Il
y a plusieurs années, Cristina Kirchner, alors présidente de la
Nation et aujourd’hui vice-présidente (donc à la tête du Sénat),
avait fait mettre en place par la loi (1) un Conseil
de la Magistrature qui a depuis lors le pouvoir de nommer et de muter
les magistrats fédéraux. Ses membres sont désignés par le pouvoir
législatif. L’objectif (officiel) de cette innovation était d’en
finir avec la partialité idéologique et politique d’une grande
majorité des juges fédéraux, un fléau qui entache le
fonctionnement de la justice en Argentine et qui est un vestige,
jamais éradiqué et jamais vraiment combattu, de l’époque
coloniale.
Ces jours derniers, le Sénat devait procéder au renouvellement des membres de ce Conseil mais les tensions entre la majorité présidentielle (elle-même divisée, du fait de Cristina Kirchner, entre deux clans de moins en moins réconciliables) et l’opposition, qui a le plus grand nombre de sièges dans la Chambre haute, ont empêché que les débats accouchent de nominations valides. Devant cette situation sans issue, Cristina Kirchner venait de décider d’une manière très contestable que désormais le Congrès ne pourrait plus nommer les nouveaux membres du Conseil, ce qu’un juge, sans doute peu scrupuleux, avait validé. Juste avant le week-end férié de Semaine Sainte, les sénateurs de droite avaient donc fait appel à la Cour suprême pour une mesure en référé.
Le
président de la plus haute institution judiciaire du pays, dont
l’appartenance idéologique à la droite ne fait de doute pour
personne, celui-là même qui, il y a quelques semaines, avait réussi
à faire classer une instruction menée contre lui par un juge de
Rosario, qui enquêtait sur un éventuel enrichissement illégal de
sa part, ne se l’est pas fait dire deux fois. En quarante-huit
heures, pendant que tout le monde était en vacances (les journaux
n’ont même pas paru vendredi), il a pris l’affaire en main en
publiant un décret par lequel la Cour suprême place le Conseil de
la magistrature directement sous ses ordres. Hier, Horacio Rosatti
s’est donc nommé lui-même président de ce Conseil de la Magistrature, dont il
devrait désormais nommer les membres. Par la même occasion, il a révoqué l’arrêt du
juge qui avait validé les cascades constitutionnelles de Cristina Kirchner.
Pour
l’opposition comme pour la majorité, de la part du
premier magistrat du pays, c'est là une manœuvre des plus discutables (la
majorité n’hésite pas, quant à elle, à évoquer un coup d’État
institutionnel). Les turpitudes de Cristina n'autorisent nullement la Cour suprême à faire n’importe quoi de son côté. Cependant pour l’opposition, cette prise de contrôle est
malgré toute une solution plus ou moins acceptable dans la mesure où
elle met échec et mat cette vice-présidente haïe, dont tant les
observateurs que les hommes politiques, de ce côté-là de
l’échiquier du moins, prétendent qu’elle ne recherchait, en
tordant les procédures parlementaires, que l’obtention d’une
impunité pour elle et ses enfants, puisqu’elle est actuellement
poursuivie dans le cadre de plusieurs procès à rallonge où le
parquet peine décidément à fournir des preuves incontestables de
son implication dans les faits de corruption et de concussion
dénoncés vers la fin de son second mandat présidentiel, il y a
environ sept ans.
"En envoyant un signal fort de pouvoir, la Cour prend la tête du Conseil", dit le gros titre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Au sein de la Cour elle-même, il semblerait que la prise de contrôle à la hussarde de son président provoque des dissensions. L’un des magistrats suprêmes, pourtant du même bord politique, s’est en effet arrangé pour ne pas avoir à contresigner le polémique décret du chef !
A partir d’aujourd’hui, la fusion des présidences de deux organismes aux objectifs sans rapport l’un avec l’autre risque fort de relancer le profond sentiment de méfiance vis-à-vis de la justice dans une large partie de l’opinion publique car elle met fin, tant qu’elle s’exercera, à l’existence d’un contre-pouvoir au sein du monde judiciaire. Il va désormais falloir une bonne dose de courage aux juges fédéraux pour procéder à des enquêtes et émettre des jugements qui iront à l’encontre des vues partisanes du président de la Cour suprême puisque celui-ci pourra à son gré les déplacer, les placardiser, voire les révoquer. Et on a pu constater qu’il était particulièrement chatouilleux.
Pour
aller plus loin dans la presse d’aujourd’hui :
(1) Elle disposait alors de la majorité au sein du Congrès.