C'est une très grande dame de la culture argentine que sont en train de veiller les auteurs et compositeurs au siège de la Sadaic, leur société, fondée par Francisco Canaro en 1936, et au Conseil d'Administration de laquelle elle avait encore des fonctions qu'elle ne remplissait plus guère depuis que la maladie avait eu raison de son énergie...
María Elena Walsh, écrivain, parolière, conteuse, chanteuse, compositrice, guitariste, s'est éteinte hier, dans une clinique de Buenos Aires, à l'âge de 81 ans (elle était né le 1er février 1930, dans la banlieue de la capitale), après avoir, comme le titre si joliment Clarín "appris [aux Argentins] à être des enfants et les avoir fait grandir".
C'est aussi une militante politique qui disparaît, une militante de la démocratie, hostile à tout autoritarisme. Même pendant la dernière dictature, elle a eu le courage d'ouvrir la bouche, tout en écrivant et en chantant pour les enfants. Au milieu des années 50, pour fuir le péronisme dont elle considérait qu'il s'agissait d'une dictature (1), elle était venue se réfugier à Paris où elle se mit à travailler avec son homologue, la poétesse chilienne Violeta Parra. Marquée dans l'enfance par le goût anglais de son père et l'influence andalouse de sa mère, à Paris, elle fréquenta Saint-Germain des Près, Jacques Prévert, Pablo Picasso et Charles Aznavour et publia entre autres Sous le ciel d'Argentine, dans la langue de Molière.
Le tango de la deuxième moitié du 20ème siècle lui doit aussi beaucoup. En particulier ce qui fut l'un des grands succès de Susana Rinaldi, Magoya. Et ce qui fut un pied de nez à la censure anti-péroniste qui interdisait même de prononcer le nom du général : El 45 (l'année où Domingo Perón avait gagné, d'avance, son élection au fauteuil présidentiel, en se faisant acclamer, de retour d'une brève détention, par une foule immense sur la Plaza de Mayo : sans citer le nom interdit, elle parvient à évoquer l'événement de manière plus claire encore). Une liste de 10 letras de tango est disponible actuellement sur le site encyclopédique de Ricardo García Blaya, Todo Tango, dont Como la cigarra (comme la cigale), une belle habanera très souvent inscrite au répertoire des chanteurs d'aujourd'hui et que l'on trouve sur de nombreux disques, y compris ceux des grandes voix consacrées.
María Elena Walsh avait inventé des petits personnages dont les enfants d'aujourd'hui et ceux d'hier ont suivi avidement les aventures : Liso le petit singe, Jacinta la guenon, et Manuelita, la gentille tortue verte...
Photo datant du 24 octobre 2008 (archives La Nación)
Mon premier article sur María Elena Walsh, en octobre 2008, avec Jairo, portait sur cette manifestation.
Mon premier article sur María Elena Walsh, en octobre 2008, avec Jairo, portait sur cette manifestation.
Le corps de María Elena Walsh sera porté en terre tout à l'heure, au cimetière de la Chacarita, à 11h du matin, heure de Buenos Aires. Il y a 5 heures de décalage avec l'heure de l'Europe de l'ouest.
Pour a ller plus loin :
lire l'article de Página/12, qui consacre à cette disparition l'intégralité de sa une de ce matin
lire l'article de Clarín qui, malgré un très joli titre, relègue l'info dans le corps de sa page d'accueil
lire l'article de La Nación, qui traite l'information avec un beau dossier multimédia qu'il faut néanmoins chercher un peu.
(1) Et la question mérite en effet d'être posée, car il y avait peu de liberté de la presse sous le gouvernement de Perón et les opposants avaient la vie dure. On était alors en pleine guerre froide et la démocratie telle que nous la connaissons en Europe était impraticable dans des pays qui étaient trop fragiles pour ne céder aux pressions d'aucun des deux blocs qui se les disputaient. Ce qui fait que la démocratie n'a jamais existé sur le continent pendant toute la durée de la Guerre froide et jusqu'à ce que les Etats-Unis commencent à pouvoir envisager la chute du régime soviétique, après l'élection de Jean-Paul II et l'apparition de Solidarnosc en Pologne.