mardi 19 avril 2022

Le président de la Cour suprême s’empare du pouvoir judiciaire [Actu]

Voilà le juge Horacio Rosatti habillé pour l'hiver
(ça tombe bien, on est en automne)
Página/12 renvoie ici à un sketch célébrissime
de l'humoriste Alberto Olmedo (1933-1988),
qui pastichait tous les vices d'un dictateur militaire latino-américain
(corrompu, bête comme ses pieds, méchant comme une teigne, tyrannique, etc.)
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Il y a plusieurs années, Cristina Kirchner, alors présidente de la Nation et aujourd’hui vice-présidente (donc à la tête du Sénat), avait fait mettre en place par la loi (1) un Conseil de la Magistrature qui a depuis lors le pouvoir de nommer et de muter les magistrats fédéraux. Ses membres sont désignés par le pouvoir législatif. L’objectif (officiel) de cette innovation était d’en finir avec la partialité idéologique et politique d’une grande majorité des juges fédéraux, un fléau qui entache le fonctionnement de la justice en Argentine et qui est un vestige, jamais éradiqué et jamais vraiment combattu, de l’époque coloniale.

La Prensa est beaucoup plus sobre
En haut, à gauche, une petite photo en dessous
de ce titre anodin : "Polémique"
Son gros titre (en jaune) est pour
une série de mesures salariales de lutte contre la pauvreté
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Ces jours derniers, le Sénat devait procéder au renouvellement des membres de ce Conseil mais les tensions entre la majorité présidentielle (elle-même divisée, du fait de Cristina Kirchner, entre deux clans de moins en moins réconciliables) et l’opposition, qui a le plus grand nombre de sièges dans la Chambre haute, ont empêché que les débats accouchent de nominations valides. Devant cette situation sans issue, Cristina Kirchner venait de décider d’une manière très contestable que désormais le Congrès ne pourrait plus nommer les nouveaux membres du Conseil, ce qu’un juge, sans doute peu scrupuleux, avait validé. Juste avant le week-end férié de Semaine Sainte, les sénateurs de droite avaient donc fait appel à la Cour suprême pour une mesure en référé.

Le président de la plus haute institution judiciaire du pays, dont l’appartenance idéologique à la droite ne fait de doute pour personne, celui-là même qui, il y a quelques semaines, avait réussi à faire classer une instruction menée contre lui par un juge de Rosario, qui enquêtait sur un éventuel enrichissement illégal de sa part, ne se l’est pas fait dire deux fois. En quarante-huit heures, pendant que tout le monde était en vacances (les journaux n’ont même pas paru vendredi), il a pris l’affaire en main en publiant un décret par lequel la Cour suprême place le Conseil de la magistrature directement sous ses ordres. Hier, Horacio Rosatti s’est donc nommé lui-même président de ce Conseil de la Magistrature, dont il devrait désormais nommer les membres. Par la même occasion, il a révoqué l’arrêt du juge qui avait validé les cascades constitutionnelles de Cristina Kirchner.

Sobriété encore à la une de Clarín, qui en fait tout de même plus
Au-dessus de la photo d'un président Fernández mécontent,
ce gros titre "La Cour disqualifie la manœuvre de Cristina
et modifie la Magistrature"
Tout en haut : "Boric : sa cote baisse de façon inattendue"
(Boric est le tout nouveau président du Chili,
qui n'aura eu qu'un mois d'état de grâce)
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Pour l’opposition comme pour la majorité, de la part du premier magistrat du pays, c'est là une manœuvre des plus discutables (la majorité n’hésite pas, quant à elle, à évoquer un coup d’État institutionnel). Les turpitudes de Cristina n'autorisent nullement la Cour suprême à faire n’importe quoi de son côté. Cependant pour l’opposition, cette prise de contrôle est malgré toute une solution plus ou moins acceptable dans la mesure où elle met échec et mat cette vice-présidente haïe, dont tant les observateurs que les hommes politiques, de ce côté-là de l’échiquier du moins, prétendent qu’elle ne recherchait, en tordant les procédures parlementaires, que l’obtention d’une impunité pour elle et ses enfants, puisqu’elle est actuellement poursuivie dans le cadre de plusieurs procès à rallonge où le parquet peine décidément à fournir des preuves incontestables de son implication dans les faits de corruption et de concussion dénoncés vers la fin de son second mandat présidentiel, il y a environ sept ans.

"En envoyant un signal fort de pouvoir,
la Cour prend la tête du Conseil", dit le gros titre
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Au sein de la Cour elle-même, il semblerait que la prise de contrôle à la hussarde de son président provoque des dissensions. L’un des magistrats suprêmes, pourtant du même bord politique, s’est en effet arrangé pour ne pas avoir à contresigner le polémique décret du chef !


Olmedo dans le costume du Yeneral González,
le Dictateur de la Côte Pauvre
(jeu de mot avec le nom du Costa Rica, Côte Riche,
visé comme république bananière par excellence ;
il allait de soi pour le public que l'artiste parlait en fait de l'Argentine)
Couverture d'un DVD de ses meilleurs sketches

A partir d’aujourd’hui, la fusion des présidences de deux organismes aux objectifs sans rapport l’un avec l’autre risque fort de relancer le profond sentiment de méfiance vis-à-vis de la justice dans une large partie de l’opinion publique car elle met fin, tant qu’elle s’exercera, à l’existence d’un contre-pouvoir au sein du monde judiciaire. Il va désormais falloir une bonne dose de courage aux juges fédéraux pour procéder à des enquêtes et émettre des jugements qui iront à l’encontre des vues partisanes du président de la Cour suprême puisque celui-ci pourra à son gré les déplacer, les placardiser, voire les révoquer. Et on a pu constater qu’il était particulièrement chatouilleux.


© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin dans la presse d’aujourd’hui :



(1) Elle disposait alors de la majorité au sein du Congrès.