vendredi 31 mai 2024

L’Argentine des droits de l’homme pleure Nora Cortiñas [Actu]

"L'éclair qui ne disparaît pas", dit le gros titre
sur cette photo d'archive :
un défilé du 24 mars il y a plusieurs années
Nora Cortiñas est encore debout, sur ses jambes
Il y a quelque temps qu'elle était en fauteuil roulant
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Nora Cortiñas avait 94 ans. Cette psychologue de formation avait perdu son fils aîné pendant la Dictature militaire de 1976 et avait alors fondé l’association des Mères de la Place de Mai (Madres de Plaza de Mayo). Elle était la présidente de Madres de Plaza de Mayo Línea Fundadora, celle des deux associations issues de la scission du mouvement pendant la démocratie qui fait le plus consensus (celle qui a conservé la dénomination originelle divise beaucoup la société argentine à cause des prises de position politique et idéologique très clivantes de son ancienne présidente).

Nora Cortiñas n’a jamais su ce qu’était devenu son fils. On n’a jamais à ce jour retrouvé ses traces ni dans les archives ni physiquement.

Ce matin, toute la presse lui rend hommage avec décence. Página/12 consacre une grande part de son édition du jour à la disparition de cette figure solaire d’une militante de tous les droits des personnes (elle avait pris fait et cause pour la légalisation de l’avortement). Sur Whatsapp, je reçois des statuts de plusieurs de mes contacts argentins qui publient des photos d’elle.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :


P. S. : Comme d’ordinaire dans ce blog lorsqu’il y a un deuil significatif dans la vie culturelle du pays, je ne publierai rien d’autre aujourd’hui. Les autres faits qui méritent qu’on s’y arrête feront l’objet d’articles que je mettrai en ligne demain.

mercredi 29 mai 2024

Canción Nuestra : une série de récitals dominicaux de folklore à Palermo [à l’affiche]

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Canción nuestra, que l’on pourrait traduire par « notre bonne vieille chanson » pour rendre le caractère sentimental de l’expression, est une série de concerts qui se donneront tous les dimanches soir du mois de juin au Centro Cultural Nueva Uriarte, Uriarte 1289, dans le quartier de Palermo.

Le cycle sera inauguré par Juan Falú, auteur-compositeur interprète, qui est l’un des artistes iconiques de la musique du nord-ouest argentin avec une carrière de plus de trente ans derrière lui. Il est aussi l’un des porte-voix de la profession et c’est bien en cette qualité officieuse mais reconnue par tous qu’il s’exprime ce matin dans les colonnes de Página/12 en ces temps où le gouvernement argentin mène la vie dure aux artistes et au monde de la culture en général.

Entrée : 8 000 $ ARG

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
se reporter à la présentation sur le site de vente en ligne des places de spectacle Livepass.

mardi 28 mai 2024

Des réserves alimentaires gardées en cas de catastrophe [Actu]

"Notre pain de ce jour", titre Página/12
en citant un verset du Notre Père
En haut : la crise gouvernementale
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Depuis plusieurs jours, la presse se fait l’écho d’un scandale social qui met en lumière le caractère volontaire, d’aucuns disent cruel ou sadique, de la politique menée par Mileí contre les plus précaires partout en Argentine : cinq mille tonnes de nourriture (farine, lait en poudre, sucre, conserves, yerba mate, huile, etc.) seraient conservées dans deux entrepôts nationaux, l’un dans la banlieue de Buenos Aires, l’autre dans celle de Tucumán. Les explications données par le ministère du Capital Humain et d’autres autorités nationales n’ont pas cessé de se contredire. La dernière en date est particulièrement cynique : ces denrées seraient destinées à une intervention de secours en cas de crise majeure, la faim qui sévit un peu partout dans les secteurs pauvres du pays n’étant donc pas considérée comme répondant à cette définition.

Au-dessus de la photo de Nadal quittant Roland Garros,
le remaniement gouvernemental expédié par le président
avant un énième voyage aux USA
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Or des « crises majeures », inondations, tempêtes catastrophiques, il y en a bien eu : dès le 16 décembre, six jours après l’investiture du président, une tempête a ravagé Bahía Blanca, sur la côte au sud de la Province de Buenos Aires, puis ce fut le tour de Corrientes et de la capitale elle-même d’être balayées par des vents qui ont laissé les villes sens dessus-dessous, sans oublier de graves inondations dans le nord-est du pays, dans la continuation territoriale de celles, exceptionnelles par leur amplitude, qui ont affecté le sud du Brésil. Et pourtant, aucun déstockage n’a été ordonné ni opéré. Il n’y a aucune distribution de vivres dans les zones affectées, à part deux petites livraisons anecdotiques sans aucun rapport avec l’ampleur des sinistres en cours.

Lors du traditionnel Te Deum du 25 mai, l’archevêque de Buenos Aires a dit son fait au président et à son gouvernement, assis au premier rang, au grand complet, dans la cathédrale métropolitaine comme l’exige la coutume depuis le 25 mai 1811. Le prélat a même élevé la voix assez fort pour que toute la presse s’en fasse l’écho le lendemain. Il a parlé d’une situation d’« urgence alimentaire » pour le pays. En pure perte : ses réclamations n’ont nullement troublé l’autosatisfaction que Mileí étale partout où il passe et qu’avec son sourire carnassier, il a exhibée l’après-midi même à Córdoba, où une foule clairsemée était venue pour acclamer son discours. A tel point que le lendemain, dimanche de la Sainte-Trinité, une semaine après la Pentecôte, le président de la Conférence épiscopale d’Argentine, ancien responsable de la politique sociale de l’Église au sein de l’institution, y est allé de sa propre déclaration sur les réseaux sociaux, avec vidéo sur Youtube. Pour marteler la même chose que l’homélie de la veille.

En une, la photo de l'attaque contre le camp de réfugié à Rafah
En haut : la crise gouvernementale
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Dimanche soir, même la très conservatrice animatrice d’un talk-show très suivi d’une chaîne commerciale, Mirtha Legrand, qui porte allègrement ses plus de 90 printemps sur les plateaux de télévision, s’est émue du scandale au sujet duquel elle a parlé d’attitudes « criminelles » de la part des autorités qui retiennent ces aliments, alors que, parmi ses invités d’un soir, se trouvait l’actuelle ministre des Affaires étrangères, Diana Mondino, qui a donné sa propre explication en contradiction avec les précédentes : il y aurait trop de corruption dans le réseau caritatif des associations qui animent les soupes populaires auxquelles il semblerait que ces vivres aient été bel et bien destinés. Cette réserve alimentaire a été constituée et entretenue par le précédent gouvernement qui distribuait régulièrement des secours alimentaires aux organismes d’assistance sociale, privés depuis décembre de subventions financières et de livraisons en nature. Ce qu’il y a dans les hangars était là pour faire la soudure au moment où les équipes changeaient.

Hier, un juge fédéral a ordonné en référé au ministère du Capital Humain de produire dans les 72 heures un inventaire précis des réserves disponibles puis de publier un calendrier de livraison aux soupes populaires qui attendent. Le ministère en question a aussitôt interjeté appel. Tant que cette procédure n’aura pas abouti, ces gens ne bougeront donc pas le petit doigt pour venir en aide à ceux de leurs compatriotes qui ont faim.

Même dans la presse de droite, on commence à se demander quel est le but réel de cette politique qui accumule les « impairs » diplomatiques et qui s’acharne contre les plus pauvres alors que leur nombre aurait augmenté de 18 % au cours des deux derniers mois selon une étude de la très conservatrice (elle aussi) Université catholique d’Argentine, à Buenos Aires. D’autant qu’on a aussi découvert que le gouvernement sortant avait acheté une cinquantaine d’utilitaires neufs pour aider les provinces à effectuer des distributions sur leurs territoires. Ces camionnettes, qu’il n’a pas eu le temps de livrer à leurs bénéficiaires, attendent depuis dans un garage et s’abîment lentement au lieu d’être utiles là où on les attend.

En haut : la crise politique
En bas, un accident de montagne à San Juan
a fait un mort
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Tout cela n’a pas empêché le président de reprendre un avion hier pour se rendre en Californie où il entend rencontrer Mark Zuckerberg et à nouveau Elon Musk, avec prise de photo pour ses réseaux sociaux personnels, et où il doit recevoir un énième prix d’un énième obscur think-tank libertarien ou ultra-libéral sans la moindre reconnaissance internationale. Juste avant de s’embarquer dans l’avion présidentiel pour un énième voyage privé, avec sa frangine, aux frais du contribuable, il a viré l’équivalent du Premier ministre et laissé le gouvernement en plein remaniement-déménagement. Au bout de six mois de mandat, cela laisse à penser qu’il se contrefiche complètement de son pays, de la politique et de la diplomatie. Tout ce qui semble l’intéresser, c’est sa propre notoriété et la jouissance d’un train de vie dispendieux. Comme un candidat de téléréalité qui ne rêve que d’être connu et riche ! Pour en faire quoi ensuite, c’est le dernier de ses soucis.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 hier
lire l’article de La Prensa hier (sur Mirtha Legrand, qui a aussi plaidé la cause de la Casa del Teatro, une institution caritative professionnelle fondée par la femme d’un président des années 1920, qui était cantatrice : la Casa del Teatro vient en aide aux anciens de la scène dont les vieux jours sont difficiles)
lire l’article de Página/12 d’aujourd’hui sur la décision du juge de première instance
lire l’article de La Prensa sur le même sujet
lire l’article de Clarín sur l’appel interjeté par le ministère.


Ajout du 29 mai 2024 :
Ce matin, à la une de Página/12, ce dessin de Daniel Paz et Rudy

La réceptionniste : Monsieur Musk, vous avez commandé du lithium ?
Musk : Oui.
Elle : Le livreur est arrivé
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
Le livreur en question n'est autre que Mileí
(un peu difficile à reconnaître pour nous, c'est vrai)

lire aussi cet article de Página/12 sur les explications que la Casa Rosada a soufflé à quelques journalistes amis, alors que le président est à l’étranger, pour expliquer le limogeage du Premier ministre… cela vaut son pesant de cacahuètes !

Bullrich fait tout pour empêcher l’identification des enfants volés [Actu]

"Quand on ne cherche pas, on ne trouve pas", dit le gros titre
En haut : le visage du Premier ministre limogé par Mileí
qui, comme Trump, ne sait pas à qui confier quoi
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Patricia Bullrich, la ministre de la Sécurité (ce qui correspond au ministère de l’Intérieur en Europe), vient d’annoncer qu’elle interdisait aux agents de l’INADI d’accéder aux dossiers des militaires et des policiers alors que ce service est chargé depuis 1993 de les éplucher pour y chercher des indices permettant d’identifier les 400 bébés volés à leur famille par la dictature militaire puis de donner à ceux qui ont survécu à la séparation une identité falsifiée.

Bullrich prétend que ces enquêtes sont une atteinte au droit à l’intimité des agents de son ministère. Les motifs qu’elle avance sont particulièrement ridicules : elle dénonce notamment que l’INADI ait été créé par décret présidentiel et non par la loi votée au Congrès. Par conséquent, prétend-elle, la définition de ses tâches ne serait pas valide. Or elle sert un président qui menace à tout bout de champ de gouverner par décret si le Congrès ne vote pas ses projets de loi. Cherchez l’erreur !

Qui plus est, le président qui a créé cette agence en 1993 n’est autre que… Carlos Menem, le « meilleur président » qu’ait eu l’Argentine, d’après les mots de Javier Mileí à la Casa Rosada, il y a quelques jours, lorsqu’il a inauguré un buste super-moche de son idole politique en présence de la fille de ce dernier !

Les agissements du gouvernement dans ce domaine des droits de l’homme et des réparations à donner aux victimes du terrorisme d’État commencent à être sérieusement inquiétants même s’ils ne surprennent pas vraiment. La vice-présidente est une négationiste des crimes de la dictature militaire à laquelle son propre père a participé ! Il y a quelques semaines, le ministre de la Défense, ancien candidat à la vice-présidence auprès de la candidate Patricia Bullrich, a démantelé le service d’analyse chargé de trouver dans les archives militaires les preuves de tout ce qui touche aux crimes contre l’humanité commis par la dictature de Videla et consorts, : disparitions forcées, tortures, exécutions extra-judiciaires, accouchements clandestins, vols d’enfants en bas-âge et falsification de l’état-civil.

L’attitude de plus en plus hargneuse et les déclarations fracassantes de Bullrich deviennent si excessives et si haineuses que ressort dans la presse (et pas seulement dans les colonnes de Página/12) quelque chose dont les journalistes ne faisaient guère état jusqu’à présent : dans sa jeunesse, ce bulldog de l’extrême-droite argentine militait dans les rangs des montoneros, l’extrême-gauche péroniste révolutionnaire dont certains membres sont allés jusqu’à mettre des bombes sous les voitures ou aux portes des domiciles des dignitaires du régime putschiste, ceux pour lesquels la vice-présidente actuelle réclame réparations et honneurs publics…

La lumière dont Bullrich ne veut absolument pas qu’elle soit faite, c’est celle qui permettrait de savoir ce que sont devenus ses propres compagnons de lutte ou les enfants qu’ils avaient conçus, souvent dans des épousailles clandestines, et qu’ils auraient aimé élever eux-mêmes !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

mercredi 22 mai 2024

Un nouveau dino patagonien ! [Actu]


Une équipe scientifique internationale de 70 personnes, dont des paléontologues argentins du CONICET, et des chercheurs appartenant à des institutions des États-Unis (National Geographic Society) et de Hong-Kong, vient de rendre publique la découverte, à La Colonia, dans la province de Chubut, d’une espèce de dinosaure carnivore encore inconnue à ce jour.

La bêbête mesurait ses cinq mètres de long et vivait il y a environ 69 millions d’années dans ce coin qui appartenait alors au Gondwana, un continent austral qui s’est désintégré pour donner l’Afrique, l’Australie, l’Amérique du Sud, l’Antarctique et l’Inde qui, en rejoignant l’hémisphère nord, nous a donné l’Himalaya.

De cet animal, il ne reste que fort peu de choses mais assez pour que les spécialistes puissent calculer son apparence complète, comme dans la reconstitution qui illustre les articles grand public de ce matin : plusieurs os du crâne, une épaule presque complète, une hanche complète, plusieurs os de la queue et la presque totalité des pattes.

Ses découvreurs ont baptisé l’animal Koleken Inakayali en employant pour se faire l’héritage telhueche de la région : Koleken, le nom de cette famille de dinosaures, désigne une origine argileuse et aquatique tandis que Inakayali, le nom propre de cette espèce, rend hommage au cacique tehuelche Inakayal (1833-1888), l’une des victimes de la « Campagne du Désert », cette opération militaire génocidaire organisée par Buenos Aires à la fin du 19e siècle pour s’emparer des terres australes du continent et les intégrer au territoire national argentin avant que les Chiliens n’aient la même idée. Inakayal est mort à Buenos Aires, dans des circonstances jamais élucidées et loin des terres où il était né. Il y a quelques années, son corps a été restitué au petit reste de son peuple qui a pu se maintenir à Chubut.

La découverte de ce nouveau dino a déjà fait le tour du monde des passionnés de paléontogie. Ce genre de programme de fouilles est actuellement en danger de disparition si Mileí parvient à ses fins et privatise le CONICET.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Et maintenant Mileí va faire son grand cirque au Luna Park ce soir [à l’affiche]

Lui : Mileí va chanter
Elle : Oui. Moi, je l'ai vu dans une vidéo en
train d'imiter Leonardo Favio
Lui : Je préfère encore quand il imite Menem
Traduction © Denise Anne Clavilier
Dessin de une de Página/12 ce matin
A noter que Favio et Menem descendaient l'un et l'autre
d'immigrants syriens. Sur le dessin, ça les rapproche


Après la quasi-rupture d'hier avec l’Espagne, qui est entièrement due à l’attitude irrespectueuse de Mileí envers le gouvernement du pays dans lequel il se trouvait, voici qu’il s’apprête, comme promis, à investir la scène du Luna Park pour une présentation histrionique de son bouquin, qu’il n’a pas pu présenter à la Feria del Libro.

Entouré par son porte-parole présidentiel et un député ultra-libéral qui n’a jamais été très représentatif du paysage politique argentin mais qui est devenu une voix indispensable pour amoindrir l’ampleur de la minorité de Mileí au Congrès, le chef d’État va chanter ce soir. Et ce n’est pas une blague. Le mélange des genres non plus.

Mileí s'est déjà essayé à la chanson en imitant un chanteur très populaire, Leonardo Flavio (1938-2012), auquel il avait emprunté un couvre-chef emblématique. Même pas capable de faire quelque chose de personnel, d'original, avec son propre style. Mileí aime à se présenter comme un ancien chanteur de rock dont il a gardé la dégaine et le blouson de cuir. Pourtant il chante comme un pied et s’il avait eu du talent, ça se serait su, sans aucun doute. Il se présente aussi comme un ancien gardien de but mais le silence qui entoure ses exploits de cage dément cette affirmation et la photo de lui qu’il a fait prendre pour prouver la chose pendant sa campagne électorale n'était qu'un trucage minable révélé, vidéo à l’appui, il y a quelques jours. Tout a l’air en toc chez ce type.

Ce soir, au Luna Park, où il avait fait ses soirées électorales, l’entrée est gratuite mais le protocole d’accès est très compliqué : il faut aller chercher les places dans l’après-midi et se présenter à 18h au palais des sports, même si le spectacle, puisque c’est de cela qu’il s’agit, doit commencer vers 20h. La soirée devrait durer environ trois heures. Il paraît que cette fois-ci, ce n’est pas le roi de Prusse mais bel et bien Planeta qui régale (nul doute que le géant de l’édition en a les moyens).

A bon entendeur…

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

mardi 21 mai 2024

Le voyage de Mileí tourne à la crise diplomatique grave [Actu]

Jeu de mot habituel : "Très franc",
titre Página/12 sur un montage qui dit
tout autre chose
Tous les lecteurs du journal reconnaissent
le dictateur espagnol Franco
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Invité d’honneur à Madrid du grand raout de l’extrême-droite européenne, tous courants confondus, qui s’est tenu dimanche dans le cadre de la campagne électorale pour les élections parlementaires du 9 juin, Javier Mileí commet offense diplomatique sur offense diplomatique. La plupart de ses insultes, il les a réservées à l’Espagne, le pays qui l’accueillait, ses dirigeants et ses institutions mais il a aussi arrosé d’autres pays de l’Union européenne et l’Union elle-même, censée être dominée par le « cancer du socialisme ».

Du jamais vu d’une part entre des démocraties et d’autre part entre les pays hispanophones ! Lundi, le ministère des Affaires étrangères espagnol a donc convoqué l’ambassadeur argentin et rappelé, sine die, son ambassadrice, pour sonsultation, en attendant des excuses publiques de la part des autorités argentines. Dans les protocoles diplomatiques, le rappel d’un ambassadeur constitue l’avant-dernière étape avant la rupture des relations diplomatiques lorsqu’un pays retire tous ses diplomates et son personnel consulaire et confie la sauvegarde de ses intérêts à l’ambassade d’un pays tiers. Or de retour dans son pays, Mileí a repris de plus belle ses insultes et ses accusations absurdes, gratuites et tous azimuts.

"Dure condamnation de Mileí par les entreprises
espagnoles : il a recommencé à critiquer Pedro Sánchez",
dit le gros titre de La Nación

En Espagne, les chefs d’entreprise, tous investisseurs en Argentine et fort peu suspects d’être « socialistes », qui avaient rencontré Mileí durant son séjour et avaient posé avec lui pour une photo souvenir, ont critiqué durement ses prises de position et ses déclarations contre le gouvernement « de notre pays ». Or ils représentent des entreprises qui comptent en Argentine. C’est par exemple le cas de Telefónica, l’un des principaux fournisseurs de téléphonie portable. Dans cette réunion, il y avait aussi des industriels et des acteurs d’import-export entre l’Argentine et le marché européen. Ces sociétés donnent du travail à beaucoup de gens, à un moment où les licenciements collectifs se succèdent dans tout le pays. Il se trouve qu’en l’espèce, ces hommes d’affaire se sont montrés plus patriotes et plus fidèles aux institutions démocratiques que le chef de l’opposition parlementaire, le président du Partido Popular (la droite constitutionnelle) aigri par son incapacité à organiser une coalition qui l’aurait porté à la tête du gouvernement l’année dernière : il a rejeté sur les autorités en place l’origine de la crise (1).

Depuis six mois, cette conflictualité permanente qu’entretient Mileí à coup d’insultes et d’accusations délirantes contre les dirigeants des principaux voisins ou partenaires politiques ou économiques de l’Argentine (Cuba, Nicaragua, Venezuela, Mexique, Brésil, Colombie, Chili, Chine et maintenant Espagne), on avait tendance à l’attribuer tantôt à une pathologie ou une immaturité psychique dont il souffrirait (ce qui n’est pas exclu), tantôt à son incompétence ou son ignorance et celle de plusieurs personnes de son entourage institutionnel (sa sœur, sa ministre des Affaires étrangères, son porte-parole, etc.). A présent, les observateurs envisagent que le président argentin pourrait bel et bien être en train de mettre en œuvre un programme politique préconçu et poursuivi en toute connaissance de cause, d’abord pour faire parler de lui sur la scène internationale, ce qui flatte son ego démesuré (comme Trump), et ensuite pour combattre partout dans le monde la démocratie et l’État garant du bien-vivre (2) qui est une réalité en Europe et une aspiration dans de très nombreux pays, les uns issus du système communiste et les autres, dont l’Argentine, du système colonial.

"Mileí a traité Sánchez de lâche et l'a accusé
de travailler avec les K [kirchneriste] pour
saboter son gouvernement", titre La Nación
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Aujourd’hui, en début d’après-midi, Madrid a annoncé que l’Espagne retirait définitivement son ambassadrice. La diplomate, désormais de retour en Espagne, ne retournera pas à Buenos Aires. Quant au reste du personnel qui travaille à la représentation officielle espagnole en Argentine, il y reste jusqu’à nouvel ordre mais sous l’autorité d’un simple chargé d’affaires. En diplomatie, les usages étant la réciprocité, si le gouvernement argentin persiste à ne pas vouloir rappeler son ambassadeur, il est possible que celui-ci soit bientôt déclaré persona non grata à Madrid. Il vient d’être nommé et d’arriver en poste et la fête nationale argentine tombe samedi prochain !

Quant à Mileí, qui avait annoncé dimanche un nouveau voyage en Espagne, pour recevoir l’un de ces prix qu’il affectionne et que lui remettent des instistutions confidentielles un peu partout dans l’hémisphère nord, il est plus que probable qu’il en sera empêché : il sera très certainement déclaré lui-même persona non grata.

L’ambassadeur précédant, Ricardo Alfonsín, le fils de Raúl Alfonsín, président du retour à la démocratie en 1983, a publiquement fait part de sa stupeur devant le comportement absurde du président argentin dans le pays que l’Amérique hispanique continue d’appeler la « Madre Patria ».

C’est la première fois depuis la reconnaissance de l’indépendance de l’Argentine par l'Espagne en 1863 que les deux pays n’ont plus d’échange d’ambassadeurs.

Ce qui reste incompréhensible et rend l’intempérance de Mileí d’autant plus inquiétante, c’est qu’il prétende accélérer l’accord UE-Mercosur, soutenir l’Ukraine (il veut faire ça en s’en prenant à un gouvernement engagé dans les coalitions d’aide militaire à ce pays ?) et faire adhérer l’Argentine à l’OTAN, alors que, géographiquement, le pays se situe en Atlantique sud et que politiquement, il est en train de s’éloigner des stricts critères de respect de l’État de droit et de lutte contre la corruption qui sont des préalables à l’adhésion ! La même chose peut être dite de la candidature de l’Argentine à l’OCDE...

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 ce matin, avant l’annonce du ministre des Affaires étrangères espagnol, comme tous les autres articles cités ici
lire l’article de La Prensa (le journal n'a pas traité l'affaire en une, la rédaction n'a pas dû comprendre la gravité de l'incident)
lire l’article de La Nación sur la réaction de Alberto Fernández, non moins stupéfait que son ancien ambassadeur à Madrid. L’ex-président a d’ailleurs lui aussi fait les frais des aboiements de son successeur auxquels il a répondu avec beaucoup de calme et de dignité, malgré l’acharnement de Mileí contre lui.
Clarín réserve ses articles en ligne à ses abonnés.




(1) Ce n’est pas sérieux : le ministre des Transports espagnol, sur le sol national, a récemment traité Mileí de « fou » qui avait « sans doute fumé la moquette ». Ce n’est pas amical, c’est entendu, mais c’est un ministre de second rang, qui n’a aucune compétence en matière de diplomatie et qui s’exprimait dans son pays, hors de toute rencontre internationale. Dimanche, Mileí s’exprimait à l’étranger, comme chef d’État, sur le sol du pays dont il insultait les gouvernants. Mettre les deux choses sur le même plan, c’est de la mauvaise foi pure et simple.

(2) Je préfère cette expression à celle d’« État Providence » qui donne l’idée d’un État tout puissant, ce qu’il n’est pas, bien sûr. Les Argentins traduisent l’expression anglophone Welfare State (Estado del Bienestar).

samedi 18 mai 2024

Ce soir, conférence-concert à la Academia Nacional del Tango [à l’affiche]

Ce soir, samedi 18 mai 2024, à 18h30, le grand salon de la Academia Nacional del Tango accueillera une soirée payante autour du chanteur Leonardo Pastore, de retour d’une tournée à l’étranger.

Entrée : 2 000 $ ARG.

La taille de la salle, louée aux artistes pour l’occasion, en fera une rencontre intime.

© Denise Anne Clavilier

Les deux artistes sont photographiés ici dans le Salon Horacio Ferrer
où se tiendra la soirée

vendredi 17 mai 2024

Un petit tour chez les franquistes espagnols aux frais de la princesse [Actu]

Caricature signée Alfredo Sábat, parue ce matin dans Clarín
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Hier après-midi, abandonnant les affaires d’État en suspens, toujours incapable de bâtir un consensus parlementaire sur ses réformes, Javier Mileí s’est envolé pour Madrid à bord d’un avion de la flotte présidentielle afin d’assister à un meeting électoral du parti franquiste et anti-européen Vox, fruit d’un schisme récent au sein de la droite constitutionnelle, le Partido Popular.

Mileí qui prétend se rapprocher de l’Union européenne contre l’UNASUR, dont il veut retirer l’Argentine, et qui voudrait que son pays intègre l’OTAN (sic) va donc participer à un meeting où les institutions de l’Union vont se voir copieusement conspuer et qui va appeler les Espagnols à lutter contre toute cette « perte » de « souveraineté », que symboliserait le drapeau azur à ronde étoilée, et de « grandeur » de je ne sais quelle Espagne « fidèle au Christ », allant des Rois catholiques au Généralissime. Toute cette démarche miléienne est incohérente au dernier degré mais cela semble le cadet des soucis du président argentin. Pour une raison dont j’ignore les tenants et les aboutissants, Meloni et Orban, qui étaient invités, se seraient décommandés. Mileí devrait donc être le seul chef d’Exécutif étranger présent à ce rassemblement de la campagne pour l’élection du Parlement européen. Président en fonction d’un pays d’Amérique du Sud, il se mêle donc de ce qui ne le regarde pas.

En haut, la photo de Abascal sur fond de drapeaux espagnols
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Le 10 décembre à Buenos Aires, Santiago Abascal, le président de Vox, était la seule personnalité politique espagnole présente à l’investiture de Mileí. A côté de Bolsonaro, il était d’ailleurs en « charmante compagnie ».

Mileí doit aussi profiter de ce séjour, qui se poursuivra jusqu’à dimanche inclus, pour présenter, avant Buenos Aires, son nouveau livre dont Planeta a pourtant retiré du marché l’édition espagnole à la suite du scandale déclenché par le rabat de l’ouvrage qui présentait des informations biographiques mensongères (Mileí usurpait certains titres universitaires).

En haut, à droite de la vignette de Paz et Rudy,
le titre de l'article sur le voyage "présidentiel"
avec cette photo de Mileí dans le couloir d'embarquement
"Le chemin du libertaire sans photo avec les mandataires",
dit le titre de l'article
Le gros titre est consacré à la chute vertigineuse
de l'économie argentine (production et consommation)
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Présenté comme un voyage du président ès qualité, ce séjour en Espagne ne comporte aucun rendez-vous avec aucune des autorités constituées du pays. Quelle indélicatesse diplomatique ! Mileí ne verra ni Pedro Sánchez, qu’il méprise et qu’il hait peut-être aussi, ni le roi (qu’il ne doit pas avoir en très haute estime) ni aucun ministre ou parlementaire espagnol. Il ne verra que l’ambassadeur argentin ! C’est bien maigre pour un déplacement aussi lointain et supposé revêtu d’un caractère officiel, surtout lorsque l’on considère que c’est au moins la troisième fois en six mois que Mileí se permet ainsi, sur le trésor public, d’aller se balader dans le monde sans aucun enjeu diplomatique, pour le seul plaisir de cultiver, à l’étranger, ses engagements idéologiques personnels ultra-capitalistes, anti-sociaux et passablement anti-démocratiques, et de s’adonner complaisamment, en compagnie de sa frangine, au culte de soi (il a déjà reçu, notamment aux États-Unis, des prix décernés par des institutions privées confidentielles qui semblent avant tout à se servir de sa vanité pour développer leur notoriété).

Et pourtant, il paraît que « no hay plata » (il n’y a pas d’argent).

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de La Nación
lire l’éditorial de La Nación qui s’intéresse aux questionnements de la presse états-unienne sur la conduite à tenir pour rester fidèle à la démocratie devant le risque de réélection de Trump et qui prend visiblement ces réflexions pour les siennes devant un président argentin dont le comportement apparaît de plus en plus comme dangereux pour l’ordre démocratique.
Clarín a lui aussi fait un article mais sur le site du journal, il est réservé aux abonnés.


"Le livre le plus cher du monde", prétend le titre
du volume en or, eu égard au prix du voyage de promotion
réalisé par son auteur mégalomane
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Ajouts du 18 mai 2024 :

lire cet article de Página/12 sur la présentation du bouquin qui s’est tenue à Madrid, en présence de Santiago Abascal qui avait fait la surprise à son pote de venir à son spectacle
lire cet article de La Prensa (journal catholique réactionnaire) sur la plainte posée par l’extrême-gauche trotskyste contre le président et ses dispendieux voyages privés déguisés en missions officielles
lire cet article de La Nación sur la présentation et les propos insultants tenus par le président sur le sol espagnol (« je suis un libéral dans un pays de gauchistes »)


La présentation (en photo) a eu lieu au siège du
quotidien espagnol La Razón, un journal de droite,
qui appartient au géant de l'édition Planeta
RTVE, le groupe audiovisuel public, aurait été
seule à ne pas en parler dans les journaux du soir
La Razón est pourtant le seul quotidien national
à traiter l'événement à la une
Le reste de la presse a choisi d'autres sujets,
dont les 20 ans du mariage du couple royal !
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jeudi 16 mai 2024

Des largesses pour la UBA et elle seule [Actu]

"La liberté haineuse", dit le gros titre
sur cette photo d'une lettre de menace anonyme :
"La prison ou une balle. Nous savons où te trouver. VLLC"
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Le gouvernement a lâché du lest pour maintenir en activité l’Université de Buenos Aires (UBA), la première université argentine dans les classements internationaux. Son budget pour cette année vient d’être réévalué de 300 %, ce qui devrait lui permettre de reconduire ses activités de l’année dernière (c’est à peu près le taux de l’inflation annuelle).

En photo : l'attentat contre Robert Fico en Slovaquie
En bas, à droite : "Des fonds sont envoyés à la seule UBA.
Les autres universités vont s'adresser à la justice"
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Dans le but à peine dissimulé de diviser pour mieux régner, le gouvernement n’accorde rien aux autres universités nationales. Sans doute espère-t-il ainsi casser l’unité syndicale et extra-syndicale qui relie entre eux la grande majorité des universitaires et des étudiants du pays pour réclamer des fonds de fonctionnement pour leurs établissements.

La une de Página/12 porte sur un nouveau revers
politique de Mileí. Son "Pacte de Mai" qu'il voulait
signer avec les gouverneurs le 25 mai, jour de la fête nationale,
à Córdoba (là où est planté la pointe), ne reçoit l'appui de personne.
D'où ce titre : "Une cérémonie sans pacte"
Notons que le choix de Córdoba pour cette première fête
nationale, en souvenir de la révolution contre l'Ancien Régime,
est symboliquement lourd de sens : Córdoba est la ville d'où est partie
la tentative de contre-révolution dès le début de juin 1810.
En haut à droite : "Il y a de l'argent, mais seulement pour la UBA"
une reprise de la réponse répétitive du gouvernement pour tout refuser :
"No hay plata - Il n'y a pas d'argent"
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Pour l’instant, cette manœuvre ne marche pas : la UBA lève les mesures prises quand son budget 2024 a été épuisé il y a quelques semaines mais ses autorités disent haut et fort qu’elles resteront solidaires des autres universités nationales du pays.

En bas, à gauche : Fin du conflit à la UBA
La photo principale est destinée à appuyer
la complainte de la rédaction qui se plaint
de l'état de sa rue la nuit (ce serait un coupe-gorge)
Je connais  très bien l'endroit mais de jour.
Vu de nuit ainsi, ce n'est en effet pas très rassurant
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Toute la presse se fait l’écho ce matin de cette entourloupe et personne n’en est dupe. Cette analyse s’affiche même à la une de Clarín, dans un des titres secondaires.

En bas à droite : La UBA met fin à
son état d'urgence budgétaire
La principale photo est aussi pour
la terrible actualité slovaque
La une a été bouclée très tôt dans la nuit
car il y a un bon moment maintenant
que l'on sait que Fico survivra à l'attentat
or le titre le dit encore "agonisant"
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Prochain chapitre : le CIN, l’organisme qui rassemble les universités nationales, se porte en référé devant les tribunaux contre le ministère.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Rosario/12 sur des menaces de mort reçues par des étudiants et des enseignants du supérieur et signées LLAC (initiales du grossier slogan de campagne de Mileí qui reste son cri de ralliement qu’il inscrit dans les livres d’or, en Argentine comme à l’étranger). Le signataire de ces missives semble vouloir intimider les destinataires et leur faire renoncer à leurs revendications

Une du 17 mai 2024
"Un problème de distribution", dit le gros titre
en forme d'énoncé d'exercice de calcul
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Ajouts du 17 mai 2024 :
lire cet article de Página/12 sur les réactions des universitaires au privilège obtenu par la UBA
lire cet article de Buenos Aires/12 sur les réactions à la Universidad Nacional de La Plata (UNLP), une des universités majeures d’Argentine
lire cet article de Rosario/12 sur les réactions à Rosario, dont l’université jouit elle aussi de quelque prestige.

mercredi 15 mai 2024

Mileí se rêve en réincarnation de Menem [Actu]

Zulemita Menem pose à côté du président Mileí
devant le buste de son père
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Il n’est pas rare qu’un président installe dans la salle des bustes de la Casa Rosada une effigie de l’un de ses prédécesseurs. Cristina Kirchner avait ainsi inauguré un buste de Raúl Alfonsín, un président radical (donc adversaire traditionnel des péronistes à l’intérieur du camp des nationalistes à dimension sociale), le président du retour à la démocratie en 1983, puis un autre de son mari, qui l’avait précédée à la magistrature suprême et qui est décédé quelques mois après lui avoir transmis le pouvoir.

Ni Mauricio Macri (cancre en histoire) ni Alberto Fernández (qui n’a pas eu le temps) n’avaient enrichi cette galerie. Mileí vient de le faire avec un buste [assez laid, il faut bien avouer] de Carlos Menem, le président de la décennie 1990-1999, qui mena, sans solution de continuité, une politique économique délirante, ultra-libérale au-delà du pensable alors (Mileí le dépasse maintenant). C’est lui qui décréta l’intenable parité entre le dollar US et le peso argentin, laquelle a tout droit conduit l’Argentine dans la faillite générale de décembre 2001 dont le pays se relevait à peine à la fin du second mandat de Cristina Kirchner, juste avant que Macri casse tout avec sa politique aussi favorable au grand patronat que défavorable aux secteurs vulnérables de la population. Ensuite, cela a été le cercle vicieux : la dette démesurée contractée sous Macri auprès du FMI puis, sous Alberto Fernández, le Covid qui a donné le coup de grâce à une économie déjà très fragilisée.

"La pire réjouissance", dit le gros titre
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Côté droits de l’homme, Menem a aussi laissé le souvenir d’une indulgence pour le moins ambiguë envers les bourreaux de la dictature militaire qui, sous son mandat, ont bénéficié de grâces incompréhensibles qui ont, de plus, compliqué les poursuites ultérieures, lorsque Néstor Kirchner a fait repartir, en 2003, les procédures judiciaires contre les responsables des crimes contre l’humanité et relancé la recherche des bébés volés, aujourd’hui quarantenaires. Mileí marche dans le pas de Menem et il en est fier.

Enfin, et c’est la plus énorme des contradictions chez Mileí, Menem est mort sous le coup d’une accusation grave : il était poursuivi pour complicité active avec le commando syro-libanais (pour autant qu’on ait pu reconstituer sa composition) qui aurait commis l’attentat contre l’AMIA, une institution majeure qui rend les services à la fois d’une mutuelle confessionnelle et d’un consistoire israélite national. En plein hiver, l’attentat avait fait 300 blessés et 85 morts dans la rue Pasteur, à Buenos Aires, en plein centre-ville. Bien entendu, la mort de Menem, alors que l’instruction n’était pas close, a éteint l’action publique. Juridiquement, il reste donc à jamais innocent. Cette admiration pour un tel bonhomme n’en reste pas moins très étonnante de la part du pro-israélien inconditionnel qu’est Javier Mileí, lui qui vient faire voter à l’ONU contre l’attribution d’un siège à l’État palestinien (État en devenir puisqu’il n’a encore ni territoire unifié ni pouvoirs publics reconnus par ses propres ressortissants), contre une très longue tradition argentine plutôt favorable aux Palestiniens et méfiante envers la politique de la droite israélienne. Mileín qui prétend couler sa diplomatie dans celle de Netanyahu et celle de l’Oncle San (ce qui constitue déjà un sacré grand écart), ne voit rien à redire à l’indulgence que semblait nourir Menem pour les formations politiques islamistes qui foisonnaient déjà en 1994 dans le pays de ses ancêtres (les Menem sont des Turcos, un terme qui en Argentine désigne des descendants d’arabes, musulmans ou chrétiens, originaires de la côte orientale de la Méditerranée, appartenant alors à l’empire ottoman). Cela nous en dit long sur son absence totale de considération pour quoi que ce soit d’autre que l’économie et le profit sonnant et trébuchant.

En haut : Retour [au taux d'inflation] à un chiffre
En bas : Carlos le Grand
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Devant une Zulema rayonnante, la fille chérie de Carlos Menem, Mileí a prononcé l’éloge de son lointain prédécesseur et déclaré qu’il avait été « le meilleur président que l’Argentine ait connu au cours des quarante dernières années ». On voit donc où il veut mener son pays et il semble en bonne voie d’y parvenir. Le pays flirte déjà avec la catastrophe et ne se relèvera pas de sitôt de l’abandon de tout le secteur non-marchand : éducation, recherche, culture, santé.

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Or il y a là une chose qui différencie Mileí et Menem : ce dernier avait en effet soutenu, à tort et à raison, le secteur de la culture et notamment le spectacle vivant (le tango sous toutes ses formes s’en souvient encore !). Menem avait mené une intelligente stratégie de soft-power et de rayonnement à l’étranger, un domaine de la diplomatie où l’Argentine n’a jamais vraiment su briller malgré son capital considérable en la matière. La faute de Menem aura été d’avoir financé tout _ça en faisant de la cavalerie, ce dont les Argentins ont fini par payer le prix exorbitant à partir de Noël 2001.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :