El Pozo de Arana (le puits d'Arana) a été un lieu de détention clandestin pendant la dernière dictature militaire argentine (1976-1983). On estime que trois mille personnes ont été prisonnières dans ce centre. La quasi-totalité y a été torturée. Beaucoup d'entre elles y ont été assassinées, généralement par fusillade. Parmi les prisionniers du Pozo de Arana, il y avait Jorge Julio López, un ouvrier qui a disparu il y a plus de 5 ans, à la veille de sa comparution comme témoin à charge dans un procès contre des criminels de l'ex-dictature.
A la fin 2008 (voir mon article du 10 décembre 2008 à ce sujet, en pleines célébrations des 25 ans du retour à la démocratie), on avait découvert dans ce lieu, un peu par hasard et sous des amas de vieux pneus, de biclyclettes rouillées et de motocyclettes hors d'état de marche, comme oubliés là par une police en débâcle, des ossements humains. Le lieu va être préservé comme un lieu de mémoire, comme on préserve tout à la fois une scène de crime et des vestiges archéologiques. Dans un second temps, un centre d'activités culturelles sera édifié autour de la mémoire des disparus et des droits de l'homme, dans ce domaine qui appartenait, sous la dictature, à la police fédérale.
L'annonce en a été faite hier par le Gouverneur bonaerense, Daniel Scioli (tout à droite sur la photo Télam ci-dessus), au cours d'une cérémonie d'hommage à l'association Abuelas de Plaza de Mayo, présidée par Estela de Carlotto, qui, dans son discours de remerciement, a dressé un bref rappel historique de son mouvement. Elle a souligné combien il était important pour elles que ce travail de mémoire se fasse actuellement en Argentine : “Vivir estos tiempos en que todas las puertas se abren, todo se comunica y socializa, es un milagro para nosotros, porque el proyecto de vida que teníamos las Abuelas era distinto, nosotros nunca nos imaginamos que íbamos a tener que seguir por siempre con esta lucha” (Estela de Carlotto, citée par Página/12)
Vivre ces temps où toutes les portes s'ouvrent, où tout entre en communication et devient un fait de société, c'est un miracle pour nous, parce que le projet de vie que nous avions, nous, les Grands-Mères de la Place de Mai, c'était autre chose. Nous n'avions jamais imaginé que nous allions devoir continuer cette lutte toujours.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Au même moment, au Palais de Justice de Comodoro Py, toujours dans la Province de Buenos Aires, les preuves et les déclarations s'accumulent sur le caractère systématique et délibéré de l'enlèvement des enfants en bas-âge des disparus de la dictature au profit de parents adoptants afiliés au régime et parfaitement conscients des identités falsifiées de ces tout-petits, arrachés à leurs parents biologiques et à leurs familles de naissance. Ces nourrissons, car pour la plupart d'entre eux, il s'agissait de nourrissons, qui sont aujourd'hui des trentenaires, sont les petits-enfants disparus que Abuelas de Plaza de Mayo cherchent depuis plus de 30 ans. Hier, c'était un ancien général, aujourd'hui Ambassadeur de l'Argentine démocratique en Colombie, qui témoignait de ce caractère systèmatique, au point que Página/12 titre ce matin à la une : "Je n'ai aucun doute, il y eu un plan délibéré".
Pour aller plus loin :
lire l'article de une de Página/12 sur le témoignage du général Martín Balza à Comodoro Py
lire l'article de Página/12 sur le centre de mémoire du Pozo de Arana