Aujourd'hui, c'est l'anniversaire du décès de Juan D'Arienzo, surnommé en son temps le roi de la mesure (el compás, c'est la mesure au sens musical du terme, l'unité rythmique d'un morceau). Ce surnom est souvent traduit en Roi du Rythme. Juan D'Arienzo, né le 14 décembre 1900, est décédé le 14 janvier 1976 à Buenos Aires.
Il fut longtemps, de 1936 à 1958, le musicien vedette du célèbre cabaret Chantecler, situé à l'angle de Corrientes et Paraná. En 1958, le Chantecler ferma et fut démoli. Sa destruction inspira à Enrique Cadícamo un très joli tango bien nostalgique. C'est l'aboyeur du Chantecler, Príncipe Cubano, qui composa El Rey del Compás, pour rendre hommage à la grande vedette auquel le cabaret devait sa prospérité et son succès public. Tango que D'Arienzo se fit un plaisir d'enregistrer comme vous pouvez l'entendre ici...
Aujourd'hui, à la place qu'occupait autrefois le Chantecler, se dresse un immeuble dont l'âme brille par son absence et sur lequel une plaque, placée très haut, presque à la hauteur du premier étage et donc difficilement lisible, rend néanmoins un hommage au compositeur, chef et arrangeur auquel on doit le renouveau du tango après la mort de Gardel (24 juin 1935).
En 1936-1937, en pleine Decadá Infame, une période particulièrement noire dans l'histoire de l'Argentine, où se succédèrent des gouvernements inconstitutionnels asservis aux intérêts économiques du Royaume-Uni puis des Etats-Unis, à Buenos Aires, on dansait le fox-trot. Et puis voilà que le pianiste Rodolfo Biagi (le compositeur de Campo Afuera entre autres) intégra l'orchestre de Juan D'Arienzo et y introduisit un rythme allegro vivace qui plut de suite au public. D'Arienzo, en bête de scène qu'il était, s'empara aussitôt de l'idée et en 1937, créa, dans cette nouvelle optique, une nouvelle version de La Cumparsita, qui connut un tel succès que ce morceau s'imposa peu à peu comme le tango final rituel de toute bonne milonga.
La voici ici dans la version enregistrée par Juan D'Arienzo en 1963.
Juan D'Arienzo, fort critiqué et peu apprécié en général par les musiciens qui le trouve pauvre et répétitif, l'un des rares musiciens apolitiques (1) figurant parmi les grands noms historiques du genre, est aussi l'un des chefs préférés des danseurs en milonga et des professeurs de tango un peu partout dans le monde, car il s'était fait une spécialité d'un rythme vif et joyeux (même quand le texte expose les pires mélodrames), très entraînant et fort agréable à danser. Si vous voulez voir du D'Arienzo interprété en toute authenticité, allez à la Feria de San Telmo un dimanche, chercher du regard le café Plaza Dorrego, l'un des nombreux Bares Notables du quartier, et admirer les prouesses chorégraphiques de mes amis Osvaldo et Pochi Boó, un couple adorable qui danse, sur un minuscule bout de planche en guise de piste (2) un bon vieux style canyengue (faubourien) des familles avec une intériorité et une concentration exceptionnelles...
Cette photo d'eux, avec le disque de D'Arienzo et les lunettes d'Osvaldo au premier plan, je l'ai prise en août 2007 (en plein hiver) et je l'aime beaucoup, parce qu'on voit bien que lui m'avait repérée en train de les photographier et il s'en souvenait encore, cette année, quand je suis venue leur parler d'un projet de livre dont j'aimerais qu'ils soient.
Je vais tenter de profiter de cette période de vacances estivales australes pour rédiger enfin l'article que je souhaite leur consacrer depuis mon dernier séjour dans la capitale argentine...
(1) en fait pas de gauche. La plupart des artistes de tango sont d'une sensibilité que nous classerions plutôt à gauche, même si ces notions ne recouvrent pas en Argentine les mêmes choses qu'en Europe.
(2) Il faut pouvoir danser sur une seule dalle, c'est la règle, rappelle Pochi.