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Jeu de mot habituel : "Très franc", titre Página/12 sur un montage qui dit tout autre chose Tous les lecteurs du journal reconnaissent le dictateur espagnol Franco Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Invité d’honneur à Madrid du
grand raout de l’extrême-droite européenne, tous courants
confondus, qui s’est tenu dimanche dans le cadre de la campagne
électorale pour les élections parlementaires du 9 juin, Javier
Mileí commet offense diplomatique sur offense diplomatique. La
plupart de ses insultes, il les a réservées à l’Espagne, le pays
qui l’accueillait, ses dirigeants et ses institutions mais il a
aussi arrosé d’autres pays de l’Union européenne et l’Union
elle-même, censée être dominée par le « cancer du
socialisme ».
Du jamais vu d’une part entre
des démocraties et d’autre part entre les pays hispanophones !
Lundi, le ministère des Affaires étrangères espagnol a donc
convoqué l’ambassadeur argentin et rappelé, sine
die, son ambassadrice,
pour sonsultation, en attendant des excuses publiques de la part des
autorités argentines. Dans les protocoles diplomatiques, le rappel
d’un ambassadeur constitue l’avant-dernière étape avant la
rupture des relations diplomatiques lorsqu’un pays retire tous ses
diplomates et son personnel consulaire et confie la sauvegarde de ses
intérêts à l’ambassade d’un pays tiers. Or de retour dans son
pays, Mileí a repris de plus belle ses insultes et ses accusations
absurdes, gratuites et tous azimuts.
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"Dure condamnation de Mileí par les entreprises espagnoles : il a recommencé à critiquer Pedro Sánchez", dit le gros titre de La Nación |
En Espagne, les chefs
d’entreprise, tous investisseurs en Argentine et fort peu suspects
d’être « socialistes », qui avaient rencontré Mileí
durant son séjour et avaient posé avec lui pour une photo souvenir,
ont critiqué durement ses prises de position et ses déclarations
contre le gouvernement « de notre pays ». Or ils
représentent des entreprises qui comptent en Argentine. C’est par
exemple le cas de Telefónica, l’un des principaux fournisseurs de
téléphonie portable. Dans cette réunion, il y avait aussi des
industriels et des acteurs d’import-export entre l’Argentine et
le marché européen. Ces sociétés donnent du travail à beaucoup
de gens, à un moment où les licenciements collectifs se succèdent
dans tout le pays. Il se trouve qu’en l’espèce, ces hommes
d’affaire se sont montrés plus patriotes et plus fidèles aux
institutions démocratiques que le chef de l’opposition
parlementaire, le président du Partido Popular (la droite
constitutionnelle) aigri par son incapacité à organiser une
coalition qui l’aurait porté à la tête du gouvernement l’année
dernière : il a rejeté sur les autorités en place l’origine
de la crise (1).
Depuis six mois, cette
conflictualité permanente qu’entretient Mileí à coup d’insultes
et d’accusations délirantes contre les dirigeants des principaux voisins ou partenaires politiques ou économiques de l’Argentine (Cuba, Nicaragua, Venezuela, Mexique, Brésil,
Colombie, Chili, Chine et maintenant Espagne), on avait tendance à
l’attribuer tantôt à une pathologie ou une immaturité psychique
dont il souffrirait (ce qui n’est pas exclu), tantôt à son
incompétence ou son ignorance et celle de plusieurs personnes de son
entourage institutionnel (sa sœur, sa ministre des Affaires
étrangères, son porte-parole, etc.). A présent, les observateurs
envisagent que le président argentin pourrait bel et bien être en
train de mettre en œuvre un programme politique préconçu et
poursuivi en toute connaissance de cause, d’abord pour faire parler
de lui sur la scène internationale, ce qui flatte son ego démesuré
(comme Trump), et ensuite pour combattre partout dans le monde la
démocratie et l’État garant du bien-vivre (2)
qui est une réalité en Europe et une aspiration dans de très
nombreux pays, les uns issus du système communiste et les autres,
dont l’Argentine, du système colonial.
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"Mileí a traité Sánchez de lâche et l'a accusé de travailler avec les K [kirchneriste] pour saboter son gouvernement", titre La Nación Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Aujourd’hui, en début
d’après-midi, Madrid a annoncé que l’Espagne retirait
définitivement son ambassadrice. La diplomate,
désormais de retour en Espagne, ne retournera pas à Buenos Aires.
Quant au reste du personnel qui travaille à la représentation
officielle espagnole en Argentine, il y reste jusqu’à nouvel ordre
mais sous l’autorité d’un simple chargé d’affaires. En
diplomatie, les usages étant la réciprocité, si le gouvernement
argentin persiste à ne pas vouloir rappeler son ambassadeur, il est
possible que celui-ci soit bientôt déclaré persona
non grata à Madrid.
Il vient d’être nommé et d’arriver en poste et la fête
nationale argentine tombe samedi prochain !
Quant à Mileí, qui avait
annoncé dimanche un nouveau voyage en Espagne, pour recevoir l’un
de ces prix qu’il affectionne et que lui remettent des instistutions
confidentielles un peu partout dans l’hémisphère nord, il est
plus que probable qu’il en sera empêché : il sera très
certainement déclaré lui-même persona
non grata.
L’ambassadeur précédant,
Ricardo Alfonsín, le fils de Raúl Alfonsín, président du retour à
la démocratie en 1983, a publiquement fait part de sa stupeur devant
le comportement absurde du président argentin dans le pays que
l’Amérique hispanique continue d’appeler la « Madre
Patria ».
C’est la première fois depuis
la reconnaissance de l’indépendance de l’Argentine par l'Espagne en 1863 que
les deux pays n’ont plus d’échange d’ambassadeurs.
Ce qui reste incompréhensible et
rend l’intempérance de Mileí d’autant plus inquiétante, c’est
qu’il prétende accélérer l’accord UE-Mercosur, soutenir
l’Ukraine (il veut faire ça en s’en prenant à un gouvernement
engagé dans les coalitions d’aide militaire à ce pays ?) et
faire adhérer l’Argentine à l’OTAN, alors que,
géographiquement, le pays se situe en Atlantique sud et que
politiquement, il est en train de s’éloigner des stricts critères
de respect de l’État de droit et de lutte contre la corruption qui
sont des préalables à l’adhésion ! La même chose peut être
dite de la candidature de l’Argentine à l’OCDE...
© Denise Anne Clavilier
Pour aller plus loin :
lire l’article
de Página/12
ce matin, avant l’annonce du ministre des Affaires étrangères
espagnol, comme tous les autres articles cités ici lire l’article
de La
Prensa (le journal n'a pas traité l'affaire en une, la rédaction n'a pas dû comprendre la gravité de l'incident)
lire l’article
de La
Nación
sur la réaction de Alberto Fernández, non moins stupéfait que son
ancien ambassadeur à Madrid. L’ex-président a d’ailleurs lui
aussi fait les frais des aboiements de son successeur auxquels il a
répondu avec beaucoup de calme et de dignité, malgré l’acharnement
de Mileí contre lui. Clarín
réserve ses articles en ligne à ses abonnés.
(1) Ce n’est pas sérieux :
le ministre des Transports espagnol, sur le sol national, a récemment
traité Mileí de « fou » qui avait « sans doute
fumé la moquette ». Ce n’est pas amical, c’est entendu,
mais c’est un ministre de second rang, qui n’a aucune compétence
en matière de diplomatie et qui s’exprimait dans son pays, hors de
toute rencontre internationale. Dimanche, Mileí s’exprimait à
l’étranger, comme chef d’État, sur le sol du pays dont il
insultait les gouvernants. Mettre les deux choses sur le même plan,
c’est de la mauvaise foi pure et simple.
(2) Je préfère cette expression
à celle d’« État Providence » qui donne l’idée
d’un État
tout puissant, ce qu’il n’est pas, bien sûr. Les Argentins
traduisent l’expression anglophone Welfare State (Estado del
Bienestar).