Au début de la semaine, un syndicat de
l’enseignement a dénoncé publiquement la décision du
gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires de fermer, dans des
quartiers modestes, 14 des écoles publiques qui offrent des
formations professionnelles aux adolescents qui sortent du système
général après 14 ans et d’autres qui dispensent des cours du
soir aux adultes ayant interrompu leurs études à l’âge de la fin
de la scolarité obligatoire, à 14 ans, et reprennent des études
pour obtenir tout de même leur baccalauréat (1).
La
ministre de l’éducation portègne justifie ces fermetures en
avançant trois motifs : ces établissements sont trop peu
fréquentés, les programmes scolaires ne sont pas à jour et les
dispositifs sociaux (d’aide à la formation), qui datent de 1974,
sont dépassés. Elle ajoute qu’à 10 cuadras des centres qu’elle
ferme, il y a d’autres écoles où les élèves peuvent s’inscrire.
10 cuadras, c’est à peu près 1 km. Imaginez un peu, à la fin de
votre journée de travail, être obligé de vous taper à pied plus
d’un kilomètre pour vous rendre à votre cours et la même chose
pour rentrer chez vous, avant de vous lever de nouveau le lendemain,
à 5 ou 6 h du matin, pour vous rendre à votre boulot à l’autre
bout de la ville (qui est immense), comme magasinier de supermarché,
commis de boulangerie ou serveuse dans un café-restaurant où le
client vient manger à toutes les heures du jour et de la nuit,
coiffeur ou employé(e) de bureau dans une banque qui ne connaît de
vous que votre matricule...
Peu
à peu, la colère des syndicats a fait tâche d’huile et la
nouvelle atteint l’opinion publique. Le 18 décembre, elle n’a
fait qu’un petit entrefilet dans Página/12. Elle gagne maintenant
les pages de Clarín et de La Nación, provoquant même une prise de
bec spectaculaire, sur les ondes de Radio Continental, entre Nelson
Castro, un éditorialiste vedette du groupe Clarín (qui soutient la
politique néo-libérale du gouvernement municipale), et la ministre,
qui n’en mène pas large. A un moment donné des neuf minutes
d’interview, Castro lui demande si elle est elle-même enseignante,
elle répond non et il lui rétorque : "Eh
bien, ça s’entend. Il n’y a que quelqu’un qui n’enseigne
pour dire ce que vous êtes en train de dire !
Daniel
Paz et Rudy ont fait de ce nouveau scandale social le sujet de leur
vignette d’aujourd’hui.
La
journaliste : Pourquoi fermez-vous des écoles ?
Le
politicien municipal : Parce qu’on est moderne
et que les dispositifs sont dépassés.
et que les dispositifs sont dépassés.
La
journaliste : Et pourquoi n’améliorez-vous pas les
dispositifs ?
Le
politicien : Parce que nous ne sommes pas des dispositeurs. (2)
Traduction
© Denise Anne
Clavilier
C’est
un nouvel effet de la politique d’austérité qui maintient le pays
dans la médiocrité et prend pour variable d’ajustement les
citoyens les plus pauvres et les plus précaires, au lieu d’inventer
des solutions modernes pour améliorer leur situation et tirer tout
le monde vers le haut. C’est aussi la première fois depuis le
retour à la démocratie en 1983 que des institutions publiques
d’enseignement et de formation sont fermées en Argentine. Cela va
de pair avec les coupes budgétaires sévères dans les crédits
accordés à la recherche, dont je vous parlais dans un article de
Barrio de Tango hier.
La
Legislatura, parlement monocaméral de la Ville, va s’emparer du
sujet la semaine prochaine, en dépit de la prochaine fin de session
et de l’arrivée des grandes vacances d’été, qui ont déjà
commencé pour les scolaires.
Pour
aller plus loin :
lire
l’entrefilet de Página/12 du 18 décembre
lire
l’article de Página/12 du 19 décembre, suivi de l'article d’hier
lire
l’article de Página/12 aujourd’hui
lire
l’article de Clarín
(1)
Notons que cette interruption des études à 14 ans n’explique pas
autant qu’en Europe par un décrochage scolaire, de mauvais
résultats ou un dégoût de l’école mais par le choix des
familles de mettre leurs enfants au travail, faute de pouvoir
s’accorder le lux de leur offrir de longues études. Une partie de
l’échec scolaire et des redoublements en Argentine est dû au fait
qu’en dehors des horaires scolaires, l’enfant travaille souvent à
un âge très précoce : il travaille sur la parcelle agricole
personnelle de ses parents, dans leur magasin, dans leur restaurant,
dans leur atelier...
(2)
Planero est un néologisme, il résonne un peu comme platero, argentier, celui qui travaille
l’argent (métal).