : Et pourquoi n’améliorez-vous pas les dispositifs ?
Le politicien : Parce que nous ne sommes pas des dispositeurs. (2)
Traduction © Denise Anne Clavilier

C’est un nouvel effet de la politique d’austérité qui maintient le pays dans la médiocrité et prend pour variable d’ajustement les citoyens les plus pauvres et les plus précaires, au lieu d’inventer des solutions modernes pour améliorer leur situation et tirer tout le monde vers le haut. C’est aussi la première fois depuis le retour à la démocratie en 1983 que des institutions publiques d’enseignement et de formation sont fermées en Argentine. Cela va de pair avec les coupes budgétaires sévères dans les crédits accordés à la recherche, dont je vous parlais dans un article de Barrio de Tango hier.

La Legislatura, parlement monocaméral de la Ville, va s’emparer du sujet la semaine prochaine, en dépit de la prochaine fin de session et de l’arrivée des grandes vacances d’été, qui ont déjà commencé pour les scolaires.

Pour aller plus loin :
lire l’entrefilet de Página/12 du 18 décembre
lire l’article de Página/12 du 19 décembre, suivi de l'article d’hier
lire l’article de Página/12 aujourd’hui



(1) Notons que cette interruption des études à 14 ans n’explique pas autant qu’en Europe par un décrochage scolaire, de mauvais résultats ou un dégoût de l’école mais par le choix des familles de mettre leurs enfants au travail, faute de pouvoir s’accorder le lux de leur offrir de longues études. Une partie de l’échec scolaire et des redoublements en Argentine est dû au fait qu’en dehors des horaires scolaires, l’enfant travaille souvent à un âge très précoce : il travaille sur la parcelle agricole personnelle de ses parents, dans leur magasin, dans leur restaurant, dans leur atelier...
(2) Planero est un néologisme, il résonne un peu comme platero, argentier, celui qui travaille l’argent (métal).